Depuis trois ans, le Ministère de l’éducation nationale évalue les élèves de CM2. Rien de bien exceptionnel, l’évaluation faisant sans aucun doute parti du système scolaire. Cependant, cette évaluation-là sent bon la recherche statistique et la mise en concurrence des élèves et des écoles. Un truc à vous donner un avant-goût du système scolaire à la sauce néolibérale.
Pour une fois, enseignants, parents d’élèves et citoyens lambda font bloc : les évaluations auxquelles doivent répondre dorénavant les élèves de CM2 relèveraient d’un système de chiffres et de statistiques destinés à hiérarchiser les écoles. C’est un gimmick qui revient souvent dans l’action d’un gouvernement mû par la volonté de classifier, de hiérarchiser. De différencier en bons et mauvais, en somme. « Plus qu’une évaluation, c’est juste une performance chiffrée à un type d’épreuve très particulier, décrypte S., enseignant en ZEP à Rennes. Pour utiliser une métaphore sportive, il arrive à tout perchiste de faire zéro à un concours. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est nul. »
Les évaluations pour les CM2 posent ainsi trois problèmes évidents.
D’abord, elles interviennent à un moment de l’année qui n’apparaît pas très pertinent : au ministère, on parle de diagnostic et de bilan. Intéressant. Mais pourquoi faire un diagnostic si tardivement et comment tirer un bilan si tôt ? D’ailleurs, nombres d’enseignants dénoncent le fait que les questions posées abordent l’ensemble du programme de CM2 qui, évidemment, ne peut avoir été déjà traité en son entier au milieu de l’année scolaire ! « Les anciennes évas CE2 et 6ème étaient mieux faites au niveau de la correction, on pouvait mieux appréhender ce qui n’était pas réussi, mieux trier le type d’erreur. Sans compter qu’elles étaient plus pertinentes en terme de moment dans la passation », remarque Fx, instit au nord de Rennes. En effet, au début de l’année de CE2, les tests portaient sur le cycle 2 (GS, CP, CE1), au début de la 6ème, on testait le CIII (CE2, CM1, CM2). « Pourquoi avoir cassé cet outil qui s’était affiné avec le temps ? », regrette Fx.
Diagnostic des profs
Une seconde interrogation renvoie à l’archaïque notation binaire. Notation quelque peu modifiée cette année : pour 36 questions sur 100, le « faux » et le « juste » se sont vus octroyer le renfort de « réussi partiellement avec erreur » et « réussi partiellement sans erreur ». Deux expressions qui laissent pantois certains professionnels de l’enseignement : « Comment réussit-on partiellement sans erreur ?, se demande V., responsable d’une classe de CM2 dans une commune de Rennes Métropole. Qui décide, si l’enfant n’a pas fait d’erreur qu’il n’a réussi que partiellement ? J’aimerais que le ministère nous explique ce concept très particulier. » Mais cette notation « réussite partielle sans erreur » fait cependant sens dans certains cas comme le souligne Fx, pourtant loin d’être d’accord avec le système des évaluations : « On peut réussir partiellement sans erreur : tu fais un problème de math, par exemple, qui demande plusieurs étapes, tu en oublies une mais tout ce que tu as fait est bon. C’est important de savoir ça. Si le moteur de ta voiture a un problème, il faut savoir où, pas dire : il ne marche pas, je le remplace ». Le diagnostic est ainsi un élément fondamental du travail des professeurs des écoles.
En 2011, les niveaux de notation ont encore été revus : désormais, le correcteur aura le choix entre « réponse attendue », « réussite partielle sans erreur », « réussite partielle avec erreur », « autres réponses » et « absence de réponse ».
La hiérarchie académique semble elle aussi mal à l’aise. Le témoignage édifiant de S. prouve que sur le fond mais aussi sur la forme les évaluations posent problème : « Dans mon école de ZEP, j’ai entendu un inspecteur justifier trois points qui rendent le dispositif caduque : si nos élèves ne comprenaient pas les questions, nous n’avions qu’à les reformuler ; nous pouvions accorder quelques minutes de plus que le temps imparti aux exercices ; et il nous a assuré que les résultats des élèves qui n’ont pas eu un parcours scolaire classique ne seraient pas transmis. » L’intérêt de résultats ayant subi de telles modifications restent pour le moins sujet à caution.
Honte sur l’Académie de Rennes
Les années précédentes, les résultats obtenus ont été difficilement compréhensibles pour à peu près tout le monde. Selon le SNUipp, « les évaluations ne fournissent pas d’informations suffisamment précises pour la régulation des apprentissages ». Certains professeurs ont ainsi noté des évolutions étonnantes entre les résultats obtenus en 2009 et en 2010. L’exemple de l’Académie de Lille confine à la grosse farce : 24% des élèves disposaient d’« acquis très solides », en 2010, ils étaient 36%. Magie de l’enseignement à la française : 12% d’acquis très solides en plus alors que la moyenne nationale n’a pas bougé, ou très peu, sur les deux années (de 43% à 45% en français, 35% en mathématiques). A Versailles, les élèves aux « acquis très solides » sont passés de 35 à 45%.
La troisième interrogation porte alors sur le risque évident d’une mise en concurrence des académies et surtout des écoles. « Dans les écoles où les élèves sont plus performants, on a les moyens de programmer les apprentissages de manière à avoir vu et revu les notions évaluées et de préparer les élèves à la forme même des évaluations, déplore S., le prof de ZEP. Dans les écoles où les élèves ont plus de difficultés, ni le fond ni la forme n’auront été préparés, cela ne fera que renforcer les disparités de niveau, déjà énormes ». Selon les résultats du Ministère de l’éducation nationale, l’Académie de Rennes voit ses performances en baisse : si l’on s’en tient à la catégorie d’excellence (sic), « élèves ayant des acquis très solides », les petits Rennais passent de 52% à 49% en français et de 52% à 42% en math. Qu’en conclure ? Une année aurait-elle suffi à faire reculer les acquis des élèves de l’académie par rapport aux objectifs définis dans les programmes ? La honte. On en tremblerait presque…
On aurait pourtant d’autres raisons de trembler. Cette volonté de sélectionner les élèves de plus en plus jeunes n’est pas sans rappeler la volonté d’une certaine droite de classer les gens, et particulièrement les enfants. Les évaluations risquent bien de déboucher sur des « fichages » et des « orientations » rapides des élèves les moins brillants. On se souvient du débat qu’avait déclenché, il y a quelques années, l’idée de Nicolas Sarkozy de « détecter » et de ficher les enfants au comportement susceptible de devenir violent. Le Comité national d’éthique s’était vigoureusement opposé à une telle pratique. Sans pour autant faire d’amalgame, une évaluation des élèves réalisée dans de telles conditions posent des questions qu’il ne faut pourtant pas éluder, elles interrogent en effet de véritables choix de société.
Base élèves, le retour !
Quant à l’anonymat des résultats annoncé par le Ministère, il semble désormais complètement illusoire. Insérés dans le livret scolaire électronique (circulaire n° 2008-155 du 24-11-2008 relative à la mise en œuvre du livret scolaire à l’école), les résultats sont ainsi transmis au collège qui accueillera l’élève l’année suivante. Et pourtant, sur son site, le Ministre de l’éducation nationale se voulait parfaitement rassurant : « Les résultats de chaque élève sont communiqués à ses parents par le maître de la classe ou le directeur de l’école. Ils peuvent ainsi mieux suivre les progrès de leur enfant. Ils sont les seuls, avec les maîtres, à connaître les résultats individuels de leur enfant. » Autre surprise de taille, selon le syndicat Sundep-Solidaires, il se pourrait que « les résultats des évaluations CM2 [soient] bientôt utilisés pour orienter et affecter automatiquement les élèves au collège en utilisant l’application Affelnet 6e ». Pour mémoire, Affelnet 6e est une procédure informatisée de classement et d’affectation des élèves dans l’enseignement public pour les passages en 6ème. Les résultats des évaluations seraient ensuite transférés dans Sconet qui est, pour le second degré, l’équivalent du très controversé « Base élèves ». On se souvient que ce système informatique de gestion des inscriptions des élèves dans l’enseignement primaire, a été fortement décrié pour le risque d’atteinte à la vie privée des élèves qui y sont fichés et la facilité avec laquelle diverses administrations pourraient recouper les données. « Base élèves a peut-être été un tournant dans le rapport des autorités à la scolarité de l’élève. Il est important de rester vigilant », reconnaît V.
Selon le syndicat Sundep-Solidaire, « les résultats des évaluations CM2 remontent donc nécessairement nominativement au moins au niveau académique », alors que seuls les parents et les enseignants devaient les connaître… On voit ainsi poindre le danger de la mise en place d’une différence de traitement selon la réussite aux évaluations : « L’élite, repérée depuis la maternelle, fera l’objet d’un suivi particulier qui lui permettra d’intégrer les établissements d’excellence, et plus tard, de suivre des études supérieures… à condition d’en avoir les moyens bien sûr ! », souligne-t-on du côté du syndicat.