Entre deux ralliements trahisons, entre deux mises en examen, entre deux petites phrases assassines, l’info est peut être passée quasi inaperçue. Et pourtant, elle concerne aussi les élections, l’abstention et le droit de vote. Le 14 mars dernier, la Chancellerie a validé la mise en place d’ « une étude de faisabilité en vue d’une éventuelle expérimentation du vote en détention des personnes détenues aux élections législatives de juin prochain ». Il s’agit là d’ une petite victoire pour l’association Robin des lois qui milite depuis 2014 pour un droit de vote effectif des détenus dans les établissements pénitentiaires. Petite puisque, comme le précise le communiqué du ministère de la Justice, on ne parle que d’une étude de faisabilité et ce, à l’intérieur d’une seule maison d’arrêt-test. Mais victoire tout de même !
Une personne détenue en prison a déjà le droit de voter
On ne le sait que trop peu mais comme le rappelle François Korber, délégué général de ladite association, « depuis la réforme pénale de 1994, les prisonniers ne sont plus automatiquement déchus de leurs droits civiques ». Ainsi, ils seraient autour de 50 000 à conserver leur droit de vote mais concrètement, on estime que moins de 4% d’entre eux l’exercerait. Et pour cause ! Derrière les murs, derrière les barreaux ou les parloirs, voter reste encore bien trop compliqué, les seules solutions étant :
- la permission de sortir mais « elle est généralement octroyée pour des cas graves tels qu’un enterrement, pour maintenir les liens familiaux ou rechercher du travail », selon François Bès, directeur du pôle Enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP). D’autant que tous les détenus n’y ont pas droit. (1)
- la procuration mais « les démarches pour une procuration ne sont pas simples et on n’obtient pas une permission de sortie comme un ticket de métro », selon le député des Français de l’étranger EELV Sergio Coronado(2).
Une personne travaillant dans un établissement pénitentiaire auprès de détenus nous le confirme également :
Sonia (nom d’emprunt) : « Dans certaines villes, les magistrats sont réceptifs à la permission de sortir pour aller voter. Mais, il y a toujours un mais en prison ! Il ne faut pas que le détenu ait connu d’incident au cours des semaines précédentes comme, par exemple, se faire prendre avec un portable dans la cellule ou être impliqué dans une bagarre. Pire, si le détenu a tenté de s’évader lors d’une extraction, il le paiera plusieurs mois… jusqu’au bout en fait. Pour ce qui est de la procuration, c’est très complexe pour un détenu car ce dernier doit trouver une personne pouvant aller voter à sa place dans le bureau de vote lié à la commune de son incarcération. Ce n’est rarement pas sa commune d’origine. Cela nécessite en plus pour le détenu l’anticipation d’être inscrit sur la liste électorale ou d’avoir fait le changement de bureau de vote à son arrivée en détention… »
Des urnes dans les coursives
La solution passe peut-être par l’idée d’introduire des urnes directement au sein des prisons comme le demande l’association. Un peu comme le font déjà d’autres pays européens tels que le Danemark ou la Pologne. Difficile à croire au vu de la dérive nationaliste et populiste que prend ce pays mais en 2011, 58,7% des personnes incarcérées en Pologne en capacité de voter ont participé aux élections législatives (source OIP).
Sonia (nom d’emprunt) : « J’ai interrogé mes collègues à ce sujet. L’ AP (administration pénitentiaire) n’est pas réfractaire sur le sujet et il semblerait assez simple qu’un bureau de vote soit ouvert en détention. Je pense que ce n’est pas encore effectif pour des raisons de moyens, de manque de personnes… »
Permettre aux personnes détenues de voter dans la prison en déposant un bulletin dans l’urne comme tout citoyen permettrait pour les Robins des Lois d’ « introduire davantage de « République » dans l’univers carcéral » mais aussi « une manière, pour certains, de ne pas se radicaliser dans la violence ou la religion ». Gael Roblin, militant, membre de Breizhistance, nous parle de son expérience carcérale :
Gaël Roblin : « Au cours de mon incarcération, j’avais pu voter lors des présidentielles de 2002. Tous mes compagnons de cellules qui avaient également voté à cette époque étaient par contre tous déjà politisés. Pour l’anecdote, un rapide sondage me faisait dire que Besancenot était arrivé en tête des sondages (rires…) Comme à l’exterieur, les élections présidentielles sont source de discutions entre détenus, entre les votants ou les non-votants. Les conversations politiques au sein des prisons sont toutes aussi intéressantes qu’à l’exterieur, voire plus. Les détenus ont un sens aigu des conséquences que peuvent avoir certains discours des politiques comme ceux sur la surenchère sécuritaire… »
L’administration pénitentiaire ? Un État dans l’État ?
Mais ce n’est pas parce que des urnes seront présentes que chaque détenu deviendra subitement un électeur assidu. L’administration pénitentiaire réalise déjà un travail d’information. Sonia nous explique malheureusement les limites de l’exercice : « Même avec une mise en page avec un fond blanc, de l’encre noir… communiquer en prison relève de Koh Lanta. J’ai essayé la couleur, le format A3 au lieu du A4, le flyer par détenu… le support écrit fonctionne très peu. » Et puis, à l’intérieur des prisons, « ce sont essentiellement des hommes, jeunes et seuls, issus des quartiers, d’origine immigrée, une catégorie de population qui vote assez peu » selon François Bès de l’OIP. Pour d’autres, le vote ne devient plus une priorité. Un détenu confiera même à Sonia : « En arrivant ici, j’ai posé mon cerveau au vestiaire. Ici, je ne pense à rien de l’extérieur. Je verrai ça quand tout ça sera fini. »
Bref, le droit de vote effectif des détenus, ce n’est pas pour demain même si certains candidats à la présidentielle en font une promesse de campagne (Mélenchon, Poutou et même Hamon). Ce n’est sans doute pas non plus la priorité première de la France et de son administration pénitentiaire qui se fait régulièrement taper sur les doigts et condamner par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) à cause de la surpopulation carcérale et de l’état de ces prisons. Et que dire de l’avis de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté qui s’alarmait de l’atteinte aux « droits fondamentaux des détenus » lors de leur prise en charge à l’hôpital en 2015. Un détenu est privé de ses libertés mais n’est pas privé de ses droits.
Gaël Roblin : « Expliquer aux détenus qu’ils ont le droit de vote et les aider à l’exercer, cela ne me semble pas anecdotique. Cela me semble même respectable. Mais, selon moi, l’urgence serait d’appliquer le droit du travail. Il y a des multinationales ou des entreprises en France qui profitent d’une main d’oeuvre à très bas coup… L’association va être confrontée à une contradiction : le droit du travail voté par l’assemblée nationale et par les députés que les détenus vont pouvoir élire s’arrête aux portes des centres pénitentiaires… »
(1) : Seules les personnes sont concernées les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans ainsi que les personnes condamnées à une peine de plus de cinq ans dès lors qu’elles ont accompli au moins la moitié de leur peine. Les détenus placés en détention provisoire en sont exclus.
(2) : L’association Robin des lois, le député Sergio Coronado (Europe Ecologie-Les Verts) et l’avocat Jean-Christophe Ménard ont lancé mercredi 9 novembre une campagne pour le droit de vote effectif des détenus.
◊ Site web de l’association Robin des lois
◊ Une personne détenue en prison a-t-elle le droit de voter ?
◊ Rendre possible le vote en prison avec « Robin des lois » (VIDEO)