Une micro-polémique sur les réseaux sociaux était apparue au lendemain de la diffusion du talk show « On n’est pas couché » présenté par le cumulard Laurent Ruquier. La faute à Léa Salamé, journaliste permanente de l’émission qui a affirmé comme un fait établi face à l’économiste Thomas Piketty qu’aucun livre n’avait changé le monde. Comme quoi, le ridicule ne tue pas. Surtout à la télévision.
La preuve s’il en fallait une pour contredire ce propos est donnée par les nombreux autodafés perpétués au cours de l’histoire comme récemment la destruction de plus de 2000 livres de la bibliothèque de Mossoul. « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes », disait l’écrivain Heinrich Heine. La lecture à elle seule est source de changement puisqu’elle ouvre l’esprit à la réflexion, aux savoirs, à la diversité des cultures et aux interrogations. Certains internautes n’ont d’ailleurs pas caché leur incompréhension et incrédulité face à l’ineptie de Léa Salamé en référençant de nombreux exemples d’écrits ou d’auteurs ayant influés sur l’histoire avec un grand H : de Hugo à Marx, de Pascal à Malraux, de Soljenitsyne aux Lumières…
La liste est trop longue pour les citer tous et Aimé Césaire a toute sa légitimé pour en faire partie. En effet, poète, écrivain et homme politique, infatigable combattant pour l’autonomie et l’émancipation, Césaire publia en 1939 son oeuvre poétique majeure « Cahier d’un retour au pays natal« , texte fondateur au courant littéraire et politique de la négritude, bien avant l’historique « I have a dream » de Martin luther King. Entre révolte et espoir, contre le système colonial français de la 1ère moitié du 20ième siècle, ce texte, ce cri « debout sur le pont, debout dans le vent, debout sous le soleil (1) » va accélérer une prise de conscience de la communauté noire sur sa propre identité et sa propre richesse. Étincelle d’une jeunesse révolutionnaire anti-colonialiste. Ode à « la terre où tout est libre et fraternel »(1)
Aimé Césaire : « Je suis un Martiniquais, un Africain transporté, mais je suis avant tout un homme, et un homme qui veut l’accomplissement de l’humanité de l’homme. »
En ces temps où l’extrémisme, le fanatisme et le repli sur soi couvrent d’un nuage sombre notre monde contemporain, il est souvent de bon ton de relire cette oeuvre marquante. Il n’est pas si loin le temps où un député à l’assemblée nationale (Alain Griotteray pour ne pas le nommer) s’étonnait de voir deux œuvres de ce ledit poète au programme de français des sections littéraires de terminales ni qu’un ancien président de la république française affirmait que le « drame de l’Afrique » venait du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».
D’ailleurs, la chance nous est donné de redécouvrir ce recueil grâce au Grand logis qui invite jeudi prochain le projet « Debout dans les cordages », une lecture poétique où l’on retrouve deux membres du groupe Zone libre et la présence de Marc Nammour (La Canaille).
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Sur une vraie-fausse improvisation musicale tant Serge Teyssot-Gay (à la guitare) et Cyril Bilbeaud (à la batterie) se connaissent depuis longtemps, Marc Nammour nous délivre avec sa gouaille reconnaissable entre rap et slam de nombreux extraits du recueil d’un « Cahier d’un retour au pays natal », un de ses poèmes préférés avoue-t-il. Marc Nammour est fils d’ouvrier, fils d’immigré, la filiation semble toute trouvée, la légitimité aussi.
Marc Nammour(2) : « C’est un message universel pour les opprimés quant à leur faculté à se redresser. Le pauvre ressent un complexe d’infériorité face au reflet que la société lui renvoie. Le texte d’Aimé Césaire doit permettre à ceux qui sont à genoux de se relever et de regagner leur dignité. »
La colère saine de Césaire prend alors une nouvelle couleur voguant sur une ambiance sonore délivrée par les musiciens entre apocalypse, larsens et shoegaze. Même 80 ans après, elle reste profondément d’actualité, universelle. Le « nègre » du texte peut se substituer aujourd’hui à l’immigré, le sans-papier, le rom. Césaire parle aux opprimés, aux laissés-pour-compte, à ceux qui subissent toute forme d’injustice.
« Les nègres sont tous les mêmes, je vous le dis. Les vices, tous les vices, c’est-moi-qui vous le dis. L’odeur du nègre, ça fait pousser la canne. Rappelez-vous le vieux dicton : battre un nègre, c’est le nourrir… […] » (1)
Sans partition ni filet, la prestation scénique des trois comparses se revendique sincère cassant les codes habituels des concerts. A découvrir absolument.
Surtout toi, Léa.
PS : Nous avions pu découvrir également l’interprétation de l’œuvre durant #urbaines 2015 grâce à la collaboration d’Olivier Mellano et Arm de Psykick Lyrikah.
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PLUS d’1FOS
Jeudi 19 mars 2015 – 20h30 – LE GRAND LOGIS : Concert Poétique Durée : selon impro.
CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL d’AIME CESAIRE
SERGE TESSOT-GAY – CYRIL BILBEAUD ET MARC NAMMOUR
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► Serge Teyssot-Gay sort prochainement son nouvel album « Trans 2 », en collaboration avec Joëlle Léandre, sur le label Intervalle Triton.
► Marc Nammour, dit La Canaille, a fait paraître son troisième album « La nausée », en 2014.
(1) : Cahier d’Un Retour Au Pays Natal” d’Aimé Césaire.
(2) : Interview DSLC