Venir à la salle Guy Ropartz avec 23 euros en poche et en repartir avec 17 millions, qui dit mieux ? £¥€$, l’ovni théâtral participatif de la Cie belge Ontroerend Goed a fait de moi et des 69 autres spectateurs présents à la séance de 15h des assoiffés de la finance mondiale et des spéculateurs de premier cru. Adieu bonté et préoccupations sociales, bonjour appât du gain et placements risqués mais fructueux !
£¥€$ : le titre est déjà un mystère. On peut lire “Lies” (mensonges) ou “Eyes” (yeux), ou livre sterling, yen, euro et dollar. Quoi qu’il en soit, que l’on y voit des mensonges ou des devises, il s’agit ici d’argent.
Dix tables de casino pour 10 grandes banques aux noms étranges (Anne du Nord, Anaïs Unis, Costa del Jean-Pierre…). Dix croupiers qui mènent le jeu et nous mènent sur les sentiers sinueux de la finance mondiale. Notre propre argent constitue notre capital et nous allons tour à tour, durant deux heures, placer des gains, payer des impôts, prendre des risques, shorter, acheter des obligations, perdre des placements risqués, changer de stratégie financière (et de dés pipés), établir des fusions et des accords, investir en confiance, défiscaliser, emprunter, ré-imprimer de l’argent (la Banque Centrale Européene le fait tous les jours !), acheter des junk bonds, interagir avec les brokers, scruter les délibérés de l’agence de notation… jusqu’à créer une bulle spéculative et vivre un krach boursier grandeur nature.
On est arrivés méfiants, en se disant que jamais nous ne rentrerions dans le jeu des grands spéculateurs financiers. C’était ne pas prendre en compte la puissance du discours des croupiers de la Cie Ontroerend Goed. Subtilement, les règles du jeu nous sont exposées. On nous vante les mérites de tels ou tels placements, on nous distille une théorie de la confiance, on nous entraîne sur les voies sombres de la finance sans que nous haussions un sourcil, on se réjouit de voir les jetons se multiplier et on râle quand il s’agit de payer des impôts (qui servent pourtant à financer la culture, la santé, l’éducation…). Quoi ? nous sommes devenus des financiers sans scrupules ? et oui ! A chaque ouverture de marché, nous devenons fébriles, nous empruntons des sommes exponentielles sans férir, nous échangeons dans notre consortium de banques pour augmenter nos gains et comprendre les nouveaux placements proposés par le croupier. Nous jouons à la finance, sans que cela ne nous inquiète. Nous rions jaune tout de même, conscients que ce qui se joue sur notre table dans la salle Guy Ropartz est sans doute un reflet presque fidèle de ce qui se joue sur les grands marchés financiers.
Une expérience hautement intéressante, amusante et qui fait froid dans le dos. La Cie Ontroerend Goed pousse le spectateur à être pleinement acteur de cette performance. Au cœur de leur travail, il y a la conviction que notre monde est inévitablement voué à sa perte. Les spectacles d’Ontroerend Goed invitent le public à réfléchir sur ces grandes structures de pouvoir qui influencent nos vies au quotidien, de manière omniprésente et pourtant presque invisible: la démocratie, les médias, la religion et l’argent.
£¥€$ est donc un Monopoly (sans l’immobilier) grandeur nature et nous voilà comme des enfants à jouer sans état d’âme avec de l’argent, tels les maîtres du système monétaire. « Money money money » chantait ABBA. Il semble que nous ayions pleinement assuré les choeurs ce vendredi après-midi…
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En savoir plus sur la Cie Ontroerend Goed : http://www.ontroerendgoed.be/fr/home/