L’annonce de la venue d’Efterklang à la Route du Rock a immédiatement obligé une partie de l’équipe d’Alter1fo à danser la passacaille avec une frénésie ineffable. Parce que la formation danoise est un de ces groupes essentiels qui mérite un enflammement proportionnel à la finesse et à la générosité de ses compositions.
Une ville fantôme abandonnée sous le cercle polaire arctique, un pantalon à pinces sans âge ou le son d’une citerne soviétique vide : voilà pourquoi on aime Efterklang d’amour. Explications.
Fondé par trois amis d’enfance (enfin quatre, Thomas Husmer ayant depuis quitté le groupe) Casper Clausen, Mads Brauer et Rasmus Stolberg en 2001, Efterklang est une drôle de formation, qui compose en noyau resserré mais dont le nombre de participants, que ce soit sur disque ou en concert est constamment fluctuant. Comme le disait Rasmus Stolberg en rigolant à Pop News : « sur [Magic Chairs], notre but était de limiter le nombre de musiciens. Pour Efterklang, limiter le nombre de musiciens, ça veut dire qu’on est 18 sur cet album » . Sans parler des collaborations avec des orchestres entiers comme le Sydney Symphony Orchestra, l’Orchestre de Chambre National Danois ou le Copenhagen Phil (et on en passe !). Sur la scène de la Route du Rock, ils joueront néanmoins en petite formation (comptez, cela dit, au moins 6 personnes !).
Au tout début, les Danois commettent un premier album déjà diablement réussi, le très élégant Tripper (2004, The Leaf Label) qui fait suite au petit ep Springer (2003, sorti sur leur propre label Rumraket). Sonorités électro finement ciselées, notes de piano clairsemées avec distinction et cordes ou cuivres enveloppants sur lesquels les voix aussi émouvantes qu’envoûtantes du groupe se mêlent et se démêlent en harmonies à 3, 4, 5, 6, 7 voix. L’album étant à l’exact point de rencontre entre l’électro la plus subtile (on est plus prêt du glitch, du click’n cuts), la musique orchestrale et la pop en chambre à développement choral. Aux cliquetis délicats, aux pluies rythmiques tout en légèreté et chœurs aériens répondent la profondeur des cuivres, contrepoint parfaitement dosé qui vous habite les tripes. Habituellement considéré comme le disque le plus électronique du groupe, Tripper, à la ré-écoute, contient finalement déjà, à notre humble avis, tous les éléments qu’on retrouvera sur les albums suivants. Une réussite absolue. Et pourtant le meilleur reste à venir.
Entre temps, les jeunes gens signent un petit groupe sur leur petit label indépendant, Rumracket. Un groupe avec lequel ils ont plein d’affinités. Et qui fera même leur première partie. On est en 2005. Et le groupe, c’est Grizzly Bear. Qui bien sûr, continuera après ce Horn of Plenty, sur un bien plus gros label (Warp, oui). Et dont ils pourraient aujourd’hui faire la première partie, ironie du sort.
C’est la magnifique pochette bigarrée aux constructions alambiquées et colorées qui nous a fait acheter le deuxième album (et découvrir le groupe), Parades (The Leaf Label, Rumracket, 2007). On en est tombé éperdument amoureux. D’abord sans s’en douter, jusqu’à ce qu’au fil des écoutes, les mélodies nous embarquent irrémédiablement, le cœur gonflé par ces développements tantôt tout en retenue, tantôt quasi épiques, à gorges déployées. Cordes vocales et symphoniques s’y répondant et s’accompagnant avec là encore un équilibre époustouflant. Plus organique que son prédécesseur, avec des sons électroniques qui finissent par sonner acoustiques (Caspar Clausen expliquant : « Parades était rempli de sons électroniques, mais ils étaient mélangés à la guitare, aux sons acoustiques. Cela sonnait comme des bruits acoustiques bizarres » ), Parades semble être un album symphonique à mi chemin entre musique expérimentale et pop.
Ce qui amène l’Orchestre de Chambre National Danois à leur proposer une collaboration une fois le disque sorti. Joué deux fois dans son intégralité au Danemark avec l’Orchestre de Chambre National Danois donc, puis ensuite à Leeds en Angleterre, ce travail fait l’objet d’un DVD et d’une version live de l’album (Performing Parades, 2009), particulièrement émouvante. La musique des Danois y prend une ampleur encore plus évidente. Un must have. Suivront quelques dates en Europe avec d’autres orchestres.
Mais ce travail de précision, aussi gratifiant et exceptionnel qu’il ait pu être ( « Pour un petit groupe comme nous, c’était extrêmement excitant. Mais également très compliqué : ce disque n’avait pas été facile à faire et n’est pas à proprement parler facile à jouer. Et face à des musiciens professionnels pour qui tout est dans le détail, nous devions être parfaits et étions particulièrement stressés. » in Froggy’s Delight) conduit le groupe à envisager les choses de façon plus spontanée pour l’album suivant, Magic Chairs (2010). Moins de musiciens, des structures plus simples, une immédiateté plus pop. Mais aussi un retour à des sons électroniques plus visibles, une présence plus marquée de la formation resserrée (guitare, basse, batterie) : « Sur cet album, nous voulions que les sons électroniques soient plus évidents, on voulait que les beats électroniques s’entendent par exemple. C’était aussi un moyen de mettre en avant les guitares, la batterie… Nous voulions séparer les deux au lieu de les mêler comme avant » .
Cet album est aussi celui de la signature chez 4Ad, pour qui le groupe a forcément un grand respect, d’autant que le label les signe en respectant leur histoire et le bagage qu’ils ont accumulé derrière eux. Le disque sortira donc, comme les suivants (eps et albums) conjointement sur le label britannique et Rumracket.
Toujours aussi fascinés par les possibilités données par le travail sur le son, Casper Clausen, Mads Brauer et Rasmus Stolberg (Thomas Husmer quittant le groupe avant Piramida) ont l’idée d’aller visiter au Spitzberg (une île à mi-chemin entre le Pôle Nord et la Norvège), l’ancienne cité minière soviétique abandonnée Piramida. Fondée par des Suédois en 1910, Piramida tire son nom de la montagne qui la surmonte en forme de pyramide. En 1926, les Russes l’ont rachetée, pour à leur tour la vendre à la compagnie minière Arktikougol en 1931. Un communauté minière (environ un millier de personnes) s’y installa et fonctionna de manière totalement autonome. Une sorte de société parallèle pour les immigrants russes et leurs familles, loin de la réalité brutale de leur pays d’origine, en quelque sorte. En 1998, la mine cessa d’y être exploitée et la ville fut abandonnée. Aujourd’hui, seulement 7 gardiens l’occupent pendant la saison estivale.
Fascinés par le lieu, les trois Danois décident de tirer leur inspiration brute de la ville fantôme. Il s’y rendent donc, accompagnés de leur guide à la mine pas tibulaire mais presque, et y enregistrent plus d’un millier de fields recordings : leurs pas froissant les hautes herbes, leur course sur des palissades de bois, les cris des mouettes (à moins que ce ne soient des sterns, endémiques de la région ?), l’écho d’immenses citernes de fuel vides où leur chant résonne, le feulement de milliers de feuilles de dossiers abandonnés là comme au milieu de la nuit, les notes chantantes de centaines de bouteilles de verre entreposées là, ou même un grand piano esseulé dans l’ancienne salle de concerts de la petite cité minière.
Revenus à Berlin (où ils vivent désormais) neuf jours plus tard, les trois musiciens s’emploient à travailler ce matériau brut, ces instantanés sonores fantomatiques de solitude et d’isolement (le film de Vincent Moon, An Island -diffusé à la Route du Rock collection hiver- reprend les prémisses de ces travaux) en vraies chansons. L’idée étant de partir de ce cadre de travail, de ce voyage, comme d’une nouvelle page blanche, dont tous les éléments étaient communs aux trois compositeurs. Et pour cela, ils choisissent de triturer les sons pour arriver à les utiliser comme des instruments. Pourtant ces recherches expérimentales sur les textures sonores ne vont en rien pervertir l’immédiateté mélodique des chansons qu’Efterklang est en train de composer. Piramida est un album sublime, de bout en bout, dont chaque souffle ou feulement vous renvoie dans les cordes, avec cette élégance si symptomatique des travaux des Danois.
On ne peut d’ailleurs que vous conseiller, si vous le pouvez, de jeter également un œil au film The Ghost of Piramida réalisé Andreas Koefoed, entre documentaire et film musical, où la voix d’un ancien habitant de la cité minière racontant les lustres et joies d’un temps révolu, accompagne les errances du trio accompagné par leur guide, pour trouver les sons et les enregistrer.
Le film a été projeté dans nombre festivals cinématographiques pour des projections officielles, mais surtout a aussi été accompagné de projections « privées-publiques » où tout un chacun pouvait chez lui (ou bien où il le souhaitait) organiser une projection. Le concept a ravi un nombre important de fans puisque plus de 800 projections ont eu lieu à travers le monde, qui dans sa chambre d’étudiant, qui dans un bunker, qui dans son salon ou son café, d’Atlanta à Leipzig, de Prague à Hanoï, de Saïgon à Melbourne, tout ça entre février et mars 2013. Avec cette très chouette idée que chaque organisateur prenne l’événement en photo, celle-ci étant ensuite relayée sur le blog photo du groupe. On peut ainsi voir des dizaines de réunions improbables, où chacun (parfois en pyjama ou avec des bonnets et des gants) découvre le film. Très classe.
Pour la sortie de l’album, le groupe a également été invité à donner un concert avec le Sydney Symphony Orchestra l’an dernier, soirée sold-out, qui leur a donné l’opportunité de faire en tout 17 concerts sous cette forme avec des orchestres symphoniques du monde entier. Ils ont choisi d’enregistrer l’un de ces concerts, l’un de ceux donnés avec le Copenhagen Phil en octobre 2012, pour en faire une sortie discographique (juin dernier), The Piramida Concert. On en a entendu quelques extraits plus que prometteurs.
C’est donc avec une impatience fébrile qu’on attend Efterklang, dont la dernière venue dans nos contrées (à l’Antipode, en novembre 2009) nous a laissé un souvenir magique et ému. Les nouveaux rois du Danemark nous y avaient mis une belle raclée tout en douceur, funambules multi-instrumentistes voltigeant d’harmonies vocales en arrangements à couper le souffle. Son chanteur, Casper Clausen, désespérément classe, nous avait même fait changer d’avis sur les pantalons à pinces (sans âge, pour le sien) et les espadrilles, tant son charisme, sans être ostentatoire pour un sou, nous avait captivés de bout en bout d’un set époustouflant. Des développements rythmiques puissants, organiques s’appuyant parfois sur des bases électroniques, des mélodies tout à la fois novatrices et évidentes, dont la charge émotionnelle pourtant déjà forte sur disque se révélait encore davantage en live. On les avait écoutés bouche bée, saisis, jusqu’à un final démentiel où le chanteur suivi du trompettiste, du batteur frappant le sol de l’Antipode avec ses baguettes puis de tous les musiciens, s’étaient faufilés au milieu du public, chantant et frappant des mains, tels une farandole endiablée frayant son chemin au milieu d’un public extatique.
Photo live : crédit copyright Agnete Schlichtkrull /Photo projection privée-publique : crédit copyright Gerd – heimsalon.de
Retrouvez tous nos articles sur la Route du Rock 2013 dans notre dossier ici.
_______________________________
Efterklang est programmé à la Route du Rock vendredi 16 août 2013 à 21h00 sur la grande scène du Fort St Père.
Le site d’Efterklang : http://efterklang.net/home/
Le site de la Route du Rock : http://www.laroutedurock.com/