À tout seigneurs, tout honneur, on commence par True Grit, le seizième long métrage de Joel et Ethan Coen. D’après ces derniers, il s’agit plus d’une relecture du roman initiatique de Charles Portis qu’un véritable remake du classique d’Hattaway avec John Wayne. Après le crépusculaire No country for Old men et l’hilarant et cruel A Serious Man, on pouvait raisonnablement être émoustillé par une excursion des deux frangins dans l’univers ultra balisé du western.
Le résultat est pour le moins inattendu.
Si vous y allez en vous attendant à voir un dynamitage joyeux du genre, vous serez déçu.
Si vous y allez en vous attendant à voir la suite du Impitoyable d’Eastwood, vous serez déçu.
En fait, True Grit est d’abord un western à la structure extrêmement classique.
Nous sommes juste après la fin de la guerre de sécession, Mattie Ross (Hailee Steinfeld), 14 ans, se démène pour retrouver Tom Chaney (Josh Brolin) l’assassin de son père. Le meurtrier s’étant réfugié en plein territoire indien, elle embauche plus ou moins de force, le marshall Rooster Cogburn (Jeff Bridges), personnage irascible et alcoolique à la réputation sulfureuse. Ils sont rejoints dans leur quête par LaBoeuf (Matt Damon) un ranger cabotin et balourd bien décidé lui aussi, à mettre la main sur Chaney, mais pour des motifs plus pécuniaires.
On retrouve bien sûr les éléments typiques du cinéma des Coen : personnages étranges et passablement ahuris, humour noir très noir, explosions tétanisantes de violence burlesque… Cependant tout ça est mis en sourdine, en second plan, pour mieux se focaliser sur des éléments plus inattendus chez nos deux lurons.
Il y a ainsi une surprenante jubilation de la langue, notable d’abord dans les réjouissantes joutes verbales opposants notre trio central, mais qui contamine aussi tous les personnages secondaires. C’est à peine croyable ce qu’ils arrivent à mettre dans la bouche d’un trappeur royalement drapé d’une peau d’ours ou d’un gangster mélancolique.
Ensuite, il y a un plaisir peut être un peu régressif à suivre une trame assez balisée. La relation entre le marshall borgne et la jeune fille, les péripéties et les duels ne sont guère originaux mais restent plaisants de bout en bout. Surtout que l’ensemble est porté par une prestation remarquable de la totalité du casting (avec même la débutante Hailee Steinfeld damant le pion à ce grand cabot de Jeff Bridges).
De plus, même si c’est en arrière plan, les Coen n’oublient pas d’apporter des petites touches plus nuancés à l’ensemble. Les motivations de tous ne sont pas si simplistes que ça, la mort est une fois de plus omniprésente. Ces filous n’hésitent pas non plus à glisser quelques touches plus féériques emportant le récit vers d’autres territoires : l’ascension de l’arbre du pendu, le puits et surtout le ciel étoilé de la fin.
Car en effet, le plus fort du film c’est son chapitre final. Après 1h30 de western extrêmement plaisant mais plus convenu que ce à quoi on pouvait s’attendre, la conclusion en deux temps projette soudain le film vers des territoires insoupçonnés dont je vous laisse découvrir la teneur. Sachez juste que l’on y trouve une sublime déclaration d’amour au cinéma et que l’ultime plan est une des choses les plus bouleversantes que j’ai pu voir sur un écran dernièrement.
Les Coen confirment donc leur grande forme actuelle avec un western respectant les canons du genre mais plus subtil qu’il n’y paraît et surtout transfiguré par une fin époustouflante.
Face à ces auteurs confirmés qui rencontrent apparemment un succès public conséquent, on retrouve donc le plus confidentiel Winter’s bone, second film de Debra Granik.
C’est l’histoire de Ree Dolly, 17 ans, (Jennifer Lawrence) s’occupant seule en plein cœur du Missouri de sa mère mutique et de ses jeunes frères et sœurs. Quand son père après être sorti de prison, disparaît sans laisser de trace en ayant mis leur maison sous caution, elle n’a pas d’autre choix que de partir à sa recherche pour éviter la saisie.
Là encore, on est en terrain connu. Tous les éléments classiques du cinéma indépendant américain sont là : portrait du monde des exclus, réalisme social, réalisation caméra à l’épaule. Heureusement pour nous et contrairement à l’immense majorité de la production de ces dernières années, Debra Granik arrive à apporter une grande personnalité et une force remarquable à son film.
D’abord parce qu’elle tire le meilleur du livre de Daniel Woodrell et que son scénario est un véritable polar familial intense et tendu.
Ensuite parce la direction d’acteur est elle aussi de haute volée. Le casting mêle acteurs professionnels et amateurs sans que cela ne mène à un sentiment d’hétérogénéité, bien au contraire. La jeune mais déjà confirmée Jennifer Lawrence incarne parfaitement le mélange de fragilité et de courage de Ree, louvoyant avec une obstination sans faille dans les méandres d’une famille de hillbillies pouvant tour à tour se montrer solidaire, accueillante ou terrifiante de violence. Mention spéciale aussi à John Hawkes, interprétant avec une présence indéniable Teardrop, l’oncle ravagé et pourtant touchant.
Enfin parce que c’est visuellement très impressionnant. Les décors plongés dans une lumière hivernale mélangeant bicoques délabrés, carcasses abandonnées et sombres forêts des Ozarks sont employés avec un sens remarquable du détail. Il semble du coup totalement naturel que le film n’hésite pas à dériver par moment vers des territoires plus proches du conte de fée. Notamment lors d’une remarquable ballade en barque nocturne impressionnante de puissance évocatrice.
Debra Granik fait donc preuve d’une maîtrise remarquable pour seulement son deuxième film et rassure (un tout petit peu hélas) sur la capacité du cinéma indépendant US à sortir du triste marasme de ces dernières années.
Deux films montrant le cinéma américain à son meilleur. Deux films mêlant avec bonheur réalisme et allégorie. Deux films portés par les prestations habitées, et tout en finesse, de deux actrices qui seront à suivre par le futur. Deux films parlant de la fin d’un monde et de passage à l’age adulte. Deux films hantés par la mort mais illuminés par la grâce juvénile de ces demoiselles.
True Grit et Winter’s Bone sont actuellement à l’affiche du cinéma Arvor.