Dans le cadre de l’exposition du Musée de Bretagne Rennes en Chansons, plusieurs concerts sont proposés. Le Service Culturel des Champs Libres en association avec Le Jardin Moderne braque en effet le projecteur sur la scène locale rennaise en choisissant de proposer quelques concerts de « chanson dite non-traditionnelle » . Après Sezam il y a quinze jours, c’est Del Cielo qui a pris d’assaut mélancolique la salle de conférence Hubert Curien pour un concert d’une heure.
Bien sûr, c’est toujours un peu déconcertant, un concert « rock » assis dans des sièges confortables. Quand en plus, le concert se déroule entre 12h30 et 13h30, on perd encore davantage ses repères. Pourtant, Del Cielo va réussir à arrêter le temps, la vie en cours qui va s’écouler avant, après et nous donner une heure en plus dans nos vies. Del Cielo, c’est un duo qui existe déjà depuis 2006. Au départ, une collaboration inattendue pour le label Range ta chambre (pour la compilation « Fais chanter tes copines » ) entre Cécile Bellat aka Liz Bastard et Gaël Desbois, célèbre par ici pour Mobiil, son travail avec Lætitia Sheriff, ainsi que pour ses collaborations ponctuelles ou au long cours avec Psykick Lyrikah, Miossec, Nestor Is Bianca pour n’en citer que quelques unes.
De cette rencontre impromptue naîtra un premier Ep, sorti en 2007 qui donnera à beaucoup l’envie d’en entendre plus. Pour la compilation de Range ta chambre, le duo avait créé un morceau pop, en anglais. Mais la collision avec le français va amener le projet vers des rivages un peu différents. Comme l’expliquait Liz Bastard dans une interview réalisée par Ced pour les Trans Musicales 2009 où Del Cielo était programmé, ses textes ne s’écrivent pas en accord avec la musique, mais plutôt contre, ou davantage « à côté » . Car les rôles, dans Del Cielo, semblent bien délimités : les textes et la voix sont le fait de Liz Bastard, et « tout le reste ou presque » comme inscrit sur le premier album « Sous les Cendres » est assuré par Gaël Desbois. C’est donc le batteur-compositeur qui est responsable de toutes les musiques ainsi que des arrangements.
Pour la sortie de « Sous les Cendres », le duo expliquait que la musique vient d’abord et que ce n’est qu’ensuite que Liz Bastard crée les textes qui vont venir prendre leur place contre. Contre, à côté, car Liz Bastard choisit une sorte de non-chant, une voix blanche qui rappelle, malgré un timbre féminin plus sensuel, les scansions d’un Diabologum ou d’Experience avec des textes qui incisent « un goût permanent pour les failles et les fissures, et les entailles et les blessures et les entailles et les brûlures » . On n’était donc pas étonné sur l’album de retrouver les pesanteurs graves du timbre d’Arm sur quelques titres. Autre compagnon de label, Robert le Magnifique (retrouvez l’interview d’Idwet ici) viendra poser de temps en temps sa basse et quelques scratches. Pour tout le reste, ou presque c’est l’œuvre de Gaël Desbois donc : production ascétique, climats orageux électriques qui naviguent entre boucles hip hop déviant et guitares post-rock claires et déchiquetées, nappés d’une froide brume électronique. Mais si Gaël Desbois est le batteur-compositeur du duo, comment font-ils alors sur scène pour tout jouer ?
La formation souhaitant rester duo en live, les deux artistes ont choisi d’utiliser des boucles enregistrées. Pour garder l’énergie de leurs morceaux à la fois désincarnés et percutants, Gaël Desbois s’installe, debout, derrière une batterie minimale : une caisse claire, une grosse caisse et quelques symbales. Rien de plus, mais rien de moins. C’est lui aussi qui lance les séquences enregistrées au début de chaque titre. Parfois il assure les chœurs sur un ou deux morceaux. A côté de lui, Liz Bastard, en short en jean et collant opaque assure la voix. Et on note déjà une première réussite : on oublie très vite qu’ils jouent avec des séquences enregistrées. La voix comme la batterie ne semblent pas artificiellement collées sur les boucles, au contraire. On a vraiment l’impression d’entendre une prestation « d’un bloc » .
C’est sûrement dû, d’une part à la voix de Liz Bastard qui se pose parfaitement sur, pardon, à côté des boucles. Sa maîtrise technique est impressionnante car l’exercice de ne pas chanter tout en restant dans le temps semble peu aisé et elle y réussit avec une facilité qui déconcerte. C’est aussi sûrement le fait de la technique tout aussi maîtrisée de Gaël Desbois. Son jeu tout en finesse, qu’il utilise des balais ou rods (je crois ?) insuffle à la fois la pêche et la percussion nécessaires aux morceaux et un toucher tout en délicatesse.
La prestation est tout sauf déshumanisée, et on se laisse très vite prendre par les ambiances glacées et cet acide sussuré… « On ne crie pas tout bas » . Bien sûr. Malgré quelques mélodies un tout petit peu plus sautillantes, l’ensemble reste tendu, plombé par ces pressions d’avant l’orage, et d’une mélancolie à vif. On en redemande. Liz Bastard, entre les morceaux, remercie. Puis après quelques titres, s’auto-qualifie de « la fille qui ne savait que dire merci » . On en est loin, et le duo sait faire bien plus que simplement remercier. La prestation de cet après midi aux Champs Libres démontre sans conteste le talent de la formation rennaise, et même si certains membres du public semblent un peu désarçonnés par cette proposition loin des charts Fm, ces « petits pas fragiles vers le néant certain » germeront, il est sûr, dans des oreilles fertiles.
Photos : Caro
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Del Cielo sera aussi en concert au printemps à l’Antipode pour le festival Mythos et la sortie de son nouvel album « Sur des braises » le 14 avril 2011.
Myspace de Del Cielo : http://www.myspace.com/opendelcielo
Rennes en Chansons : jusqu’au 13 mars 2011, Musée de Bretagne – Les Champs Libres : http://rennes-en-chansons.fr/
c est génial