Cassie attend sur les marches de la banque, à Coventry. La guerre est finie. Elle doit donner son bébé.
Elle est la septième fille de Martha. Sa mère et ses sœurs sont toutes d’accord : avec ses « passages à vide », elle ne peut pas s’occuper du petit garçon.
La femme qui doit venir est en retard. Cassie patiente un peu, puis rentre avec son enfant. Il s’appellera Franck. Et fera le tour des maisons pour que chacune des femmes, à son tour, puisse s’en occuper.
Martha ayant pris la décision de cet arrangement, elle s’octroie la « période des couches ». Parfois la grand-mère entend frapper à la porte. Les fantômes l’entendent mais ne peuvent lui parler.
Dans la ferme de Tom et Una, quand il y habite, Franck trouve « l’homme derrière la vitre ». Il lui dit quelques mots quand l’enfant lui apporte des cadeaux. Mais il doit le laisser pour vivre chez Ina et Evelyne, ses tantes jumelles, adeptes des mediums. Il est ensuite accueilli avec sa maman dans la communauté dont font partie Beatie et Bernard, les radicaux. Chez Gordon et Aida, enfin, il apprend à préparer les corps pour les veillées funèbres.
Dans son récit, Graham Joyce laisse de la place au lecteur. On est loin de pouvoir tout saisir d’emblée. Quoi de plus logique quand il est question de surnaturel ? Mais cet élément important pour l’histoire, n’en est pas le principal. Est-ce la tendresse ? Il y en a beaucoup. De la passion aussi. Du désir en tout cas. William était soldat avec le mari de Rita. Il a fait une promesse.
Est-ce l’enfance ? Celle de Franck percute le monde déréglé de Ravenscraig, s’adapte aux formes des repas et aux heures de coucher des uns et des autres.
Est-ce la Guerre ? Il y a ceux qui la font, ceux qui la vivent, qui y survivent, comme survivent parfois les parents aux enfants.
Ce pourrait être la famille. Une famille, c’est doux, c’est chaud, et c’est le bordel. On y rit, pleure, s’engueule, se console, se soutient, s’inquiète. On y arrive. On en part.
Graham Joyce est parti l’année dernière. Outre « Lignes de vie », ce début d’année voit la parution de « Comme un conte » chez Bragelonne, l’éditeur chez qui on peut trouver plusieurs autres livres du Britannique.
Mehoudar vient d’arriver à Moscou. Il cherche du travail. Ce sera ambulancier chez Blijni, l’entreprise installée dans une ancienne cathédrale. En service de nuit, il doit suivre Manya et Vinkenti. Elle était médecin, elle a été virée. Lui est le chauffeur de la Jigouli légèrement défectueuse qui leur permet de voler au-dessus des rues de la capitale russe.
Pour son deuxième roman, Cédric Ferrand fait dans l’uchronie. L’Union Soviétique n’est plus, mais les choses se sont passées un peu différemment dans cette ligne temporelle. Ex : pour finir la guerre, les Ukrainiens bombardent Tchernobyl, sur ordre de Bruxelles.
« L’humour est la politesse du désespoir » disait l’auteur du « Fond de l’air est rouge ». Ces personnages n’en sont peut-être pas là, mais quand tout part en cacahuète, les portraits des débrouillards peuvent faire marrer, quand on sait faire. Ferrand sait.
L’exilé québécois se sert parfaitement du point de vue des urgentistes pour tirer le portrait de cette société en concurrence avec l’ouest. Société, dans les deux sens du terme. Entre les coupures d’électricité imposées, la milice qu’il faut fuir, les arrangements-corruptions pour payer tout un chacun, y compris les pompiers, le journal illégal, les connaissances lacunaires de l’Histoire des gens ordinaires, on sourit, on rit, jaune, on s’attriste.
Ferrand réussit son trio : par ce qu’ils sont et par leurs relations. Entre le Juif peu orthodoxe, ex-soldat qui cherche à s’intégrer, le fils de facteur, délégué du personnel et la pseudo-irrascible qui a des problèmes de couple, la sauce prend en moins de 5 jours.
Le récit ne court que du lundi au vendredi (plus un bonus). Alors on laisse traîner. Sur d’autres livres ce sera faute de pouvoir avancer. Ici, c’est pour rester plus longtemps avec eux.
La taille ça compte.
Quand certains s’étalent sur 7 tomes, d’autres écrivent des nouvelles. Il y a même des catégories pour ce format dans les prix littéraires les plus importants de la SFFF.
Ken Liu a remporté le Nebula, le Hugo et le World Fantasy avec « La Ménagerie de Papier ». Il est le seul auteur à qui c’est arrivé, toutes catégories confondues.
En toute logique, le recueil paru chez Le Bélial porte ce nom. Au programme, 19 textes sélectionnés parmi les 117 écrits par l’Américano-Chinois. Le plus ancien est de 2009, le plus récent de 2014.
Le chroniqueur s’est amusé à noter chacun, pour avoir une idée d’ensemble de la valeur du bouquin : 6 ont le maximum, 6 autres sont juste en dessous. Rien n’est mauvais. Un seul a été jugé moyen : le premier. Peut-être fallait-il ces quelques pages pour faire connaissance. Ou peut-être que ce récit sur un terroriste anti-extraterrestre n’a pas le temps de prendre.
Il familiarise en tout cas avec des thèmes récurrents : la mémoire, le sexe sans le genre, l’invention du langage. Avec les autres nouvelles, on ajoutera Dieu, l’Espace, la mort, l’amour, la mémoire; et on n’aura pas fait le tour.
Pas question de les passer toutes en revues (comment résumer ce qui fait 2 pages ?), parlons des meilleures.
« Trajectoire ». A 16 ans, elle laisse son 1er enfant à ses parents. Adulte, elle transforme les morts en oeuvre d’art, puis goûte à la vie éternelle.
« L’erreur d’un seul bit ». Tyler et Lydia se rencontrent dans une benne à ordure. Elle a la foi, lui non, il va tenter de se l’installer. Il est programmeur.
« L’Oracle ». Penn est pré-condamné. La machine lui a permis de voir qu’il allait tuer.
« Mono No Aware » qui signifie « la sensibilité de l’éphémère ». Il faut quitter la Terre, elle va être détruite. Un seul enfant, japonais, est sauvé.
« La forme de la pensée ». Ils parlent avec leurs doigts lumineux. Les descendants des terriens oscillent entre 2 conceptions de la rencontre.
« La Ménagerie de Papier ». Il y a 2 problèmes dans la vie : avoir une mère, ne plus l’avoir.
Enfant de plusieurs cultures, traducteur en anglais de romans et nouvelles en chinois, Ken Liu écrits ces merveilles parce qu’il sait mettre des phrases comme : « Maman avait été choisie sur catalogue ». Quand on décide de faire court, on cisèle. Merci à Pierre-Paul Durastanti pour la traduction.
Graham Joyce
Lignes de vie
traduction : Mélanie Fazi
462p, 8.50 €
Folio SF
Cédric Ferrand
Sovok
219p, 19.90 €
Les Moutons Electriques
Ken Liu
La Ménagerie de Papier
424p, 23 €
Le Bélial & Quarante-Deux
Tain tu vois, j’ai été tellement touché quand j’avais lu La ménagerie de papier il y a longtemps déjà que rien que cette phrase que tu cites me remet dans le même état. J’en ai la chair de poule.
Je crois que c’est mes glandes lacrymales qui ont bien fonctionné sur cette nouvelle. Ca résonne.