Des koras, un chanteur grippé, une partie de cache-cache, des gâteaux et des minots : on vous raconte les concerts de Buriers et Stranded Horse à l’Antipode MJC ce dimanche 13 mars pour l’Instant Thé. Compte-rendu.
S’enfermer dans une salle de concert toute noire alors que les soleils annonciateurs du printemps dardent dehors pour la première fois depuis des semaines, c’est le choix fort étrange fait par longue file de spectateurs qui s’attroupe devant l’Antipode MJC ce dimanche 13 mars. Il faut croire que la programmation pour gourmands mélomanes (et vice-versa) de ce nouvel Instant Thé a su taper dans l’oreille et les papilles. Comme toujours (ou quasi), pour ces concerts d’après-midis en famille, de petites tables et des chaises ont été disposées devant la scène. A chacun de s’installer comme bon lui semble : debout, sur un siège, à genoux, les fesses par terre… Autour, ça piaille, ça picore plus ou moins goulument les gâteaux, ça fait la course à quatre pattes. Certains vont à la garderie organisée par l’Antipode, d’autres profitent de leur(s) premier(s) concert(s) en famille. Nous on a choisi l’option fesses par terre, au milieu de bouilles curieuses et ravies… voire un tantinet chocolatées.
Buriers
Sur la scène, batterie, violoncelle, harmonium à soufflet sur lequel on lit Buriers écrit au scotch blanc et guitare acoustique attendent les Londoniens (de Buriers donc -autrefois Band of Buriers-). Nuque longue et t-shirt DIY décoré au stylo bille, James P. Honey s’accroche à son micro pour déclamer d’un flow percutant et habité un Fool’s errand particulièrement incisif. L’accent britannique est rocailleux, la voix charrie des graviers jusque profond dans la gorge. De graves notes au violoncelle (Jamie Romain, assis, à gauche) servent de tapis mélodique à la logorrhée percussive de James P. Honey, tandis que Jamie Gillett frappe sa batterie de roulements étouffés. Complainte en cavalcade, ce premier titre donne le ton d’un concert à la solide intensité.
Imaginez un flow plus parlé que chanté sur un violoncelle. Une scansion vocale habitée sur des arpèges décharnés et des cordes profondes et déchirantes. Sans oublier un sens inné pour composer des ritournelles raclées à l’os. Vous avez Buriers.
In Honour, qui suit, confirme d’ailleurs la donne. Les Buriers creusent profond. Le même flow scandé sur des arpèges minimalistes, une batterie sèche qui écorche l’épiderme, jusqu’à cette entrée du violoncelle pour un virage mélodique et harmonique qui prend au cœur. La cascade vocale s’interrompt alors pour laisser place à une lente plainte de cordes frottées à l’archet, avant que le morceau ne bifurque de nouveau avec une voix moins ponctuée, mais tout aussi prenante. L’univers de Buriers surprend, mais ravit par sa confrontation des genres. Le public ne s’y trompe pas et applaudit sacrément chaleureusement le trio. Il faut dire que l’ami James P. Honey, pourtant bien attaqué par les microbes (il avoue rêver de passer la journée du lendemain au lit, vante même les mérites de l’eau minérale) se révèle zébulon fort sympathique entre les morceaux.
La rythmique aux balais d’In the green time relève encore l’accentuation du flow, mais le propos est plus voilé et mélancolique, moins scandé qu’en ouverture de set. Jamie Romain assure également au chœurs, pour des notes tenues dont les fréquences rejoignent celles de son violoncelle. Le mélange de l’intensité du chant, plutôt acharné, avec celle des mélodies (chœur, violoncelle, arpèges à la guitare) fonctionne étonamment bien. Sur Retreading Tide (enregistré au Texas –par Micah P. Hinson– « c’est très différent de l’Europe, dans tous les domaines » rigole le chanteur), Jamie Gillett s’installe derrière l’harmonium à soufflet. Ses lentes plaintes graves toutes en vibrations accompagnent un violoncelle saisissant.
C’est alors qu’on se laisse surprendre par un coup d’archet soudain qui fait pareillement sursauter les kids autour de nous. Sans prévenir, le trio a enchaîné sur les coups de boutoir de Stuffing A Chest With Twigs : voix uppercut, cordes obsédantes, batterie grave tout en roulements de tonnerre, ça s’emballe fort. Et l’intensité ne baisse quasiment pas d’un iota sur le titre suivant (Lynchmob Hero) qui voit James P. Honey s’agiter comme un pantin désarticulé. Loin d’être impressionnés, les minots autour de nous partent en grands éclats de rire, tapant des mains et des pieds, trouvant tout ça pour le moins hilarant. Sur We are small, James P. Honey rigolera gentiment « He ! Moi j’essaie de travailler, là » à deux kids extatiques et montés sur ressort. Les parents sont contents : les kids s’amusent et apprécient, et eux profitent d’un chouette concert. La poupée qui danse dans les petites mains devant nous semble également du même avis.
La chaleur des applaudissements ne se dément pas, qu’il s’agisse du très bon We are small (sur le tout récent To Speak Of One’s Own Pride enregistré cette fois-ci entre Londres et Brighton et publié sur Endemik Records -2016) ou d’un Cello Dub marqué par un couplet éructé quasi a capella avant une rythmique aux mailloches étouffée et l’entrée d’une très belle seconde voix alors que l’instrumentation gagne en épaisseur. Les arpèges à la guitare et la mélodie tournante de Slides By se révèlent aussi prenants juste avant que James P. Honey n’achève alors le set seul à la guitare avec Wolfie, une cover de Scout Niblett, toute en retenue. Au final, tout le monde semble ravi.
Si l’on en croit d’ailleurs le nombre de personnes qui achètent le disque à la sortie, Buriers a plutôt convaincu. Et ce n’est que justice tant la musique des fossoyeurs britanniques mélange avec talent mélodies indie pop et spoken world orchestré, fragilité des cordes, voix grave à la Leonard Cohen au grain plus punk qu’enveloppant, facture DIY et instrumentation folk.
L’heure est alors venue pour les parties de cache-cache à quatre pattes entre deux bouchées de cake à la banane.
Stranded Horse
Juste après, les yeux s’écarquillent devant les deux koras manipulées par Boubacar Cissokho et Yann Tambour. Projet mené par Yann Tambour, Stranded Horse, qui a raccourci son nom (feu Thee, Stranded Horse), est en effet né de la rencontre du musicien avec la kora, sorte de harpe-luth à vingt cordes très utilisée en Afrique occidentale (et maintenant plutôt connue par ici), et un retour à la guitare classique acoustique. De l’idée de fondre les deux ensemble est né Stranded Horse.
Cette kora, Yann Tambour s’ingénie maintenant à la modifier, à la re-construire, en fabriquant ses propres instruments, plus compacts, plus légers. Voire plus adaptés au concert et aux difficultés d’accordage (une kora traditionnelle est diatonique et non chromatique comme la guitare) telle cette dernière née, la formikora, kora chromatique à leviers de harpe en kéno, érable et formica. Pourtant cet après-midi, c’est essentiellement à la guitare acoustique qu’on entendra le musicien.
Pour leur entrée en scène, les deux amis accordent leurs instruments puis entrelacent leurs arpèges, Yann Tambour jouant d’ailleurs en même temps kora et guitare acoustique. Les sonorités cristallines de la kora s’élèvent, accompagnées des arpèges mélancoliques de la guitare, tandis que Yann Tambour entame le premier couplet de ce Sharp Tongues, tout en douceur et retenue. Le violon (Miguel Bahamondes-Rojas) vient à son tour s’y mélanger les cordes. Quant à Amaury Ranger, désormais entré sur scène derrière ses percussions, il caresse une grosse calebasse et frotte le corps de l’instrument à l’aide d’une baguette (balai ?). La montée est lente et progressive mais le morceau, s’il gagne de plus en plus d’ampleur, reste contemplatif et aérien de bout en bout. D’autant plus lorsque Eloïse Decazes, moitié du duo Arlt (un peu ce qui se fait de mieux dans la chanson éblouie, fracassée et fracassante) entre à son tour sur la scène et accompagne le chant de sa voix radieuse et fascinante.
Elle reste d’ailleurs sur scène pour Monde qui suit et fera, tout au long du set, des allers-retours entre les coulisses et le plateau, chantant sur tel morceau, absente sur tel autre, captivant tout autant regards et oreilles à chacune de ses apparitions par son incandescente présence et la puissante fragilité de sa voix haute. Les arpèges sautillants de Monde, tout comme l’alternance des deux voix en réponses, dynamisent (légèrement) le propos. Les kids semblent à nouveau tout ouïe.
On délaisse alors Luxe, le tout dernier album de Stranded Horse, qui constitue l’essentiel de la setlist du concert, pour une cover particulièrement surprenante : Transmission (qu’on peut retrouver sur un 45 tours né à la suite d’une résidence de création à l’Institut Français de Dakar). Joy Division se trouve soudain basculé des brumes de Manchester au soleil africain : pizzicati au violon, cascade de cordes étincelantes sur la kora. Le morceau en sort essoré de lumière.
Autour, il y a les emballés, ceux qui se laissent prendre par cette cascade de notes, entraînés par ces métissages subtils (les hammers sur les cordes de la guitare d‘A faint light sur les notes aigues de la kora), ces belles montées (A faint light toujours), la virtuosité délicate des musiciens (on pense aux percussions tout en finesse A faint Light, Unusual ways). Ou qui restent l’oreille captivée par les vagabondages du plutôt culotté (mais fort réussi) Unusual Ways, par les voltiges vocales en duo d’Eloïse Decazes/ Yann Tabour (très chouette Refondre les hémisphères). D’autres, en revanche, s’ennuient poliment. Pourtant le set est varié pour peu qu’on y prête attention (on passe du classique mais fort plaisant Ode to scabbies avec Eloïse Decazes au joyeux et sautillant My Name is carnival, reprise de Jackson C. Frank – « ce morceau est une fête » ), rythmé par les entrées et sorties de musiciens et par la palette colorée et métissée des morceaux.
C’est d’ailleurs une belle première pour Stranded Horse ce dimanche à l’Antipode. C’est le premier concert avec ce line-up et pourtant la complicité entre les musiciens est déjà belle à voir. L’immense (et constant) sourire de Boubacar Cissokho, les fausses blagues de Yann Tambour qui tombent à plat dans les rires, le charisme intemporel d’Eloïse Decazes, la subtilité d’Amaury Ranger et Miguel Bahamondes-Rojas, tout est déjà là. Et augure de bien belles choses pour Stranded Horse.
Pour introduire Dakar, Yann Tambour revient d’ailleurs sur la genèse de Luxe. Sur cette forte envie de se laisser porter par les rencontres, de s’ouvrir aux collaborations. On se souvient d’avoir vu Yann Tambour en solo, en duo. On est ravi de le retrouver dans cette nouvelle direction qui donne encore de nouvelles couleurs à son projet.
Pour Dakar seuls Boubacar Cissokho et Yann Tambour restent sur scène pour un très beau moment de cordes (guitare/kora) entrelacées, tout en arpèges et en nuances. On se laisse porter. La ville est une fleur à genoux, avec des graviers sur le cou.
Puis Boubakar Cissokho sort à son tour laissant Yann Tambour seul en scène, avant de revenir sur scène, en crescendo, comme ses comparses Amaury Ranger et Miguel Bahamondes-Rojas, pour un dernier morceau progressivement étoffé. Au final, on passe un bien chouette moment. Et si les rangs se parsèment (les petits ne doivent pas rentrer trop tard), ceux qui restent en profitent avec le sourire.
Il fait peut-être beau dehors, mais c’est finalement déjà avec du soleil plein la tête qu’on sort de l’Antipode. Une nouvelle fois, l’Instant Thé a réussi son pari : transformer la tristesse légendaire des dimanches en délicate euphorie.