Mardi dernier, les archives départementales d’Ille-et-Vilaine ont offert une immersion poignante dans l’univers carcéral du début du XXᵉ siècle en projetant le documentaire Théret n° 487. Ce film, signé Julien Hillion, historien et docteur en histoire contemporaine, retrace le destin tragique de François-Henri Théret, un jeune homme brisé par l’institution pénitentiaire.
Né à Paris à la fin du XIXᵉ siècle dans un contexte de misère et d’abandon, François-Henri Théret est rapidement livré à lui-même. Ses multiples passages devant le tribunal correctionnel scellent son sort : il est envoyé à la maison de correction de Belle-Île-en-Mer. Numéro d’écrou : 487.
Là-bas, plongé dans un univers carcéral brutal, il y vit les pires traitements, de ses 12 à 21 ans. Les conditions de vie sont déplorables : insalubrité, maladies, privations, travail jusqu’à l’épuisement, « cages à poules ». Plutôt que de donner une chance à François-Henri qu’il n’a jamais eu, l’institution le brise et le transforme en un garçon violent. Bientôt, sa rage s’exprime à travers les graffitis qu’il laisse un peu partout sur son passage. Sa manière à lui de ne pas tomber dans l’oubli. L’histoire de François-Henri Théret n’est qu’un fragment de celle, bien plus vaste et trop peu connue, des milliers d’autres jeunes passés par la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer. À travers son parcours, c’est aussi la question du traitement de la jeunesse qui est posée : faut-il enfermer et maltraiter les enfants délinquants pour les rendre meilleurs ?
Originaire du Morbihan, Julien Hillion s’est intéressé à cette institution carcérale au cours de ses études. « Avant 2005, je n’en avais jamais entendu parler. Lorsque j’ai commencé à travailler sur mon mémoire de maîtrise, on m’a proposé plusieurs sujets, dont celui-ci », a-t-il expliqué lors de l’échange avec le public après la projection, chaleureusement applaudie. Et pour cause ! Le documentaire, d’une rare intensité, mêle photographies d’archives inédites et sublimes illustrations de Renan Coquin. La narration poignante de Lionel Épaillard, dont la voix, chargée d’émotion, restitue avec une justesse infinie l’humanité effacée par le système judiciaire et carcéral.
Il aura donc fallu quatre années pour Julien Hillion pour venir à bout de ce projet un peu fou. On rappelle que les archives de l’établissement ont toutes brûlé rendant impossible de retrouver la trace de toutes celles et tous ceux qui y sont entré·es. Mais le résultat est là. C’est l’histoire de Theret, mais surtout « de milliers de garçons qui ont connu l’enfer de la maison de correction de Belle-Île-en-Mer. »
La colonie pénitentiaire de Belle-Ile en mer a accueilli des enfants de 1880 à 1977. Aujourd’hui, l’association La Colonie a pour projet de collecter les témoignages, les documents et les traces de cette histoire belliloise. Elle souhaite créer sur le site de l’ancienne institution pénitentiaire un lieu ouvert au public qui raconte l’histoire de ces enfants, fragment de l’histoire de Belle-Ile et de celle de la justice française du XXème siècle.
Les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine invitent à plusieurs événements autour de « Justice(s) et Enfermement(s) » du 2 au 5 décembre prochains. Pendant 4 jours, des personnalités de tous horizons viendront présenter, à l’auditorium des Archives départementales, des actions, travaux, films, projets, relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse et son ancêtre « l’éducation surveillée », l’insertion ou la réinsertion des personnes placées sous main de justice, ou encore l’enfermement et la place donnée aux voix des personnes enfermées.
• Mercredi 4 et jeudi 5 décembre, à partir de 9h45 Ces deux journées de réflexion visent à interroger et à faire se croiser la pluralité des pratiques de recherche et de médiation autour des voix de l’enfermement, en comparant des démarches (associative, militante, scientifique, archivistique, artistique, journalistique) et des institutions (prison, centre de rétention administrative, hôpital psychiatrique, maison de retraite). Le programme détaillé est disponible ici : https://grem.hypotheses.org/722
• Soirée du 5 décembre (à 18h) auditorium des Archives départementales : projection du documentaire » Feuilles libres » de Pierre-François Lebrun (Simone & Raymond Productions/France Télévisions, 2017) en présence du réalisateur et d’Audrey Guiller, membre de la rédaction du magazine Citad’elles.