Partie 1 : « La généralisation de l’armement des polices municipales est révélatrice d’un glissement vers un modèle plus interventionniste et plus répressif. »

Voilà, nous y sommes. Rennes vient de basculer du côté obscur de la force (de l’ordre). En effet, la police municipale sera bientôt dotée de pistolets à impulsion électrique (PIE). Même si cette annonce n’est pas une surprise(1), Nathalie Appéré opère là un virage à 180 degrés puisqu’elle n’a eu de cesse de s’y opposer au cours de son dernier mandat. Et pour cause ! Le TASER blesse, mutile, tue. Le Comité contre la torture des Nations Unies a estimé que son usage constituait « une forme de torture » pouvant aller jusqu’à provoquer la mort dans certains cas. En 11 ans, 500 personnes sont décédées aux États-Unis après avoir été touchées par des décharges électriques lors de leur arrestation ou de leur incarcération, selon les chiffres collectés par Amnesty International.

Installation de nouvelles caméras de vidéosurveillance, installation de portillons, surveillance par drones, hausse des effectifs policiers… , Rennes n’est plus l’exception qui confirme la règle et glisse dangereusement sur la pente du « tout sécuritaire ». Cette surenchère a quand même le mérite de rassurer une grande partie de la population rennaise, bienheureuse de croire que la répression serait l’alpha et l’oméga de la sécurité urbaine. Cependant, elle déçoit aussi. Beaucoup espéraient voir une inflexion dans la méthode grâce à l’influence des élu·e·s de la majorité issu·e·s de la liste « Choisir l’écologie pour Rennes ». Mais après la polémique sur le départ du tour de France et à la suite de nombreux articles de presse axés sur le thème de l’insécurité, Nathalie Appéré avait sans doute à cœur de marquer son territoire les esprits pour casser cette mauvaise dynamique. « Le pouvoir régalien revenant au maire », il fallait frapper vite et fort. C’est chose faite. Prochaine étape dans 6 ans : les armes à feux ?

Entretien avec Virginie Malochet, sociologue, spécialiste des questions de sécurité locale.

Virginie Malochet est sociologue, spécialiste des questions de sécurité locale et travaille à l’Institut Paris Région. Au sein de la mission Prévention Sécurité, elle étudie divers aspects de la pluralisation du policing en France. Ses dernières publications portent sur l’implication des collectivités territoriales, des opérateurs de transport, des bailleurs sociaux ou encore des citoyens dans le champ de la sécurité quotidienne

Virginie Malochet

ALTER1FO : Nathalie Appéré, maire de Rennes, va doter sa police municipale (PM) de pistolets à impulsion électrique (PIE). Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Considérant l’évolution globale des polices municipales (PM) ces dernières années, cette décision ne me surprend pas. La tendance à la généralisation de l’armement est largement avérée à l’échelle nationale. Cela étant, par comparaison avec la plupart des autres grandes villes de France, si la police municipale rennaise se dote de pistolets à impulsion électrique, il s’agira là d’un moindre armement.

► En effet, selon un document du ministère de l’Intérieur, 53 % des policiers municipaux sont déjà munis d’armes à feu. C’est le cas, par exemple, à Vitré, Redon, Cesson ou encore Saint-Grégoire…

Exactement. Bien souvent, dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes, les policiers municipaux sont d’ores et déjà armés d’armes individuelles de poing (pistolets, revolvers). Le pistolet à impulsion électrique (PIE) propose une option différente : c’est une arme en dotation collective, chaque policier n’en sera pas pourvu. Souvent, pour les élus locaux, le PIE reste un choix de compromis, un « entre-deux » qui permet de renforcer l’équipement de protection des agents sans pour autant céder à leur demande d’armement létal.

► Paul Rocher, spécialiste de l’impact des armes non létales, prévient dans ses publications que « la disponibilité de l’arme non létale augmente le niveau de violence employé par les forces de l’ordre. » Malgré les risques encourus, armer la police municipale ne provoque guère de réactions localement. En comparaison, refuser le départ du Tour de France semble être un enjeu beaucoup plus important au vu des débats qui ont suivi cette annonce…

La question de l’armement de la PM continue de diviser, mais de moins en moins. Cette revendication est de plus en plus consensuelle. Dans le débat public à ce sujet, il y a eu un point d’inflexion très net avec la vague d’attentats qui a frappé la France en 2015 et les années suivantes.

Parmi toutes les atrocités et en lien avec notre sujet, on se souvient du décès de la policière municipale Clarissa Jean-Philippe, en 2015 à Montrouge, victime d’Amedy Coulibaly…

Malheureusement, il y avait eu un précédent : en 2010, à Villiers-sur-Marne, une autre policière municipale, Aurélie Fouquet, avait trouvé la mort dans l’exercice de ses fonctions, (tuée lors d’une fusillade à l’issue d’un braquage, NDLR). Son décès avait marqué les esprits et renforcé les revendications des syndicats de police municipale pour un armement systématique, mais l’impact politique n’avait pas été si fort.

En 2015, la mort de Clarissa Jean-Philippe, prise pour cible à Montrouge au seul motif qu’elle portait un uniforme, a suscité une émotion d’autant plus vive qu’elle s’est inscrite dans une séquence d’attaques terroristes à fort effet de sidération. Dans ces circonstances, l’armement s’est imposé par-delà les résistances et les clivages antérieurs. Le contexte d’attentats à répétition a conforté les polices municipales dans un rôle de police à part entière, exposée aux dangers, et bien des maires, jusqu’alors frileux ou indécis, ont revu leur position sur l’armement. Au moment où la lutte antiterroriste focalisait toute l’attention publique, la voix de celles et ceux qui ne souhaitaient pas armer la PM est alors devenue minoritaire, quasiment inaudible.

► Un rapport sur le continuum de sécurité remis en 2018 au 1er Ministre préconisait de rendre obligatoire le port d’armes pour les policiers municipaux « sauf décision motivée du maire ». On a toujours du mal à comprendre ce besoin sinon d’y voir une volonté de l’État de se désengager d’une partie de ses missions régaliennes. Autrement dit, il faudrait armer la police municipale pour suppléer la police d’État ?

C’est vous qui le dites et c’est une manière de lire les choses. Mais, dans le fond, les prérogatives de la PM telles qu’elles sont définies juridiquement restent assez larges et laissent à chaque maire une grande marge d’interprétation. D’une ville à l’autre, les polices municipales sont très diverses en taille, dans leur configuration, leur niveau d’équipement, leurs missions, leur plage d’intervention… Chaque municipalité donne une forte empreinte à sa PM.

► Mais alors, armer les polices municipales répond-elle à des études documentées avec chiffres, preuves, données, à l’appui ?

Non, pas forcément… et tout dépend de ce l’on entend par « étude documentée »… Pour ceux qui défendent l’armement, l’argument premier, c’est la protection individuelle des agents et leur capacité à réagir en cas de péril imminent. N’empêche que la question de l’armement revêt aussi une forte dimension symbolique, et c’est très net dans les propos des policiers municipaux que j’ai pu interviewer à ce sujet. L’arme, c’est un point de cristallisation de l’identité policière. Tout comme l’uniforme, c’est un attribut de la fonction policière. Et pour un service de police municipale, cela devient difficile aujourd’hui de recruter et de fidéliser des agents si le ou la maire décide de ne pas offrir la panoplie complète de l’armement.

► Plus de la moitié des polices municipales sont armées, la liste des besoins semble toujours devoir s’allonger. N’est-ce pas là l’expression d’une fuite en avant ? Un retour arrière est-il possible ?

Il sera intéressant d’observer ce que vont faire les maires récemment élus dans les villes où la police municipale est déjà armée, notamment les maires écologistes qui, généralement, se montrent plus réticents à l’armement. Vont-ils/elles pour autant revenir sur cette décision ? Je ne le pense pas. Ce serait risquer de se mettre à dos tout un service, et ce n’est pas forcément la meilleure stratégie pour susciter l’adhésion de la base aux nouvelles orientations municipales.

► « Les armes ont-elles flingué la police de proximité ? », s’interrogeait le quotidien régional ‘La voix du Nord’. En effet, avoir au ceinturon un pistolet – qu’il soit à impulsion électrique ou à balles réelles – ne risque-t-il pas d’être une source d’inquiétude supplémentaire pour un grand nombre de citoyen·ne·s et d’accentuer une défiance ?

A l’évidence, l’image renvoyée n’est pas la même selon que le policier porte ou non le « flingue » au ceinturon. Je voudrais cependant insister sur un point : certains policiers municipaux jouent pleinement la carte de la proximité même s’ils sont armés, et d’autres se prennent carrément pour des « cowboys » alors qu’ils ne sont pas armés. Ce n’est pas le fait de porter une arme en soi qui rompt la relation avec le public. Arme ou pas, ce qui compte avant tout, c’est l’approche, l’orientation de la mission, la manière d’investir le métier policier et de travailler le lien avec la population.

En tendance, il faut cependant bien admettre que la généralisation de l’armement est révélatrice d’un durcissement de l’activité des polices municipales, d’un glissement vers un modèle plus interventionniste et plus répressif, avec moins d’ancrage territorial. J’ai l’habitude de dire que la question de l’armement, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt, le sujet qui empêche de poser la question plus fondamentale de l’utilité des PM, de leur rapport à la population et du rôle qu’on leur donne à jouer.

► Merci.

► Poursuivre la lecture : Partie 2 : « Les armes non létales conduisent à déresponsabiliser leurs utilisateurs des conséquences de leurs actes. »

Propos recueillis par Politistution le mardi 25 aout par téléphone.


(1) Télégramme (12 Juin 2020) : Au premier tour, celle-ci (Nathalie Appéré, NDLR) proposait en effet de créer une brigade nocturne nécessitant de doter les policiers municipaux de pistolets à impulsion électrique. Mais en officialisant son accord avec le vert Matthieu Theurier, la maire a précisé que socialistes et écologistes n’avaient pas réussi à s’entendre sur quatre points, dont celui de la brigade nocturne. Conséquence : si elle est reconduite à la mairie, EELV ne votera pas cette proposition. De quoi remettre en cause son projet ? Pas vraiment. L’organisation de la Police municipale relève seulement d’elle et pas d’un vote. Cela n’a pas échappé à Matthieu Theurier, qui a rappelé ce « pouvoir régalien » durant la conférence de presse.

(2) Accord programmatique entre les listes « Pour Rennes » et « Choisir l’écologie pour Rennes »

BIBLIOGRAPHIE :

PLUS D’ALTER1F0 :

PLUS D’1FOS :

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