Carte Blanche à Régïs Boulard : la terre a tremblé et le chien est devenu vert

2011-10-06-CHIEN_VERT-alter1foOn attendait la soirée avec impatience : Chien Vert et La Terre Tremble !!! ne nous ont pas déçus pour cette carte blanche consacrée à Régïs Boulard.

C’est Trunks qui nous a amené à découvrir Régïs Boulard. On avait été totalement emporté par la classe du quintet rennais à la musique aussi évidente qu’accidentée. Dans le quintet, justement, cinq musiciens qui ont chacun de leur côté une solide carrière : Florian Marzano (We only said), Laetitia Sheriff, Stéphane Fromentin (Chien Vert), Daniel Paboeuf (déjà dans Marquis de Sade et aujourd’hui dans DPU) et Régïs Boulard, donc, à la batterie.

On a ainsi découvert progressivement, assez éberlué, on doit le dire, un batteur aux projets aussi multiples que passionnants. Le musicien navigue en effet entre la musique expérimentale et le rock avec escales sur les rivages du jazz, participe à des projets essentiels (Trunks, donc, mais aussi Chien Vert, Noël Akchoté, Régis Huby, Jean-François Vrod, Sons of the desert, Olivier Mellano) et a sorti certains de ses disques sur Signature, l’un des labels de Radio France. L’hiver dernier a ainsi vu la sortie du second album de Chien Vert, Radio Dog, enregistré dans les studios de Radio France, excusez du peu, après un premier essai réussi et remarqué (Les touristes, 2008).

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La Station Service « avec une idée particulière de la fidélité » souffle Régïs Boulard a donc décidé de proposer une carte blanche centrée autour du batteur rennais. Programmée au tout début du mois de février dernier à l’Antipode, la carte blanche autour de Régïs Boulard a finalement dû être annulée et être reportée à une date ultérieure. On a donc retrouvé l’excellent musicien rennais avec son trio Chien Vert le 6 octobre dernier au Théâtre du Vieux St Etienne, l’Antipode étant occupé à la même période par la reformation des mythiques Mass Murderers.  Tout juste ré-ouvert (le 23 septembre), après des travaux de rénovation (afin de conforter la charpente et de réaliser des aménagements techniques pour faciliter le travail des équipes artistiques), le Théâtre du Vieux St Étienne a accueilli cette soirée produite par la Station Service et soutenue par l’Antipode, Regïs Boulard choisissant de présenter un concert de sa formation la plus personnelle, Chien Vert, précédé de la prestation de ses invités, les non-moins excellents La Terre Tremble !!!

C’est donc le trio feu auvergnat qui arrive sur la scène après une première présentation à la fois drôle et émouvante de Régïs Boulard : il se montre étonné de voir autant de monde, remercie son papa, et présente le groupe qu’il a invité. Il explique avoir rencontré La Terre Tremble !!! il y a 7 ans lors d’un stage d’impro qu’il dirigeait. Les musiciens plus ou moins nouvellement rennais (mais qui se partagent aussi en terre nantaise) nous avaient d’ailleurs dit en interview en juin 2010 : « s’il y a bien un musicien dans le coin dont on partage pleinement l’approche (et il n’est pas de Rennes même) c’est bien Régïs Boulard. » L’admiration semble donc bel et bien réciproque puisque le trio ouvre la soirée.

2011-10-06-LA_TERRE_TREMBLE-alter1fo-2Régïs Boulard rejoint la salle pour écouter La Terre Tremble !!! qui commence avec un enchevêtrement de guitares hypnotiques. Julien Chevalier à la gauche de la scène avec sa guitare rouge et Benoît Lauby sur notre droite avec sa Gibson-bois tricotent deux mélodies qui tout en restant accessibles, jouent parallèlement avec une certaine dissonance. Au milieu, Paul Loiseau, commence lui aussi le concert avec une six-cordes : cette entrée en matière tout à la fois limpide et exigeante nous met tout de suite dedans.

A la fin du titre, Paul Loiseau repose sa guitare et se transforme. On adore les disques de La Terre Tremble !!! (surtout Travail,  paru en 2009 sur Effervescence, mais ressorti en juin dernier en vinyle), mais force est de constater que le passage au live est une grosse claque. Les musiciens nous avaient dit : « les chansons naissent souvent sur disque sous des formes assez froides et brutes, un peu comme de solides points de départ pour une réinterprétation plus vivante sur scène » , mais on ne se doutait pas que ce soir, la transformation serait si radicale.

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Paul Loiseau, une fois sa guitare reposée devient un batteur fou et époustouflant sur le reste du set, qui assure en même temps la voix principale. Ce gars-là est littéralement habité : sa batterie est réduite à quelques toms et lui laisse le pied droit libre ; il en profite pour rebondir et bondir assis (pas facile à imaginer, je vous l’accorde) d’un côté et de l’autre de ses percussions, frappant les toms, parfois à l’aide de baguettes, mais aussi d’une maracas, chantant tout aussi parfaitement qu’il crie (les chanteurs qui savent crier ne sont finalement pas si nombreux). On est très vite hypnotisé. D’autant que Julien Chevalier et Benoît Lauby tricotent (mais aussi détricotent) des mélodies qui vous agrippent l’oreille en quelques répétitions pour vous emmener après quelques mesures sur des rivages insoupçonnés et in-ouïs.

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Le trio propose une musique savamment construite, autour de motifs rythmiques à la guitare, à la batterie ou à la voix, que vient toujours gripper un petit grain de sable… Ce qui relance alors le morceau dans une direction encore différente. Sur chaque voie mélodique apparaît systématiquement un carrefour inattendu.  Tout autant hypnotisé que constamment surpris, on garde l’oreille en alerte. Ce groupe n’est pas celui d’une idée = une chanson. Avec La Terre Tremble !!! c’est plutôt 15 idées qui font surface en quelques minutes : un nouvel élément sonore déboule soudainement alors que vous étiez happé par un motif qui se répétait depuis quelques mesures, et hop, vous voilà de nouveau embarqué pour de nouveaux rivages. Benoît Lauby a beau casser une corde de sa guitare et en remettre une neuve le plus rapidement possible, on ne décroche pas une seconde de l’intensité habitée du trio invité. Qu’ils chantent en allemand ou en anglais, les titres se révèlent tout aussi époustouflants. La seule difficulté finalement, sera de rester assis : les coups de butoirs de Markov Chain nous incitant plutôt à marteler le tempo de la tête et du pied.

Sur les deux derniers titres, Régïs Boulard rejoint ses invités. Il se place derrière eux, à la batterie. On est aussitôt frappé par la classe du bonhomme. On observe en même temps deux styles totalement différents de jouer de la batterie : devant tout en intensité, Paul Loiseau martelle en finesse, tandis que derrière, Régïs Boulard avec un certain flegme jazz rebondit sur ses toms tout en légèreté et décoche, riposte et suspend. On en prend plein les oreilles de  richesse et de nuances pleines de subtilité. A la fin, on applaudit. Fort. Comme le public venu nombreux. Régïs Boulard nous prévient alors : Chien Vert, sa formation, qui va suivre propose une musique bien plus calme. Pour notre part, on n’en a cure : on aime tout autant les développements intimistes de Chien Vert.

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Le second trio prend place. Derrière, un grand écran blanc sur lequel des couleurs lumineuses (vert, bleu, jaune…) seront tour à tour projetées. Sur la scène, au sol et en hauteur, des lanternes en papier qui s’éclairent aussi sous les spots de couleurs. Une ambiance à la fois lumineuse et intimiste, un décor minimal mais chaleureux qui souligne les nuances de la musique instrumentale de Chien Vert. A droite de la scène, Nicolas Méheust (Shtok) s’occupe des claviers (Mellotron, Rhodes, Mini Moog) mais aussi de la basse, profonde et grave, sur quelques titres. Stéphane Fromentin est sur la gauche, assis devant ses pédales d’effets avec sa guitare électrique, tandis que Régïs Boulard, au centre, tient la batterie.

L’atmosphère est bien plus ténue et calme. Les notes de la guitare de Prayer for Robert, tout à la fois recueillies et amples, remplissent progressivement l’espace, tandis que la batterie alterne roulements et développements jazz. Car Régïs Boulard, nous semble-t-il, joue autant sur le rythme que sur les sonorités qu’il peut tirer de son instrument. Il peut ainsi jouer avec ses baguettes, les retourner, les tenir sur toute la longueur ou à la moitié, mais peut aussi jouer avec deux baguettes dans chaque main, avec une couverture ou des clés (???) sur ses toms. Il frotte une cymbale avec la pointe d’une baguette, ou encore, on l’a déjà dit, rebondit sur ses toms tout en légèreté et décoche, riposte et suspend.

La variété des claviers utilisés par Nicolas Méheust participe du même effet : le mellotron (?) sur Chien Vert, évoque pour nous Robert Wyatt, et comme sur ‘Sea Song’ de Rock Bottom, convoque des sirènes qui vous essorent le cœur en quelques mesures, un clavier plus classique souligne quelques mélodies à la guitare d’arpèges épurés, tandis que des notes plus « bontempiesques » résonnent sur Radio Kids. A la guitare, Stéphane Fromentin joue tout en fluidité, mais aussi sur les échos, les effets grâce aux pédales à ses pieds. Parfois les harmoniques résonnent, d’autres fois sa guitare se pare de gravité post rock comme sur l’excellente Umkehrwaltze.

2011-10-06-CHIEN_VERT-alter1fo-8C’est d’ailleurs l’un des deux titres que Chien Vert choisira de jouer en rappel. Régïs Boulard plaisante alors en disant qu’ils ne « sont pas un groupe à rappel », qu’on ne leur en demande jamais et que donc ils ne savent pas quoi jouer. Il espère être pris d’une inspiration subite pendant les trois pas qui séparent le devant de la scène de sa batterie. On rit encore lorsqu’il propose de jouer leurs tubes « enfin les tubes de Chien Vert » , sous-entendant que ce ne sont des tubes que pour eux.

En dessert, on déguste donc de nouveau deux titres joués lors du set avec une certaine délectation : Umkehrwaltz et Cantankerous waltz. A la fois répétitives et tout en pesanteur, les deux valses rappellent que si le trio développe des ambiances intimistes, il peut aussi durcir le ton et jouer de gravité. Une nouvelle fois, on martèle du pied et de la tête.

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On repart du vieux théâtre conquis et enthousiaste, même si un peu étonné de se retrouver dehors si tôt (ben oui, avec un concert qui commence à 19h00…). Durant cette soirée, on a retrouvé l’émotion qui nous avait étreints lors de l’interview que nous avions faite avec Régïs Boulard en janvier dernier : la sincérité et l’intégrité du bonhomme ne font pas doute et on se promet de continuer à suivre l’homme et ses projets. En interview, il nous avait dit : « Ma femme m’influence beaucoup. Elle est à la fois très élégante, toujours, et diablement « cash ». Je voudrais que ma musique soit comme ça. C’est d’ailleurs un peu la même chose avec Stéphane et Nicolas. Je suis très fan de ces types-là. J’aime être fan. Mon fils est fan d’ AC/DC. Et je vois que c’est un moteur pour lui. Il s’éclate avec ça. »  De notre côté, on est assez persuadés de rester un bon moment fan de cet homme-là.

Photos : Caro

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Site de Régïs Boulard/ Chien Vert : http://chienvert.fr/

Site de Trunks : http://www.trunks.fr/trunks1.0.html

Myspace de La Terre Tremble !!! : http://www.myspace.com/laterretremble

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