« Que fait la police ? », s’est demandé Paul Rocher à Rennes

Après deux reports successifs en mars dernier, il est peu de dire que sa venue était bigrement attendue. C’est donc ce jeudi 27 avril qu’une vingtaine de personnes a eu l’opportunité d’écouter l’économiste Paul Rocher(*), invité par la librairie Planète Io. Durant près de deux heures, l’auteur du livre intitulé « Que fait la police ? Et comment s’en passer » a démystifié certaines idées préconçues qui entravent une réflexion impartiale concernant l’institution policière. La soirée s’est conclue par la séance habituelle mais essentielle de questions-réponses.
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[03 Février 2020] – Un jour, une photo : « Alarmons-nous, désarmons-les »
à Rennes, près des Horizons (2019)

À peine descendu du train qui l’a amené jusqu’à Rennes avec un léger retard, Paul Rocher débute son intervention de manière frontale, directe. Sans sommation. L’idée préconçue selon laquelle la police manque de moyens est fausse.

En effet, au contraire des autres services publics comme la Santé, ou l’Éducation nationale qui doivent se serrer la ceinture, les forces de l’ordre sont choyées par les gouvernements successifs. De droite, comme ceux dits – ouvrez grand les guillemets – de gauche. Les dépenses de l’État en faveur de la police ont augmenté de 35 % en trente ans. Mieux (ou pire, c’est selon), depuis 2016, chaque année est une nouvelle année record du nombre de policier·ère·s supplémentaires. De fait, Paul Rocher nous livre une comparaison troublante. « La France compte aujourd’hui en proportion par habitant plus de policiers et policières que dans un état autoritaire comme la RDA au début des années 1960. » Un ange passe dans l’auditoire. Mais ce n’est pas fini.

« Loin d'être au régime, l'appareil policier a grossi de 35 % en 30 ans ! » Paul Rocher / Twitter.X (31/07/2023)
« Loin d’être au régime, l’appareil policier a grossi de 35 % en 30 ans ! » Paul Rocher / Twitter.X (31/07/2023)

Alors que leur nombre est déjà à un niveau jamais inégalé, la loi LOPMI votée en novembre dernier prévoit l’augmentation de 25 % du budget du ministère de l’Intérieur d’ici 2027 (+15 milliards d’euros, recrutement de 8 500 policiers, policières et gendarmes supplémentaires). L’argent magique, tout ça, tout ça.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Source : commission des finances du Sénat (d’après les documents budgétaires)

Une explication souvent entendue ici ou là est d’affirmer que cela n’est qu’une conséquence logique et pragmatique face à la hausse de la délinquance en France. Oui… Mais non ! Même si le mythe de l’ensauvagement de la société est régulièrement alimenté par les politiques et médias, Paul Rocher affirme que « le niveau de violence n’a pas explosé. Sur les trente dernières années, les déviances stagnent, voire déclinent. »


L’insécurité et la délinquance en France ont-elles augmenté en 2022 ?
L’insécurité et la délinquance en France ont-elles augmenté en 2022 ?

L’auteur justifie son propos à travers des enquêtes de victimation, réalisées par des chercheurs et chercheuses, indépendantes d’un ministère de l’Intérieur qui n’a de cesse de tripatouiller ses propres modes de calcul. Et puisque rien ne justifie les moyens, Paul Rocher le dit très clairement. « On assiste en réalité à une réorganisation autoritaire du pays où le recours à la force policière se banalise. »



Mais alors, cette débauche de moyens doit quand même bien servir à quelque chose ? Même pas, dis donc !

La hausse des dépenses publiques ne s’accompagne pas des résultats attendus ni d’une quelconque amélioration du service rendu. Paul Rocher nous délivre qu’il n’y a aucun lien entre ce que fait la police et l’évolution des actes criminels. Et pour cause, selon l’auteur du livre, la police ne passe qu’une infime partie de son temps de travail, à peine 10 % tout au plus, à traiter des affaires en lien direct avec le crime. Le reste ? Tâches administratives, renseignements, conflits de voisinage, gestion de la circulation, contrôle des militant·e·s politiques, etc.  Le récit simpliste et naïf raconté par Darmanin selon lequel « les policiers courent derrière les voyous et nous protègent du crime », utilisé pour légitimer son existence, en prend un coup. Mais que l’on se rassure, W9 ou RTL9 continueront à diffuser leurs émissions pro-flics-et-courses-poursuites-sur-le-périph.

+ d’1fos : Une enquête de la Cour des Comptes publiée le 11 mai dernier précise que « malgré la hausse des effectifs de la police judiciaire (PJ), la Cour des comptes note une baisse du taux d’élucidation, alors le niveau des « faits constatés » par la police et la gendarmerie et constituant une infraction, demeure stable sur la dernière décennie. (2,4 millions de faits constatés en moyenne entre 2010 et 2019)  »

 

Mais alors, que fait la police ? C’est bien ici la force du livre. L’idée que la police soit au service du public, du bien commun est remise en question. Et pas qu’un peu ! Surtout que quand elle agit, la police agit mal. Allô, place Beauvau ?

Récemment, l’ONU a sévèrement recadré la France et l’a fortement incitée à repenser sa politique en matière de maintien de l’ordre. Paul Rocher explique que l’institution policière ne reflète absolument pas un échantillon représentatif de la population française. L’étudier à travers le prisme de sa composition sociale risque de nous faire oublier qu’une majorité des futur·e·s policiers et policières « ont une conception purement répressive du métier ». La police attire particulièrement des profils autoritaires, « ayant un goût pour la violence ».



Fait troublant, Paul Rocher rapporte que selon des études anglophones disponibles, les policiers sont plus souvent auteurs de violences sexistes et sexuelles que la population masculine générale (quatre fois plus !). Et pourtant, régulièrement, l’institution fait bloc. Au mieux, elle lâche quelques brebis galeuses, histoire de faire croire à des sanctions internes, mais le plus souvent vole au secours des policiers accusés de violences.

La journaliste Sophie Boutboul, autrice d’une enquête essentielle sur ces femmes victimes de violences conjugales de la part de gendarmes et policiers, confirme les propos tenus. « Les cas de violences policières commises en service et de violences conjugales commises par des gendarmes et policiers sont très sensiblement similaires : le traitement de faveur, le fait de se couvrir avec un collègue, le refus de plainte, le fait de minimiser les plaintes… »

Place Sainte-anne, Rennes (2023)

Paul Rocher rappelle que « née avec le capitalisme, la police est une forme sociale au service de l’ordre établi », des dominant·e·s et finalement qu’elle se vit comme une « citadelle assiégée ». Cela rappelle l’aveu de l’ex-préfet de police de Paris, Didier Lallement, filmé en pleine crise des gilets jaunes : « nous ne sommes pas du même camp, madame ! »

Finalement, l’institution policière anesthésie, absorbe toute individualité et homogénéise le groupe. Incapable de travail autoréflexif, elle se distingue du reste de la société qu’elle regarde avec méfiance, voire hostilité. Pire, elle entretient les problèmes qu’elle crée elle-même. #SpoilerAlert, Paul Rocher l’avoue sans fard, tout projet de réforme est impossible. Alors maintenant, on fait quoi ?


(*) Paul Rocher est économiste et diplômé en science politique de Sciences Po Paris. Il étudie le maintien de l’ordre et notamment l’impact des armes « non létales » sur le comportement des forces de l’ordre et des manifestants.

 

Partie 2 : « Les armes non létales conduisent à déresponsabiliser leurs utilisateurs des conséquences de leurs actes. »

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