Retour sur l’enquête du Mensuel de Rennes sur les « harragas » marocains

A rennes, la question des enfants mineurs non accompagnés (MNA) est un sujet récurrent pour la presse quotidienne régionale. Cette frénésie éditoriale s’est cristallisée fin Août avec la tenue d’une opération de communication commune des autorités – l’été ayant été marqué par plusieurs faits divers ou agressions mettant en cause des « délinquants revendiquant le statut de mineurs isolés étrangers » selon les mots du directeur départemental adjoint de la sécurité publique. Le sujet a pris une telle ampleur que devant l’insistance de l’opposition de la droite-qui-veut-armer-sa-police et le flot continu de commentaires nauséabonds et haineux sur les réseaux sociaux, l’élu en charge de la sécurité a dû s’expliquer lors du conseil municipal du mois dernier. « Nous sommes conscients des problèmes de sécurité sur cette ville et qu’il y a eu cet été un phénomène très particulier qui est la présence de mineurs non accompagnés délinquants, en nombre restreint sans doute 30 à 40 personnes. » Hubert Chardonnet précise d’ailleurs que « ces derniers ne sont pas représentatifs de la majorité des MNA rennais. » (NDLR : Leur nombre est évalué à près de 500 sur tout le département.)
Dans son numéro d’octobre, le magazine du Mensuel de Rennes a décidé de remonter à la source et d’aller directement au Maroc pour enquêter sur ces jeunes qui, après un parcours périlleux d’exil, se retrouvent sur notre territoire, sans représentant légal ni protection familiale ni adulte référent. Un mineur isolé reste et restera avant tout un enfant en danger. Comprendre ce qu’il se passe ici nécessite souvent de connaître ce qu’il se passe là-bas. Il nous semblait donc important de mettre en lumière cet effort journalistique, les reportages dits « de terrain » devenant de plus en plus rares.
Interview avec Julien Joly, journaliste au Mensuel de Rennes.

►► ALTER1FO : Peux-tu nous expliquer le contexte et les raisons de ce reportage publié dans le Mensuel de Rennes du mois d’octobre 2018 ?

Depuis plus de deux ans à Rennes, la justice a maille à partir avec des jeunes, parfois des très jeunes, impliqués dans des vols ou du trafic de stupéfiants.  Les élections municipales approchant, le sujet est devenu brûlant politiquement. La police avait remarqué que ces jeunes venaient quasiment tous de la même ville, Oujda, au Maroc, près de la frontière algérienne. Au Mensuel de Rennes, on s’est demandé pourquoi. Étaient-ils envoyés par un réseau ? Au final, ces gamins qu’on a l’habitude de voir sous les arcades de République ou place Saint-Michel, on ne les connaît pas du tout. On a voulu partir au Maroc pour savoir qui ils étaient, s’ils avaient une famille au courant de leur vie ici… Bref, on voulait connaît le début de leur histoire.

►► As-tu rencontré des difficultés sur place et si oui lesquelles ?

La police marocaine n’aime pas trop qu’on fouille dans les aspects négatifs du pays. J’ai essayé d’être discret au maximum avec mon appareil photo et en discutant avec les gens sur place, mais c’était mission impossible : il n’y avait quasiment pas de touristes européens, impossible de se fondre dans la masse. Il y avait aussi la barrière de la langue. Beaucoup de jeunes ne vont pas à l’école et ne parlent pas français. Heureusement, on trouve toujours quelqu’un pour traduire.

►► Qu’est-ce qui t’a le plus marqué une fois sur place concernant l’histoire de ces jeunes mineurs déterminés à tout lâcher pour rejoindre l’Europe ?

Ils sont rayonnants d’optimisme. Pour eux, la partie la plus difficile est d’arriver en Espagne, cachés dans les bus. Plus ils sont jeunes, moins ils sont conscients des risques qu’ils peuvent courir dans les ports, liés aux drogues, aux exploitations et aux abus. Ni de la vie d’errance qui attend la majorité d’entre eux en France. On a du mal à imaginer ça de notre point de vue. Eux, ils constatent que leurs copains qui ont passé la frontière ont l’air d’avoir la belle vie, et se disent « Pourquoi pas moi ? ». Les parents les encouragent, pour ceux qui ont encore des parents qui s’intéressent à eux. Ça aussi, c’est quelque chose qu’on a du mal à imaginer en France.

►► As-tu gardé contact avec certains d’entre-eux ?

Pas vraiment. Certains avaient envie d’avoir de belles photos d’eux, alors je leur ai donné des clichés que j’ai réalisés pour les remercier. Peut-être qu’un jour je croiserai l’un d’eux à Rennes.

►► Le titre du Mensuel parle de « réseau » mais à la lecture du reportage, on observe surtout le parcours de gamins qui semblent se débrouiller par eux-mêmes, non ?

Alors, certes, à l’origine, ils voyagent seuls ou par tout petits groupes, car leur méthode, se cacher dans les bus, nécessite d’être discret. S’ils se retrouvent coincés dans les enclaves espagnoles sur la côte marocaine, ils se regroupent en bandes.

En revanche, et c’est ce que je marque plus loin dans le dossier, ces enfants sont hyper-connectés avec d’autres Marocains déjà arrivés en Europe, via les réseaux sociaux. Ils n’ont donc aucun mal à trouver des gens de leur régions d’origine qui connaissent déjà les ficelles. Des gens souvent plus âgés, qui peuvent leur procurer un logement, les emmener dans une autre ville, voire les aiguiller sur du trafic de stup’ ou des larcins en profitant de leur statut de mineur. C’est là qu’on peut parler de réseau. Ce n’est pas une mafia pyramidale telle qu’on pourrait se l’imaginer. C’est plutôt une « ubérisation de la délinquance », où des gamins persuadés d’être enfin maîtres de leur vie se retrouvent dans un groupe qui les soutient, et en même temps profite d’eux, les surveille en permanence via ce qu’ils publient en ligne. Un phénomène qui ne touche pas que Rennes mais toute l’Europe, car ces jeunes voyagent beaucoup d’un pays à l’autre.

Pour être tout à fait complet, je dois ajouter qu’Europol a récemment mis au jour un groupe de criminels qui récupérait ces jeunes marocains à leur arrivée en Espagne et les exploitait ou demandait une rançon à leur famille. Mais, à ma connaissance, ça concernait surtout une filière en Espagne.

►► Est-ce que ton regard a changé depuis ton retour sur la délinquance mettant en cause ces jeunes mineurs ?

J’ai vu l’envers du décor de leur vie, j’ai visité leurs quartiers d’origine, parlé à certains d’entre eux. J’ai appris des choses sur la protection de l’enfance au Maroc, pointée du doigt par de nombreuses ONG. Forcément, après ça, on pose un regard différent. Je vois aussi la façon dont ces jeunes se mettent en scène sur les réseaux sociaux, cette illusion de vie rêvée à Rennes qu’ils entretiennent pour leur famille et leurs copains. Alors que derrière, il y a les squats, la violence, le manque d’éducation, le casier judiciaire qui s’alourdit. La peur d’être renvoyé au pays. Et d’être vu comme quelqu’un qui a raté sa chance.

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1 commentaire sur “Retour sur l’enquête du Mensuel de Rennes sur les « harragas » marocains

  1. Franck Pinot

    Que faire quand je suis menacé par plusieurs gamins qui parlent à peine le Français

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