« Twitter, cela fait partie des trucs que tu trouves ridicules quand tu ne connais pas et dont tu ne peux plus te passer quand tu as commencé à pianoter », expliquait un blogueur[☼]. Personnellement, cela fait plus de onze ans (oui, oui, on a vérifié, ndlr.) que nous traînons quasi-quotidiennement sur ce réseau social, facilement reconnaissable avec son oiseau bleu-pétrole. Malgré toutes les embûches et les pièges à éviter (troll, fake-news, vidéos de petits chatons, addiction…) et même si cela devient de plus en plus compliqué (surtout en ce moment, actualité oblige, ndlr.), Twitter reste un outil efficace pour dénicher des réflexions ou des analyses pertinentes sur des sujets malheureusement maltraités – quand ils le sont – par les médias traditionnels.
Avec ses millions de personnes inscrites, la classe dirigeante a rapidement compris tout le potentiel qu’elle pouvait en tirer. Twitter est ainsi devenu un outil de communication politique incontournable. « Il faut y être lorsqu’on est politique », confirme l’historien des médias Christian Delporte[☼]. « Ils n’ont pas le choix, c’est obligatoire dans la mesure où les autres y sont. Cela leur permet une expression directe et une visibilité médiatique. Outre la visibilité, Twitter offre aussi une interaction avec les followers. Or le politique passe son temps à vouloir nouer un lien direct avec ses militants. »
Alexandre Chevret s’est d’ailleurs penché sur cette question. Après un DUT Technique de commercialisation et une Licence Info-Com, cet ex-étudiant – tombé dans la marmite du Web 2.0 – a soutenu récemment son mémoire de Master 2 Communication publique et politique à l’université de Rennes 2 portant sur les « utilisations de Twitter par les élus politiques en France ».
ALTER1FO : Bonjour Alexandre, quel a été l’élément déclencheur qui vous a décidé à rédiger votre mémoire de Master sur l’utilisation de Twitter par nos élu·es en France ?
Alexandre Chevret : J’avais pour projet initial de travailler sur les présidents malades et la communication autour de la santé des personnalités politiques. Mais le manque de ressources documentaires et le terrain très compliqué m’ont rapidement mis en quête d’un nouveau sujet. Je n’ai pas mis longtemps à trouver une autre piste. Depuis mon inscription en licence info-com à Rennes 2, j’ai pris l’habitude de faire ma veille informationnelle sur ce support.
Passionné de politique, j’ai pu lire tout au long de mes études des sujets sur l’utilisation des réseaux sociaux en politique. Ce sujet naissant dans la recherche en info-com me semblait être intéressant à aborder, à la vue de l’accélération de l’utilisation du numérique en politique depuis quelques années…
Vous écrivez à ce propos que « Twitter a changé la façon de faire de la communication politique ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Aujourd’hui, la moindre intervention est commentée, répliquée et attaquée beaucoup plus rapidement qu’avant. Les internautes n’hésitent pas à « fact checker » (technique consistant d’une part à vérifier en temps instantané la véracité des faits et l’exactitude des chiffres présentés dans les médias par des personnalités, ndlr.) les moindres arguments et les moindres chiffres utilisés par les politiques. Twitter est donc un outil qui représente parfaitement l’instantanéité de la communication politique. C’est sans doute un des facteurs qui fait que les politiques polissent leur langage et accentuent l’utilisation de la langue de bois.
«To Twitt» signifie « gazouiller » en anglais. Ce nom a été choisi en rapport avec la brièveté des écrits sur la plateforme, limités à 280 caractères. Le fait que la grande majorité des élu·es utilise twitter, s’obligeant par la même occasion à synthétiser leur propos, n’est-il pas le reflet de cette nouvelle manière de communiquer en politique, c’est-à-dire, à coup de petites phrases ?
Bien sûr ! Selon moi, la brièveté sur Twitter est un vrai problème. Les politiques tentent de condenser des réponses à des questions complexes avec de courtes explications et de brefs messages. Cette tendance les incite à faire dans le « sensationnel » et créer le buzz avec des punchlines, des provocations ou des montages photos etc. Le fonctionnement même de Twitter les encourage fortement à le faire, puisque ce genre de communications a beaucoup plus de chances d’être partagés, retweetés, etc.
Et puis, un tweet est vite oublié remplacé par le suivant…
Si l’on compare la manière de communiquer en politique 30 ans en arrière avec celle d’aujourd’hui, on note un réel changement du rapport au temps. L’agenda politique va plus vite, les sujets d’actualité changent très rapidement, au point de ne plus vraiment comprendre ce qu’il en retourne réellement quelques semaines plus tard…
Ne pas être sur Twitter pour un·e élu·e est-il vraiment préjudiciable ?
Pas forcément. Tout dépend de leur origine géographique et de leur fonction. Pour une petite commune (de moins de 10 000 habitants) ou dans les territoires les plus ruraux, être présent sur Twitter n’est pas une nécessité en 2020. Cependant, pour les mandats nationaux (Sénat, Assemblée) et pour les grandes villes ou métropoles ainsi que les Régions et les Départements (au moins pour les présidents voire les vice-présidents), être sur Twitter devient de plus en plus incontournable. « Être présent » ne signifie pas être «actif ». De nombreuses personnalités limitent leur utilisation à de simples interactions basiques et éparses.
Je pense que cette tendance va s’accentuer mais qu’elle risque de connaître des limites dans les années à venir. Avec l’émergence des fake-news, de la tension et du stress générés pour les élus, il existe un risque de ras-le-bol, de burn-out.
Vous dites que Joachim Son-Forget est un cas d’école, « une mine d’or pour les chercheurs en information-communication ». Pourquoi ?
C’est un cas caricatural de ce que peut devenir l’utilisation de Twitter par les élus dans les années à venir, car Joachim Son-Forget possède les codes d’internet (forum, mème, troll…). Lorsque que, dans 10 ans, une première vague d’élus nés dans les années 90, va arriver massivement à des fonctions politiques, il y a des chances de voir ce genre de pratique se démocratiser.
Joachim Son-Forget n’est-il pas la meilleure campagne de prévention contre l’utilisation abusive des réseaux sociaux ?
Je pense qu’il est les 2 : le remède et le poison. Il démocratise cette pratique, qui plait à de nombreuses personnes, notamment à l’extrême droite (alors qu’il est ex-LREM). Il montre aussi à de nombreuses personnes que l’utilisation des réseaux sociaux peut s’avérer complètement néfaste pour un élu. On en oublie complètement son statut et son rôle. Je pense que cela participe à la perte de légitimité dans la classe politique et doit nous interroger sur les limites de la communication politique et de la légitimité des élus lorsqu’ils utilisent les réseaux sociaux de cette manière.
Si je vous demande – sans réfléchir – de me citer un tweet qui vous a le plus marqué au cours de vos recherches, lequel serait-il ?
Je pense que le tweet de JSF avec le lien de la sextape de Benjamin Grivaux, alors en pleine campagne électorale pour la mairie de Paris, est l’exemple parfait de ce que peux devenir Twitter dans un futur proche : une place pour les règlements de comptes où même la vie privée n’y a plus sa place.
Le débat entre élu·e et citoyen·ne peut-il se faire sur twitter ? Sinon, quels sont les limites des réseaux sociaux qui nous font croire (consciemment ou non) à un dialogue « plus direct » ?
Le dialogue sur internet entre citoyen et politique s’observe plus facilement sur Facebook plutôt que sur Twitter. D’abord, Twitter ne répond pas à ce besoin puisqu’il limite le nombre de caractères et ne permet donc pas un échange long. Ensuite, les élus locaux, qui représentent la grande majorité de nos élus, sont beaucoup moins présents sur ce réseau social. Or ce sont souvent eux qui sont interpellés par les Français… généralement pour des problèmes concrets les concernant (nid de poule, aménagement urbain etc. ).
On peut penser que les réseaux sociaux permettent un meilleur dialogue, mais encore une fois, il faut posséder les codes de ces outils pour réellement communiquer de façon efficace. On retrouve du coup sur ces réseaux les mêmes profils de personnes déjà impliquées dans la vie « réelle », à savoir des personnes engagées dans des associations, ou militantes, plutôt âgées, souvent citadines avec un bagage culturel fort. D’une certaine façon, les réseaux sociaux amplifient une certaine vision une réalité déjà existante.
Sans tomber dans le tristement célèbre « c’était mieux avant », nous avons quand même l’impression de moins rigoler qu’au début en étant sur Twitter…
Il est clair que les réseaux sociaux de manière générale deviennent de plus en plus incontrôlables et violents. La tension présente actuellement dans la société française se ressent encore plus sur les réseaux sociaux puisque les gens n’hésitent pas à s’exprimer plus librement derrière leur écran. (en un an, les commentaires violents sur les réseaux sociaux ont augmenté de 66%, ndlr.) Cette tendance est en train de s’accentuer, il suffit de voir les réactions à n’importe quel fait divers. On a une polarisation des utilisateurs de Twitter : noir ou blanc, pour ou contre ! C’était moins le cas avant ou alors sans doute de manière plus discrete, selon moi.
Comment voyez-vous l’évolution de Twitter dans quelques années ?
Un avenir compliqué… puisque la polarisation des opinions politiques est de plus en plus forte. Avec la présence croissante des élus sur la plateforme, avec une complexité graduelle des algorithmes, la multiplication des fake news, Twitter va devoir s’adapter mais il est difficile de savoir comment. La censure sur les réseaux sociaux est un sujet sensible du point de vue de la liberté d’expression. Cependant, c’est une plateforme qui a de l’avenir, contrairement à Facebook qui est en perte de vitesse depuis plusieurs années.
- Le conseil municipal de Rennes se compose de 61 élu·es, dont 21 adjoint·es. Sur 21 adjoint·es, nous avons réussi à retrouver 17 profils Twitter.
- La maire de Rennes, Nathalie Appéré, s’est inscrite en 2012, année de son arrivée à l’assemblée Nationale (juin 2012 – juin 2017).
- Elle compte 17,6 K followers
- Son tweet le plus apprécié date de 2019 (2.2K likes)
- Sébastien Séméril est celui qui s’est inscrit le plus tôt sur le réseau social : en 2009.
- son premier tweet
- Cliquez sur l’image pour obtenir les urls de leurs premiers tweets.