Dans les années qui ont suivi la sortie du film Amélie Poulain, Yann Tiersen s’est échiné à se débarrasser de l’étiquette « ritournelles bien de chez nous » dont il s’était senti affublé lorsque le succès du film l’avait fait connaître auprès du grand public à travers le prisme de sa BO. D’abord avec une tournée (+ album live « On tour ») où il déconstruisait à coups de guitare saturée des titres initialement interprétés à l’accordéon et au piano-jouet : à Rennes, on se souviendra notamment du concert de clôture des Tombées de la Nuit 2005 place de la mairie où la formation rock l’accompagnant envoya un mur du son à la My Bloody Valentine sous le regard perplexe de quinquagénaires venus entendre de jolies petites valses d’antan… Ensuite en enchainant trois albums (Dust lane, Skyline et Infinity) dans une veine post-rock, sorte de lointain cousinage avec les envolées lyrico-saturées des Canadiens de Godspeed You! Black Emperor ou les premiers albums des Islandais de Sigur Ros, pour évoluer ensuite vers un registre plus posé, rappelant parfois les arrangements sophistiqués des Rennais de Mermonte.
Avec ce nouvel album, Eusa, d’abord publié l’an dernier sous forme d’un recueil de partitions, le compositeur formé au conservatoire de Rennes revient à ses fondamentaux et à un de ses instruments de prédilection: le piano, avec un album instrumental en solo. Même si le style diffère, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le parcours de (Chilly) Gonzales qui, au milieu d’une discographie foutraque aux arrangements souvent touffus, est venu se ressourcer par deux fois dans la simplicité d’une parenthèse en tête à tête avec son instrument, pour le plus grand bonheur de nos oreilles (Piano Solo, et Piano Solo II… poussant le dépouillement jusque dans les titres des albums)
Enregistré à Ouessant (« Eusa » en Breton), chaque titre a été inspiré par un lieu spécifique de l’île sur laquelle le Brestois d’origine vit désormais avec sa compagne Emilie Quinquis, qui a débuté sa carrière solo à Rennes sous le nom de Tiny Feet et dont on entend la voix sur quelques titres. On retrouve également sur nombre de morceaux les rythmes ternaires qu’affectionne le musicien et qui ont contribué à sa popularité à travers son « tube » La valse d’Amélie.
Si le choix du piano seul le rend moins original dans le style que les albums précédents, et que certains titres donnent une impression de déjà entendu (Penn ar Lan, qui n’est pas sans rappeler le « Watching Lara » de la B.O. de Goodbye Lenin…), ce nouvel album recèle néanmoins quelques morceaux infiniment plus émouvants (Porz Goret, Yuzin…) que ce qu’avaient à offrir les plus cérébraux Skyline ou Infinity, pour aussi intéressants qu’ils soient musicalement.
Bref, si les quelques albums précédents de Yann Tiersen lui avaient permis d’explorer d’autres pistes et d’éviter ainsi de tourner en rond, on pourra néanmoins se réjouir de ce retour aux sources, car Eusa est beau… comme du Tiersen : welcome home, Yann.