À alter1fo, on aime aussi nos polars en images. L’entaille, première Bande Dessinée du très prometteur Antoine Maillard, est un de nos grands chocs littéraires de ce premier trimestre 2021. Plongez avec nous dans ce superbe hommage au cinéma de genre et dans les eaux les plus sombres et les plus troubles de l’adolescence.
Vous avez peut-être déjà été frappé par le trait puissant et les compositions expressionnistes d’Antoine Maillard si vous êtes un lecteur de The New York Times, The Atlantic, The New Yorker ou encore Télérama ou la revue XXI de ce côté de l’Atlantique. Pour sa première Bande Dessinée, le jeune homme a choisi les épatantes éditions Cornélius. Choix judicieux, car L’entaille, avec son superbe volume broché, son papier rendant parfaitement justice aux nuances de gris et aux noirs profonds de l’auteur et sa couverture aux couleurs saisissantes, ne passe pas inaperçu sur les étagères des librairies.
Un mystérieux tueur massacre à grands coups de batte de baseball deux jeunes filles dans une petite ville américaine du bord de mer. Les vies des outsiders du lycée comme Pola, la dealeuse au caractère bien trempé, de Daniel le geek aux rêves inquiétants mais également celle de la plus populaire mais tout aussi troublée Laurie vont basculer vers des territoires plus sombres. A moins que ces meurtres ne soient seulement le révélateur qui va faire émerger les secrets les plus noirs ?
Ce qui nous a frappé en premier lieu dans cet album, c’est la maitrise graphique et narrative de l’auteur tout à fait remarquables pour une première œuvre. Les planches entièrement réalisées au crayon papier sourdent d’une sombre luminosité. Les aplats de gris texturés par le papier apportent à la fois une sensorielle et charbonneuse réalité et un onirisme inquiétant au récit. La narration est tout aussi maîtrisée avec un équilibre savant entre saisissantes irruptions de violence et moments de suspension (notamment grâce à de superbes dessins pleine page). Une maîtrise qui est au service d’un récit aussi fluide qu’haletant dont la tension vous laissera en apnée de la première à la dernière page.
L’ouvrage est un hommage limpide et très réussi à une frange onirique et maniérisme du cinéma de genre américain. On y retrouve la férocité et le sens du cadrage du Halloween de John Carpenter mais aussi l’étrangeté et la violence souterraine fouissant sous la banalité du Blue Velvet de David Lynch. Le livre nous évoque aussi une merveille de noirceur encore trop souvent méconnue : la saga Stray Bullets de David Lapham. Ces deux bandes dessinées ont en commun d’être des thrillers d’une efficacité redoutable mais aussi des évocations sensibles et terrifiantes de l’âge des possibles. Chez Maillard comme chez Lapham, l’adolescence est au cœur du récit. Le deuil inconsolable de l’innocence, les fulgurantes pulsions de vie et de mort, l’absurdité du monde adulte, l’absence et l’incompréhension parentale sont traités, en arrière plan certes, mais avec une grande finesse
Amateurs de noirceurs ou pas, nous vous invitons chaudement à vous jeter sur L’entaille d’Antoine Maillard. N’hésitez pas non plus à vous y replonger encore et encore. Chaque relecture sera une nouvelle opportunité d’en explorer la mécanique narrative redoutable mais aussi les mystères qui se dissimulent dans l’ombre du tueur à la batte.
L’entaille, d’Antoine Maillard
Chez Cornelius, mars 2021, format 22,4 x 29 cm, 152 pages, 25,50 €