« Trop haut », le projet Aiguillon fait débat !

Malgré les vacances scolaires et une météo estivale, il fallait jouer des coudes pour franchir la porte d’entrée de la Maison du Ronceray. Les habitant·e·s du quartier la Poterie sont venu·e·s en nombre à cette première réunion d’information concernant le réaménagement du siège social d’Aiguillon Construction. Frédéric Loison, le directeur général délégué du bailleur social, ne s’attendait sans doute pas à une telle affluence sinon pourquoi avoir choisi une salle aussi petite ne permettant pas d’accueillir tout le monde dans de bonnes conditions ?

Pour rappel, il est prévu qu’au 171 rue de Vern s’érigent une tour de 50 mètres de hauteur ainsi que trois autres blocs, respectivement de 18, 24 et 32 mètres. Cette idée d’un nouveau « phare dans la ville » fait l’unanimité contre elle. « Cage à poule », « trop haut », « pollution visuelle », « clapiers à lapins »,  les reproches ne manquent pas. Un collectif NANSSA(1) s’est d’ailleurs crée pour tenter de préserver l’harmonie du quartier, connu pour ses espaces verts et ses petits collectifs. « On a choisi ce quartier parce qu’il était verdoyant, avec des sentiers, des squares, de la verdure. On a payé pour ne pas voir de tour », explique une habitante(2). Comme elle, beaucoup de propriétaires et locataires sont partagé·e·s entre insatisfaction, colère et étonnement devant ce nouveau programme immobilier. 

Les amabilités de circonstances vite expédiées, la séance débute. Un homme prend la parole et pointe du doigt l’absence d’un·e représentant·e de la ville, propriétaire des terrains, précisément l’élue de quartier, Catherine Debroise. Et pour cause ! En toute tranquillité, Aiguillon Construction avoue avoir eu 3 ans plus tôt l’assurance que le nouveau PLU (NDLR : Plan Local d’Urbanisme) serait modifié afin de permettre la construction de leur tour « infernale ». A l’époque, la hauteur limite dans le quartier était fixée au [R+4] (NDLR : Rez-de-chaussée + 4 étages). « Aiguillon s’est donc lancé dans un programme impossible à réaliser à l’époque ? », questionne justement une membre du collectif Nanssa. « Absolument. Nous l’avons fait en accord avec la ville de Rennes en sachant que le PLU serait modifié » répond fièrement Frédéric Loison (NDLR : propos rapportés dans le Ouest-France du 12/04).

Photo prise au service de l’urbanisme en janvier 2019, aucun R+17 mentionné

Forcément, la coquille du PLU(3) en étude l’année dernière revient aux bons souvenirs de l’assistance. En effet, le plan erroné indiquait la construction d’un simple immeuble [R+1] au lieu de [R+17] (NDLR : voir ci-contre)« Nous estimons que le PLU  désormais en vigueur n’est pas conforme puisqu’il y a eu un défaut d’information. Si cela avait été clairement établi  qu’une tour allait être érigée sur cette parcelle, tout le monde l’aurait contestée », affirme une membre du collectif NANSSA. L’erreur est humaine mais bizarrement elle profite toujours aux mêmes. « Pot-de-vin », le mot est lâché et entendu dans toute la salle.  Frédéric Loison s’offusque.

Après une demi-heure passée à noter les doléances du public, la présentation du projet s’affiche sur le mur grâce à une vidéo-projection. Le film, soigné, nous montre la rue de Vern et ses alentours dans les années à venir. La nature y est massivement présente et à l’inverse, les voitures ont quasi disparu. C’est vert, c’est bleu, tout est propre, rien ne dépasse… On dirait une publicité pour Center-Park.  Personne n’est dupe.  A notre droite, ça ricane et ça ironise sévère.

L’équipe du maître d’œuvre joue alors son va-tout puisque le ′vu à la télé′ n’a pas eu l’effet escompté. Ça parle de ruches, d’abeilles, de parkings partagés, d’applications connectées comme ZenPark, de 17 arbres replantés et même d’un potager d’entreprise. Au bingo du greenwashing(4), on a coché pas mal de cases, là !

Pas de doute, leurs efforts se focalisent finalement à convaincre une  population jeune et dynamique, type CSP+(5), peut-être parisienne (?), plus réceptive aux nouvelles technologies, aux arguments d’éco-quartier et aux vélos-cargo. Et puis, il faut dire que les anciens sont chiants têtus à poser des questions de bon sens et à rappeler les erreurs du passé que certain·e·s voudraient reproduire aujourd’hui.

Moment comique, le directeur général délégué d’Aiguillon revendique sa volonté de ne pas répondre à l’homme qui l’invective parce que ce dernier ne souhaite pas décliner son identité. Apparemment, la question de la levée de l’anonymat n’est plus réservée exclusivement  aux réseaux sociaux. Parler à visage découvert ne suffit plus. « On a quand même l’impression d’écouter le maître d’école nous faire la leçon », lâche cette habitante. Elle n’a pas tort. L’immobilier est une chose trop grave pour la confier à des promoteurs.

Deux heures plus tard, la réunion se termine. Malgré une tension palpable, tout s’est bien passé. Hormis quelques piques ici ou là,  chaque camp a défendu ses propres intérêts : économique (pour ne pas dire spéculatif) d’un côté, harmonie et douceur de vivre de l’autre. Ce soir, il n’y a eu ni débat ni concertation. Thomas Duke, directeur marketing et commercial d’Aiguillon Construction, le confirme aussi en guise de conclusion.

On notera cependant que des remarques pertinentes sur la capacité des axes de circulation à absorber les futur·e·s résident·e·s, sur le stationnement déjà saturé, sur l’éventualité de l’installation d’une antenne 4G ou 5G, sur le préjudice des ombres portées sont restées sans réponse formelle. « Le projet n’est pas finalisé, des études doivent être menées ultérieurement », nous répond-on. Étonnant, on construit d’abord et on réfléchit après ?

Enfin, le « Mensuel de Rennes » indique dans son numéro d’Avril que le bailleur serait prêt à discuter(6). Attention spoiler, ce n’est pas notre ressenti. D’autant plus que l’agenda est déjà acté :  le permis de construire sera déposé en fin d’année pour une livraison prévue deux ans plus tard. Entre temps, il y aura les municipales… peut-être un levier dont devra se saisir le collectif  afin de porter ses revendications. « Avec les autres associations et collectifs en lutte contre des projets immobiliers, nous avons réussi à obtenir de la municipalité qu’un débat sur la densification soit organisé au prochain conseil municipal de juin », nous précise une membre du collectif NANSSA avant de poursuivre, « nous ne sommes pas opposés à des nouveaux programmes, le quartier en référence plus d’une quinzaine… Nous souhaitons juste préserver l’harmonie et la dimension humaine de notre quartier. »

 

[INTERVIEW] d’une membre du collectif NANSSA

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(1) Non au nouveau Site du Siège d’Aiguillon rue de Vern

(2) Ouest-France (12/04) : Tour Aiguillon à Rennes. « On félicite l’architecte, mais on n’en veut pas »

(3) Mensuel de Rennes – numéro 112 (p°40) : « Derrière le 1 de [R+1], les services municipaux ont oublié… un 7. Erreur humaine, jurent-ils, embarrassés »

(4) Le greenwashing, ou en français l’éco-blanchiment, consiste pour une entreprise à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique. C’est le fait souvent, de grandes multinationales qui de par leurs activités polluent excessivement la nature et l’environnement. Alors pour redorer leur image de marque, ces entreprises dépensent dans la communication pour « blanchir » leur image, c’est pourquoi on parle de green washing.

(5) CSP+ est un sigle, employé essentiellement en marketing et en analyses économiques, pour désigner les catégories socio-professionnelles les plus favorisées en France, à savoir les chefs d’entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé (cadres, ingénieurs, chercheurs, etc.) ainsi que l’ensemble des fonctionnaires de catégorie A. Associée à un fort pouvoir d’achat la notion permet de regrouper de manière approximative la classe moyenne supérieure et les ménages aisés.

(6) Mensuel de Rennes – numéro 112 (p°40) : « Le bailleur se dit prêt à discuter, notamment sur la hauteur »


 

Lien vers la pétition : Non Au Nouveau Site du Siège d’Aiguillon

Lien vers la page du Collectif Nanssa : Collectif Nanssa

PLU 2019 : Un quartier affiche son inquiétude sur les murs des maisons !

1 commentaire sur “« Trop haut », le projet Aiguillon fait débat !

  1. Erwan

    Merci pour ce compte-rendu ! Et donc… affaire en cours !

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