Alors que les Bretons préparaient consciencieusement les festivités de Noël, ils ont eu la désagréable surprise d’un énième cargo venant s’éventrer sur les roches de la sortie de la ria d’Étel.
Petit rappel des faits. Le jeudi 15 décembre, un fort coup de vent est attendu au secteur Sud-Ouest. Le message national est diffusé en continu depuis plusieurs jours, et on doit s’attendre à des rafales de force 12 (environ 120 km/h). Contre toute attente, le vraquier TK BREMEN qui est alors en rade de Lorient sort du port et va mouiller au Nord de l’ile de Groix. Aux environs de minuit, l’ancre du TK BREMEN dérape et celui-ci non manœuvrant en plein cœur de la tempête demande assistance au CROSS Étel. A 2H00 du matin, Le TK BREMEN s’échoue à l’Est de l’entrée de la Ria d’Étel sur la plage de Kerminihy de la commune d’Erdeven. En s’échouant, le TK BREMEN a percé sa coque sur la roche de Niscobic, et une fuite d’hydrocarbure est constatée. Une nappe d’1 kilomètre de long sur 5 mètres de large se dépose sur les plages.
Pour les habitants des communes d’Étel et d’Erdeven, c’est le choc. Les plages sont souillées de fuel lourd n°2 et une très forte odeur de gasoil flotte dans l’air. Rapidement la colère monte et dès le samedi une manifestation s’organise aux abords du cargo qui est désormais protégé par les forces de l’ordre. Le message est clair : « Pas de Vague ». Ironie du sort, ce sont des surfeurs, usagers réguliers du site qui sont à l’origine de la manifestation, et ce mot d’ordre ne leur convient vraiment pas. Quand les premiers communiqués tombent et parlent de micro pollution, leur sang ne fait qu’un tour et la résistance s’organise sur les thèmes de : Droit de regard sur le découpage du bateau, transparence et diffusion de l’information, et enfin dénonciation des logiques du « tout profit » qui ne peuvent qu’engendrer ce type de drame.
En effet, alors qu’on essaye vainement de trouver un bouc émissaire (le capitaine du navire, le port de Lorient, le mauvais sort, une malédiction vaudou, etc.), une seule conclusion s’impose, c’est pour économiser le prix d’une place de port que le TK BREMEN est sorti au lieu de rester à l’abri avec la tempête qui venait. On a donc risqué la vie d’un équipage et détruit le littoral sur une dizaine de kilomètres juste pour gagner 3 sous …..
L’une des revendications du collectif citoyen était dans les premiers jours d’écrire sur la coque le slogan : « Joyeux Noël les armat’ueurs » ! Mais la police a bien fait son travail et personne n’a pu s’approcher de l’épave. Par contre un anonyme, a réussi à déjouer la surveillance du site pour y écrire l’épitaphe « Pour Noël je voulais de la neige, pas du mazout ! ».
Un des autres souhaits du collectif citoyen c’est de rester apolitique, enfin on se comprend, car dénoncer les méfaits du capitalisme à outrance ne peut être que politique. Enfin nous dirons que le collectif n’est affilié à aucun parti ni à aucune mouvance politique. En effet la population locale à la fois rurale, maritime, ostréicole et touristique est peu politisée et assez traditionaliste. Par contre, elle est férocement ancrée à sa terre, à sa mer. La nature est vitale, c’est une condition nécessaire d’existence. Ici l’écologie est viscérale pas intellectuelle.
Quelques jours après la catastrophe, suite au rassemblement spontané de la population locale, s’est crée un collectif de vigilance citoyen. Un des principaux instigateur de ce mouvement à eu la gentillesse de répondre à nos questions.
Bonjour François, peux tu me dire comment ça a commencé pour toi ?
Le matin en me levant, ça sentait le gasoil partout, alors je suis sorti et là c’était à pleurer, la plage était noire et l’odeur horrible. Et les premiers communiqués étaient révoltants, ils faisaient tout pour minimiser la pollution. C’est pour ça que j’ai pris toutes les photos et que j’ai balancé le max d’informations. Au début c’était « micro pollution suite à un cargo échoué ». Bien sûr que ça n’a rien à voir avec l’Amoco Cadiz ou l’Erika, mais sur 10 km de site protégé, on a été durement touché.
Comment est née l’idée du collectif ?
J’ai initié le truc sur Internet et le but c’était ça, qu’on en parle partout, pas que ça fasse juste 3 lignes dans la rubrique des chiens écrasés… On veut plus de transparence, on veut être informé. Il y a eu un vrai retour avec internet, tout un mouvement citoyen qui s’est levé, on a été complètement pris de court, c’est énorme. Les gens se prennent en main. Pour moi ce n’est pas de la politique mais de la conscience citoyenne. Il y a des gens qui ne sont pas politisés et qui sont venus, ce sont des gens qui sont excédés !!
Tu n’es pas le leader de ce collectif, mais tu es quand même identifié comme porte parole ?
Oui, je suis aujourd’hui le porte-parole. J’ai une grande gueule, je l’ouvre. Chacun son taff. Mais il n’y a pas de leader. Mon but c’est d’éveiller les consciences. C’est avec les petits ruisseaux que l’on fait les grandes rivières.
Quelles sont les grandes lignes de défense du mouvement citoyen ?
On va faire une grosse surveillance du chantier de démolition, car c’est plein de merde, entre l’amiante, les circuits hydrauliques, les couches de peintures qui sont très toxiques. Pour le moment il n’y a que les élus qui ont un droit de regard sur le chantier. Ils ne veulent pas nous le donner. On essaye de le négocier avec eux. Le deuxième axe, c’est : Surveillance citoyenne et transparence des informations. On collecte de l’information sur les acteurs de ces catastrophes. Ce n’est pas le capitaine qui subit les pressions de l’affréteur et de son armateur qu’il faut viser. C’est vraiment dénoncer les pressions commerciales des affréteurs, des commanditaires, de l’acheteur, etc. Le droit maritime est complètement à la solde des intérêts commerciaux. On veut surtout dénoncer les vrais rouages, c’est à dire la pression des lobbies financiers et commerciaux qui font naviguer ces poubelles. Quand tu fais naviguer un bateau par force 12, c’est vraiment que tu veux gagner 3 ronds pour ne pas avoir de pénalités de retard.
Quels sont les problèmes auxquels vous avez du faire face ? Les politiques ?
On n’est pas politisé, en tout cas ce n’est pas politiser de faire passer l’humain et l’environnement avant le profit, c’est juste du bon sens, de l’altruisme. Breizhistance ou l’Adsav ont essayé de nous infiltrer, mais on tient bon. Quand tu n’es pas politisé, c’est assez déroutant comme méthode. Ensuite, il faut faire face à la désinformation, il faut être vigilant. Au début, les communiqués des officiels c’étaient du genre « L’écume est blanche, et le sable de la bonne couleur ». Devant l’ampleur des réactions, ils ont fait marche arrière. Ils n’ont pas compris que c’est du gasoil de voiture qui s’est mélangé au sable. Du coup, il y a des petits vieux qui sont retournés chercher des coques dans la rivière. Ils vont peut être s’en servir pour allumer du feu … ?
Quel a donc été l’impact sur l’environnement ?
La faune a été sévèrement amochée. Les coquillages sont remontés sur le sable, il y a des poissons (congres, mulets, etc) morts un peu partout. Le gros problème, c’est que le bateau a perdu son fuel à marée basse et la barre a fait aspirateur. Le gasoil et le fuel lourd, tout est remonté dans la ria. Le fuel lourd, celui qui fait les plaques noires, peut être retenu par des barrages flottant mais pas le gasoil. Avec la mer agitée, tout s’est mélangé sans espoir de le pomper. Et puis ils ont mis des barrages flottants alors qu’il y avait 5m de houle. Inutile de te dire que ça n’a pas filtré grand chose. Et puis, le coup de grâce, Nathalie Kosciusko-Morizet qui descend et qui dit que le fuel n’est pas un polluant notoire via un communiqué de la préfecture, c’est à peine croyable d’entendre ça. Du coup les gens voulaient aller nettoyer … et moi je leur disais « Arrêtez c’est hyper toxique, il ne faut pas y aller sans protection efficace ».
Le Fuel lourd, c’est une belle cochonnerie, on en a ramassé des tas pendant l’Erika.
Bien sûr, on a tous ramassé le mazout avec des gants, et ça ne nous a pas empêché d’avoir les mains en feu malgré nos protections. C’est le gros problème du fuel lourd n°2, comme c’est plus proche du bitume que du gasoil, ils en profitent pour mettre plein de merde dedans comme les résidus de raffinage. Du coup, il y a un peu de tout dans le fuel lourd n°2.
Sur le Tk-Bremen, qu’est ce qui a fui ?
Ce sont les 2 cuves qui se sont ouvertes. Ce qu’il faut savoir c’est que sur ce genre de vraquier, les moteurs diesels, ce ne sont pas des moteurs sur-dimensionnés comme sur les voitures. Ce sont des moteurs 2 temps qui tournent à très bas régime avec le fuel lourd n°2. Mais pour lancer ce moteur, il faut lancer un autre moteur d’abord qui lui fonctionne au gasoil et qui va en outre préchauffer le fuel lourd pour qu’il puisse être utilisé.
On connait la quantité de fuel qui s’est déversée dans la mer ?
Les cuves n’étaient pas pleines, mais ça va jusqu’à 1000/1500 tonnes de brut et aux moins 500 Tonnes de gasoil sur ce type de navire. En tout cas, tout ce qu’on sait c’est qu’ils ont pompé à peine 40 Tonnes de brut…Le reste est parti à la mer. (190 tonnes de fuel et 40 tonnes de gasoil au moment de l’échouage !!)
Et puis on l’oublie, mais une semaine avant, un bateau qui transportait de l’argile a coulé au large de Penmarch après une collision avec un pétrolier. En fait ce genre de bateau est sous-motorisé et ils limitent au maximum le fuel. Donc ils font leur trajectoire, et n’en dévient sous aucun prétexte, juste pour économiser 3 sous. C’est vraiment le dogme du profit à tout prix au détriment de toute sécurité. Et puis le Tk-Bremen avec son petit moteur et son énorme prise au vent, il ne pouvait dans ces conditions, que finir à la côte. Les seuls bateaux qui sont bien motorisé ce sont les remorqueurs. L’abeille Bourbon qui a reçu le message d’alerte à 0H30 est venu directement de Ouessant. Ils étaient là le matin au large de la Barre. Ils ont fait plus de 20 nœuds de moyenne en pleine tempête. Le pire, c’est que s’il y avait eu un remorqueur pour le golfe de Gascogne et le sud de la Bretagne, le Tk-Bremen aurait sans doute pu être sauvé …
Être propulsé sur le devant de la scène, ça doit être grisant. Comment c’est passé le contact avec les médias ?
Je ne fais pas ça pour finir à la télé, les journalistes ils ne comprennent pas ça ! Moi je n’ai pas la télé, ça ne m’intéresse pas, je suis juste en colère parce qu’on a souillé mon terrain de jeu. Ça fait peur quand tu vois que pour 80% des gens, c’est la seule source d’information. Ce n’est pas évident de gérer les médias. Moi je ne donne pas d’interview, je ne leur adresse pas la parole, c’est comme ça que je fais passer le message, ils ne peuvent pas faire de coupe et me faire dire ce que je n’ai pas dit. Avoir réussi à dire sur les chaines nationales « C’est la recherche du profit au détriment de nous et de l’environnement », c’est juste parfait, on n’a pas besoin de rajouter quoi que ce soit. Le pavé est dans la mare !
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Pour approfondir je ne saurais que conseiller la lecture d’un remarquable petit livre : « Erika : plus jamais ça » de Jean Bulot, capitaine pendant 15 ans des remorqueurs de haute mer, l’Abeille Flandre et l’Abeille Languedoc.