Parcours – Jean-Pierre Drouet impressionnant à l’Antipode !

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-015Public assis, bric à brac d’assemblages d’objets pour le moins hétéroclites (roues de vélo, moulin à bouteilles et autres manivelles…), percussionniste chenu enthousiaste et alerte se déplaçant sur la scène avec de drôles de mimiques en parlant une langue inconnue… Voilà en quelques mots ce qui attendait le spectateur curieux à l’Antipode ce samedi 30 mars pour un spectacle de musique contemporaine.

L’Antipode, en partenariat avec le Bon Accueil, l’IUFM et Arts Vivants en Ille-et-Vilaine, s’est en effet engagé à faciliter l’accès à la musique contemporaine pour tous en cette fin du mois de mars par le biais d’un projet spécifique. D’abord en proposant des prix attractifs et plus que raisonnables (5 euros pour les enfants, 8 euros pour les grands) pour le concert donné ce samedi. Ensuite en programmant une œuvre certes exigeante, mais dont l’aspect visuel et l’instrumentation permet facilement d’accrocher à ce que l’on entend. Enfin, en proposant à tous (notamment aux scolaires) de découvrir et de manipuler les instruments imaginés par Claudine Brahem (et dont l’interprète s’est servi ce soir) en amont au travers d’expositions au Bon Accueil et à l’Iufm.

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo

Les différents partenaires du projet ont ainsi souhaité «compléter » ces deux temps d’exposition par un concert de Jean-Pierre Drouet : le compositeur-percussionniste a en effet été invité à interpréter des pièces de théâtre sonore composées par Georges Aperghis à l’Antipode sur ces mêmes machines. D’abord pour les scolaires, ensuite pour tous. Car Claudine Brahem l’explique : « Mon travail se compose de deux parties : [d’une part] les machines «programmées» à l’usage de tous, où un simple mouvement entraîne une petite histoire sonore. [D’autre part] les instruments de musique à l’usage des musiciens, dans le cadre des compositions ou d’improvisations. » Claudine Brahem a en effet d’abord créé ses machines pour le théâtre musical. Il est donc devenu évident qu’il fallait «ajouter au plaisir de manipuler ces machines, celui de les voir et les entendre dans leur utilisation professionnelle. »

« Instruments, instruments… Il faut le dire vite »  se disait-on au premier abord en rentrant dans la salle de l’Antipode. En lieu et place des habituels guitares-basses-batteries ou instruments classiques, la scène de l’Antipode était recouverte de machines pour le moins étranges exposées sur trois niveaux. Il s’agit plus exactement de machines musicales, entendez des assemblages d’objets somme toute hétéroclites (roues de vélo, moulin à bouteilles, fontaines, bambous, cordes et autres manivelles…) se mettant en mouvement à grand renfort d’huile de coude et produisant des sons très divers.

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-021

En attendant l’arrivée du musicien, on observe attentivement, comme les plus jeunes, de quoi est faite chaque machine. On découvre les yeux écarquillés ces assemblages épatants… Et on ne ment pas en disant qu’on attend progressivement avec de plus en plus d’impatience d’entendre comment Jean-Pierre Drouet va s’en servir.

D’autant que le musicien est l’une des grandes figures de la musique contemporaine. Né en 1935, le percussionniste et compositeur s’est illustré par son ouverture aux différentes musiques : de l’improvisation qu’il développe avec le New Phonic Art, du jazz qu’il joue avec le Jazz Groupe de Paris d’André Hodeir, aux percussions extra-européennes (zarb -une sorte de tambour perse-, tablas), en passant par la musique contemporaine (Berio, Stockhausen, Xenakis), Jean-Pierre Drouet fait preuve d’un éclectisme impressionnant. Pour Arthur Péquin, Jean-Pierre Drouet « a largement contribué à élargir la gamme des percussions traditionnellement admises dans les orchestres, faisant preuve d’une fantaisie imaginative sans limite dans l’art du bruitage. Crépitements, frottements et bruissements des percussions, sifflements auxquels se mêlent des raclements vocaux, les sons qu’il produit (…) sont d’une infinie variété. (…) Naturelles ou fabriquées comme les machineries de Claudine Brahem, les sonorités organiques du quotidien sont détournées ou transposées jusqu’à s’en trouver métamorphosées. Son corps tout entier devient «machine à musique» dans une performance improvisée et théâtralisée aussi visuelle que sonore » .

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-002

Le noir se fait. Le silence est total. Des lumières apparaissent progressivement et éclairent une machine sonore sur la droite sur le devant de la scène. Il s’agit d’une sorte de tricycle géant sur lequel Jean-Pierre Drouet vient de s’installer. Il gratte, cliquète, frotte, frappe sa « veste-préparée » (comme peut l’être un piano), puis ses roues-tambours avec des mailloches inédites. Tout en éructant, crachotant et énonçant son discours dans une langue inconnue. Un micro transmet tous ses raclements vocaux et les rythmes de ses souffles. La salle ne fait aucun bruit et écoute attentivement cette logorrhée accompagnée de cliquetis, grincements, bruissements et de fracas soudains. On rigole intérieurement en se disant que Jean-Pierre Drouet est une sorte de beatboxer de la musique contemporaine.

Pourtant il faut bien le dire, si l’on s’en tient au simple aspect sonore, l’écoute de cette pièce de Georges Aperghis n’est pas des plus aisées lorsqu’on n’est pas familier de la musique contemporaine. Surtout que comme nous murmure notre voisine en riant, ce percussionniste ne joue pas en rythme ! Oui, mais voilà, ce Parcours proposé ce soir est en réalité une œuvre de théâtre musical. Georges Aperghis s’intéresse particulièrement aux relations entre musique et texte, entre musique et scène, et articule ses recherches autour de trois grands domaines : la musique de concert, l’opéra et le théâtre musical donc (il a été d’ailleurs été co-fondateur de l’aventure de l’ATEM).

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-010

Sur la scène face à nous, son complice Jean-Pierre Drouet s’amuse donc à brouiller les frontières, les  rapports habituels entre l’instrumentiste et le comédien. Oui, le percussionniste joue de ses instruments tout en jouant la comédie. Oui, le musicien adopte des mimiques expressives et s’accompagne de gestes théâtraux (mimer l’étonnement, la colère, froisser et déchirer sa partition, avancer sur une ligne tel un tireur à l’escrime, mimer des dialogues en se mettant dans la peau -on devrait dire dans la voix- de chaque personnage…) pour dire son « texte » incompréhensible, simple suite de sonorités a priori insensées devenue musique.

La langue (fût-elle apparemment insensée) est devenue matière sonore, matériau musical. Mais en parallèle cette profusion langagière, parce que dite avec des codes connus (les mimiques d’étonnement, de colère, les intonations différentes) se fait croire narrative et raccroche le spectateur. Quand Jean-Pierre Drouet s’arrête étonné devant une sorte de luth-guitare-violoncelle non identifié en hochant la tête et en disant : « An Nat » , le spectateur se prend à aussitôt donner sa propre signification à ces drôles de mots : pour qui le nom de l’instrument, pour qui des paroles d’étonnement…

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-009

L’apparence narrative est renforcée par les déplacements du musicien-comédien qui, tout au long de la pièce, effectue un  parcours entre les trois niveaux et s’arrête successivement pour jouer de chaque machine sonore. Ce cheminement, aisément lisible par le spectateur est aussi une sorte de fil d’Ariane à suivre pour ne pas se perdre dans ce dédale sonore. On regarde les machines que le musicien n’a pas encore touchées et on sait « où on en est » , où le spectacle va encore nous emmener. Ce parcours entre les machines est aussi une façon de rythmer la pièce. D’autant que Parcours est une pièce composite, constituée à partir des extraits d’autres œuvres de Georges Aperghis (Conversations, Énumérations, Tour de Babel et Éclipse Partielle), reposant sur des séquences relativement courtes qui s’enchaînent pour retracer les « recoupements » des travaux collectifs, des « parcours » menés par Georges Aperghis et Jean-Pierre Drouet.

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-016

Le plus étonnant pour le spectateur est de se persuader que malgré l’aspect totalement perché de la représentation, tout est écrit. Des partitions sont cachées à plusieurs endroits de la scène et Jean-Pierre Drouet les suit (a priori !) à la lettre. On serait vraiment curieux de voir à quoi ressemble ces partitions, cet « encodage polyphonique d’actions, (…) de musiques, de (…) paroles » . Et c’est là qu’on saluera la performance totalement géniale du musicien. Quelle énergie déployée par le percussionniste ! Et de quelle maîtrise impressionnante il fait preuve. Qu’il s’agisse de ces paroles déclamées, crachotées, éructées, chuchotées, lentement ou avec un débit en cascade accompagnées de petits rires, de respirations rythmées mais aussi des expressions du visage ou des gestes théâtraux, Jean-Pierre Drouet ne perd jamais le fil et capte tout autant l’œil que l’oreille du spectateur. On l’écoute bouche bée et on ne le lâche pas des yeux. Vers la fin du Parcours, la langue deviendra du français pour une sorte de démonstration scientifique (ou du moins son simulacre) autour du charbon et l’on prendra alors la pleine mesure de l’incroyable diction de l’interprète.

2012-03-31-Antipode-Mach_sonores-JP_DROUET-alter1fo-019

Aussi même si tout ça est abrupt, a priori peu aisé à écouter si l’on n’en connaît pas les codes, une grande partie de la salle adhèrera pleinement à ce qui est en train de se jouer, riant de bon cœur à certaines facéties du musicien alerte et goguenard. Les enfants, qu’on aurait pu craindre vite ennuyés, se laisseront également porter et nous demanderont, après la représentation, force détails sur les machines qu’ils viennent d’entendre.

Car c’est aussi l’une des forces de ce Parcours atypique : la magie et la poésie que dégagent ces émouvantes machines musicales. C’est avec le même enchantement que les plus jeunes spectateurs qu’on écoutera une balle de ping-pong(?) dévalant un tunnel de plastique ou une fontaine autour de laquelle basculent de petits morceaux de bambous (et autant l’avouer, on ne pensera plus qu’avec émerveillement à ce moulin à eau constitué à partir de bouteilles qui se vident et se remplissent dans un glougloutement de bulles).

Photos : Caro

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires