Shannon Wright en interview – Something to live for…

If you don’t speak french, you can listen this interview in english. Questions are in french, but you can easily understand Shannon’s answers.

Shannon Wright revient sur scène cet été après plusieurs concerts début 2014. On aura l’ineffable bonheur de la retrouver pour une date parisienne au Nouveau Casino le 17 juillet ainsi qu’à Ribérac le 18, mais également pour un concert le mercredi 16 juillet à Montaigu au Noctambule (aka le Noc) pour fêter les 10 ans de concerts du lieu vendéen.

Lors de sa précédente venue en France, nous avons eu une nouvelle fois le plaisir (on mesure toujours et encore notre chance) de la retrouver pour une interview juste avant son concert à l’Instant Thé à l’Antipode.

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (3)Ce n’est pas la première fois qu’on rencontre Shannon Wright [lire la première interview là, la seconde ici]. Antoine, qui accompagne Shannon sur cette tournée de début d’année au son, nous dira même après l’interview que l’Américaine se demandait bien quelles questions on allait encore pouvoir lui poser. On voudrait d’ores et déjà lui dire qu’après celle-ci, on risque d’en avoir encore un paquet.

Pourtant, avant de la retrouver en chair et en os par ce dimanche après-midi, on n’en mène pas plus large que d’habitude. On tremble comme des feuilles avant la tornade. On vérifie quarante fois qu’on a bien pris deux enregistreurs et des piles neuves. On a la gorge sèche, le pas électrique et les genoux qui lâchent. On alterne même régulièrement entre l’envie immense de retrouver la musicienne et celle de s’enfuir en courant dans le soleil de février. Jusqu’à ce que Shannon arrive. Toujours aussi douce et calme dans la vie qu’elle peut être déchaînée sur scène. Arrivée la veille d’Atlanta où une tempête de neige fait rage, elle est épuisée, rattrapée par les effets pernicieux d’un sérieux jetlag.

Il s’est encore passé quelque chose pendant cette interview. Un peu comme à la première, où on a eu du mal à se quitter (on aurait bien continué à parler des heures si les kids de l’Antipode (déjà) n’avaient pas eu besoin de la salle où nous étions). On l’a senti entre autre avec un problème de traduction qui pour la première fois s’est posé à nous. S’il était clair que jusqu’à présent, nous vouvoyions la musicienne (« malheureux, on ne tutoie pas Shannon », avait rigolé Guillaume de Vicious Circle à l’attention d’un autre journaliste), on a eu l’impression, pendant l’interview de passer du « nous » au « tu ». De sa part et de la nôtre.

Sûrement l’interview la plus personnelle que Shannon nous ait donnée (et pourtant, les deux autres déjà…). Alors sûrement, celle-ci s’adressera peut-être d’abord aux fans. On s’en excuse. On a moins parlé de musique que d’habitude (enfin, quoique). Tant pis. [Si vous avez un peu de temps, d’ailleurs, on vous propose même de lire les trois interviews à la suite ici, pour avoir un aperçu plus complet de la carrière époustouflante de cette très grande dame] Ce moment fut juste du bonheur en barre. Étonnamment simple et sincère. Rencontre.

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-16Petite piqûre de rappel pour ceux qui ne la connaîtraient pas.

On ne mentira pas, cette fille-là, on l’aime d’amour. Parce qu’elle nous a centrifugé cœur et estomac tout ensemble à chacune de ses prestations ou sorties discographiques. En 1998, l’américaine saborde son groupe, Crowsdell, et part, seule, avec sa guitare comme unique bien. De là naîtront les fragiles et troublants Flighsafety et Maps of Tacit (1999 et 2000), puis plus tard, le rêche et sublime Dyed in the Wool (2001). Une vraie claque déjà. De ces disques qu’on écoute en boucle pendant des jours, sans rien vouloir écouter d’autre. Tout ça grâce au très bon label bordelais Vicious Circle qui vient alors de signer la sortie de l’album dans l’Hexagone. Nous, on n’y comprend rien. Pendant des jours, voire des semaines entières, on se repasse un même morceau en boucle, découvert sur un sampler d’Abus Dangereux. On vient d’être grillé par la foudre. On attendra avec une fébrilité alors inconnue la sortie de l’album en France. Dyed in the wool, teint dans la laine, imprimé au plus profond de nos épidermes, déjà.

La France a aussi la chance de la découvrir en live, en première partie de Calexico lors de prestations intenses. Shannon est écorchée et passionnée, elle ne laisse personne indifférent. On l’a dit. Plus qu’une claque : une tornade. A l’intégrité et à la sincérité qui vous font mal au ventre mais vous libèrent en même temps. Sur scène, le visage souvent dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée. Ses déflagrations sonores vous mettent de terribles claques dont vous peinez à vous relever. Vous pensez enfin arriver à vous rétablir ? Peine perdue, le morceau suivant vous renvoie directement dans les cordes…

En 2004, elle retrouve Steve Albini pour son album (alors) le plus rock et le plus rêche, Over The Sun. Cet album change des vies. Tumulte de guitares électriques, voix poussées à l’extrême. C’est un disque abrasif. Shannon y manie la guitare « comme une serpe » disent les gars de Vicious. Et puis il y a le piano. Ces morceaux doux en apparence qui vous poignardent tout aussi fort. Suivra un disque avec Yann Tiersen qui la fera connaître davantage (écoutez par ici ce que Yann Tiersen dit de cette rencontre qui l’a plus qu’inspiré).

Puis contre toute attente, Shannon revient en 2007, avec Let in the Light, un album apaisé, sans pour autant être rangé. On l’imagine plus heureuse, moins à vif, mais on la sait toujours aussi exigeante. Shannon ne lâche rien. Elle n’a rien à faire des clichés, des modes, des étiquettes. Elle reste sur le fil tendu. Intègre. L’album suivant, Honeybee Girls, sorti en septembre 2009, alterne les assauts frontaux, les climats orageux et les moments plus paisibles… Mais méfiez-vous de l’eau qui dort. Sous ce calme apparent, les cassures apparaissent. Et les morceaux au piano se révèlent tout aussi ravageurs, tout comme cette incursion très rare dans la discographie de l’Américaine, dans les terres électroniques sur un morceau glaçant et bouleversant, Father.

On pensait attendre plus longtemps avant la sortie d’un nouvel opus. Et puis Secret Blood est arrivé début novembre 2010. Une entrée en matière sur les chapeaux de roue, un brûlot hardcore (l’énorme Fractured qui prend toute sa puissance en live), des ballades renversantes et encore des mélodies qui livrent progressivement leurs secrets. La sortie dIn film Sound début 2013 a encore enfoncé le clou. On ne pensait (naïvement) pas que Shannon pouvait aller encore plus loin. En 9 titres désormais essentiels, elle livre un album à la densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et perfore vos poumons. Explosions rêches, riffs qui transpercent, propulsés par une rythmique à la puissance nucléaire ou accalmies poignantes et déchirantes (oui, Who’s sorry now ? ou Bleed juste après) In Film Sound déchaîne les corps et libère les âmes. Ce dernier album a d’ailleurs d’ores et déjà rejoint la liste des disques qui feront date dans la carrière de l’Américaine. Des disques qui feront date dans nos vies.

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Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (6)Alter1fo : Vous avez beaucoup apprécié votre dernière tournée en France et en Europe. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

Shannon Wright : Celle de novembre ou d’avril?

De novembre.

Shannon Wright : C’était une super tournée. Peut-être une des meilleures que j’ai faite. Nous avons vraiment bien joué, je crois. Et nous avons eu des publics incroyables, vraiment chaleureux. A Toulouse, c’était un concert incroyable.

(…)

St Nazaire, c’était bien ; Brest, c’était génial. Mais Laval… C’était intense.

Shannon Wright : Merci (touchée). Il y a eu beaucoup de concerts où nous sommes sortis de scène heureux. Où on s’est dit : « Wow… Qu’est-ce qui s’est passé ? » C’est vraiment spécial entre nous.

Shannon Wright Todd Cook and Kyle CrabtreeComment vont Todd et Kyle justement ?

Shannon Wright : Ils vont très bien. Je viens juste de recevoir un sms d’eux à propos de cette tempête de neige [NDLR : à Atlanta, la veille, une tempête de neige paralysait la ville] me demandant : « est-ce que tout va bien ? Où es-tu ? » Ils sont supers. On se manque toujours les uns aux autres après une tournée.

Peut-être qu’ils seront là sur la prochaine tournée. On espère en tout cas… Vous allez jouer dans quelques heures en solo. On vous a déjà vu jouer seule sur scène, mais cet après-midi, c’est un peu spécial parce que c’est un concept un peu à part, propre à l’Antipode, l’Instant Thé. Les gens seront assis, ils mangeront des gâteaux.

Shannon Wright : Des gâteaux ? On ne m’a pas parlé de gâteaux (Rires).

Oui, et ils vont aussi boire du thé et du café…

Shannon Wright : Uhh… Je ne suis pas du tout au courant. C’est terrifiant ! (Rires).

Désolée. (Rires) Quand on vous a vue à Laval, il y avait plein d’enfants. C’était vraiment bizarre. Je crois que leurs parents n’avaient pas prévu de protections auditives. Cette fois-ci aussi, il y aura sûrement des enfants (mais ils auront les oreilles protégées !)

Shannon Wright : C’est assez intimidant quand il y a des enfants. Il y a eu une date, ils étaient tout devant. Il y en avait deux tout devant, et deux un peu plus loin. On s’est dit : « oh mon dieu, ils vont avoir vraiment peur quand on va commencer !»

Et ils n’avaient pas de casque. Et dès qu’on a commencé, ils ont fait « uhhhh » (elle mime la peur de Munch) « Je veux rentrer à la maison ! » (Rires)

2013-12-intant-the-antipode-alter1fo 2C’était la même chose à Laval, on leur a même donné nos bouchons d’oreilles ! Qu’est-ce que vous pensez d’initiatives comme celles-ci, un concert l’après-midi, où le public boit du thé ?

Shannon Wright : J’aime les concerts tôt, simplement parce que c’est sympa et différent. Mais les gâteaux et le thé, c’est plus… bizarre pour moi ! Je ne savais pas que ce serait le cas. C’est terrifiant !

(Caro, rassurante : ) Tout le monde n’aura pas un gâteau dans la bouche…

Shannon Wright : (D’une voix menaçante et hilare) Posez votre p**** de gâteau !

Je crois que vous jouez en second, …

Shannon Wright : (Elle finit ma phrase) … donc les gâteaux auront disparu, ils auront été mangés. Tout le monde sera fatigué et aura envie de faire une sieste après… (Rires)

[L’Antipode a une nouvelle fois bien fait les choses ce jour-là, et contrairement à d’habitude pour l’Instant Thé, les tables, chaises, gâteaux, thés et cafés sont à disposition dans d’autres espaces que celui de la salle de concert.]

Vous avez écrit sur votre page facebook que vous alliez jouer de vieilles chansons sur cette tournée et vous avez gentiment demandé à vos fans s’ils avaient des requêtes. Est-ce que vous avez redécouvert de vieilles chansons ?

Shannon Wright : Oui, j’en ai re-découvert. Elles sont tellement différentes de la façon dont je joue maintenant. C’est vraiment un challenge. La plupart sont à la guitare. Maintenant, je ne dirais pas qu’il y en a des tonnes d’anciennes dans la setlist . J’aurais bien aimé jouer d’anciennes chansons, mais c’était trop de travail. Ça m’aurait pris des mois pour réussir à vraiment être assez à l’aise pour les jouer.

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (9)Je ne voulais pas être en train de me dire en jouant : « est-ce que je le joue comme il faut ? » Je veux dire, je fais toujours des erreurs, c’est sûr, à tous les concerts. Mais je m’en moque. Du moment que ça ne me gêne pas, sauf si c’est vraiment une grosse erreur. Parfois sur le piano, si je suis vraiment dedans, mes doigts glissent sur les touches, par exemple. Jouer comme autrefois me déconcentrerait trop. Mais il y aura des vieux morceaux au piano.

Justement, comment vous choisissez votre setlist pour un concert ? Pour cet après-midi en particulier, mais en général aussi ?

Shannon Wright : J’aime la fluidité, quand ça s’enchaîne bien dans un concert, c’est très important pour le groupe. J’aime être immergée (…). De temps en temps, on enlève des morceaux, de temps en temps, on en rajoute. On veut tellement bien jouer que quand une chanson n’est pas là où elle devrait être, on l’enlève, même si on l’aime vraiment. On aime être emporté comme dans un océan.

Vous jouez en solo en France, mais vous allez jouer avec un batteur en Italie, Sacha Tilotta. Est-ce que vous pouvez-nous parler de lui ?

Shannon Wright : Il a joué sur la moitié de la tournée en avril.

Oui. Nous, on vous a vue avec Todd et Kyle. On ne vous a pas entendue avec Sacha.

Shannon Wright : Oui, Kyle ne pouvait pas venir sur la première partie de la tournée. En fait Sacha est le fils des membres du groupe Uzeda. Vous connaissez ?

Euh (on n’a pas compris le nom sur le moment, shame on us), non…

Shannon Wright : Ils étaient sur Touch and Go. Ils sont italiens. Ils sont incroyables. Ils doivent avoir dans les soixante ans maintenant, mais ils écrasent tellement de jeunes groupes. Tu as envie de dire à ces groupes, « allez les voir ! Ils en ont sacrément à vous apprendre. » Ils sont complètement immergés dans leur musique.

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (15)La mère de Sacha, la chanteuse [Giovanna Cacciola] est juste incroyable. Je suis complètement folle d’elle. Je n’arrive pas à croire à quel point elle est incroyable. Elle fait partie de ces gens, quand tu leur parles après le concert, qui sont vrais, plein de sagesse. Elle est extrêmement chaleureuse. Mais elle est super agressive sur scène. Je m’identifie énormément à elle. Ce sont donc les parents de Sacha. Il a joué avec eux. Il enregistre aussi des groupes, il fait le son. Il est super. On s’entend très bien. Ça va être chouette. Il a plein de fans en Italie. (Elle mime les cris d’un public transi d’admiration) « Sachaaaaaa ! »

[A noter pour son concert au Nouveau Casino le 17 juillet et celui du 18 à Ribérac, c’est une nouvelle fois Sacha Tilotta qui sera derrière les fûts.]

De la même manière que vous avez demandé à vos fans de choisir de vieilles chansons, parlons un peu du passé, si ça vous va …

Shannon Wright : C’est d’accord.

Vous nous avez dit que vous étiez tellement timide que vous ne chantiez même pas devant votre grand-mère et qu’elle écoutait assise derrière la porte de votre chambre. Je me demandais du coup ce qui vous avait poussé à monter sur scène. Est-ce que c’est un événement spécial, un concert que vous avez vu, les mots d’un ami ?

Shannon Wright : Quand j’étais adolescente, il y avait ce club pour tous les âges. J’avais une quinzaine d’années. Mes amis et moi, on allait voir ces groupes. Je n’avais jamais vraiment vu de groupes punk avant cela. Avant, pour moi, les groupes, c’était dans des stades, des gros shows rock’n roll. Quand j‘ai commencé à aller là-bas, je me suis dit : « wow ! Peut-être que je peux faire partie d’un groupe… Peut être que je peux jouer de la musique ? Ils ont l’air comme moi. Les paroles de leurs morceaux me parlent »… Ce genre de trucs.

Mais je n’ai commencé à jouer de la guitare que plus tard. Parce que je pensais : « pas moyen que je puisse le faire », que je serai nulle. J’avais un petit ami, on va dire. Je voulais acheter une guitare. Je lui ai demandé : « qu’est-ce que tu me conseilles comme guitare ? » Il m’a montré trois accords. Et ça m’a complètement obsédée. Quelque chose s’est passé. Je ne pouvais pas poser cette guitare. Je jouais le matin avant de partir travailler, je rentrais à la maison le midi pour manger et je jouais. Je jouais après le travail et je me couchais tard pour continuer de jouer. Les dix premières chansons que j’ai écrites n’avaient jamais été jouées et mes amis m’ont dit : « Tu vas faire partie d’un groupe !»

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (4)On n’avait peur de rien à l’époque et en même temps, à ce moment-là j’étais maladivement timide. Je le suis restée très longtemps au début. Je pensais que je n’étais pas douée, que j’étais bizarre. Je me disais que j’avais l’air d’une dingue. C’était difficile au début. Et quelque chose s’est passé, tout ça m’est devenu égal. Quand tu gagnes cette liberté, pour autant tout ne se met pas en place tout seul, il faut mettre des choses de côté. (…) Ma grand-mère est morte quand j’avais 15 ans.

Vous étiez très jeune…

Shannon Wright : Oui… A partir de là, j’étais toute seule. Je ne pouvais compter que sur moi. Plus tard, d’une certaine façon, son influence m’a poussée à faire de la musique même si à cette période j’y étais complètement réfractaire. « Non, je ne veux pas faire ça ! ». Plus tard, ça a eu un impact sur moi. C’est comme ça que se passe quand on est enfant. Vos parents ou d’autres vous disent des choses et plus tard vous réalisez qu’ils avaient raison. [A propose de l’influence de la grand-mère de Shannon sur sa musique, lire aussi notre précédente interview là]

(Après une longue pause) Je suis désolée. Je ne peux pas imaginer à quel point c’est difficile d’avoir été seule si jeune.

Shannon Wright : C’était horrible.

… Je suis désolée.

Shannon Wright : Non, non, c’est bon. Quand je regarde en arrière, je peux à peine y croire. J’ai un fils maintenant. Il a huit ans. J’étais à peine plus âgée que lui. C’est choquant pour moi d’imaginer que j’étais toute seule.

C’était bizarre parce que mes amis, eux, vivaient encore avec leurs parents. J’étais la gamine à part. Les parents de mes amis leur disaient : « va jouer avec la fille qui vit toute seule dans son appartement ». L’appartement en question, c’était plutôt un taudis. J’étais pauvre. C’était vraiment bizarre, je me sentais comme une personne à part. Avant cela, ma grand-mère m’a préparée « tu vas être toute seule, il faudra que tu sois forte, tu devras te battre » et c’est ce que j’ai fait. C’était vraiment dur. J’ai une profonde empathie pour les enfants qui souffrent, les ados. C’est le moment où on est encore en train de développer sa personnalité. C’est déjà dur d’être ado. Alors être seul, en plus…

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (10)Je comprends. Je suis enseignante, dans la vraie vie. Et je vois des choses pas faciles qui arrivent à ces gamins.

Shannon Wright : Quel âge ont tes élèves ?

Le même âge que votre fils. C’est un âge chouette.

Shannon Wright : Oh oui. Vraiment génial.

Ils ont en même temps envie de tout savoir et ils restent encore petits et adorables.

Shannon Wright : Oui ! C’est vraiment formidable. Mon fils est rentré dans une phase où il rapporte tout ce que les autres font de mal. (Elle imite alors son fils de façon hilarante) « Tu as vu, ces personnes sont EN TRAIN DE FUMER ! ». (Puis d’une voix basse avec un regard entendu) « Ils avaient une CIGARETTE!» « Oui oui, je l’ai vu. »

Il est toujours en train de me montrer ceux qui fument ou de me rapporter des choses que les gens ne sont pas censés faire. Tout le temps. Mais le truc le plus dingue, c’est que je l’ai surpris dehors l’autre jour. Il avait un bâton de sucette au coin des lèvres (elle mime son fils tirant sur sa fausse cigarette avec une mine patibulaire de façon une nouvelle fois hilarante) (Rires) Je me souviens avoir fait la même chose enfant. Il était avec des copains un peu plus jeunes que lui. Ça m’a tellement fait rire. (Et elle rit de plus belle, nous avec.)

Maps of Tacit Shannon WrightJ’ai écouté vos anciens disques il y a quelques jours. Je ne parle pas de Crowsdell, mais de vos albums solos. Je pense à Flightsafety et à Maps of Tacit. Ces deux albums sonnent très acoustiques, même si il y a des sonorités électriques également. Alors que Dyed in the wool sonne résolument plus électrique. Pouvez-vous nous expliquer le changement qui s’est opéré entre ces albums?

Shannon Wright : Quand je me suis mise à jouer en solo, je n’avais rien planifié. Je voulais aller à la fac parce que j’avais dû arrêter l’école à 15 ans et j’avais dû commencer à travailler. J’ai eu mon GED (General Educational Development) [une sorte d’équivalence permettant à ceux qui n’ont pas obtenu leur diplôme de fin d’études au lycée d’entrer à la fac, un peu comme le DAEU en France]. J’ai fait Crowsdell et j’ai voyagé, en Europe, etc., plusieurs fois. C’était chouette. Mais on ne s’entendait pas très bien. Ils disaient tout le temps : « pourquoi tu écris toujours des chansons tristes ? Pourquoi tu n’écris pas des chansons pop ? » (Elle rit) Pour moi, ce sont des chansons pop !

Quand j’ai déménagé de New York pour la Caroline du Nord où des amis vivaient, c’était la campagne. Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. J’ai prévu d’aller à la fac. Mais je ne pouvais pas m’arrêter d’écrire des chansons. J’en ai enregistré quelques unes sur le quatre-pistes d’une amie et je lui ai fait écouter. Elle m’a dit : « tu dois les sortir. » J’ai répondu : « Mmm, je ne sais pas trop. Est-ce que ça doit être en solo ? Autrement ? » Je n’y croyais pas du tout. Et elle n’a pas arrêté de me pousser. C’était juste des chansons écrites à la campagne, loin de l’idée d’un groupe électrique.

J’avais acheté une très belle guitare acoustique. Elle a un son incroyable. J’aime l’idée de progression de la guitare acoustique à l’électrique, de même pour le piano. Je n’avais jamais joué de piano avant cette chanson sur Flightsafety. C’était la première chanson au piano que j’écrivais. Je me suis dit : « wow, j’aime vraiment le piano »

Shannon Wright - crédit photo  Thomas RabillonSur Maps of Tacit, je crois que je suis devenue plus agressive. Plein de choses se passaient. Je suis devenue plus dure à l’intérieur, pas dans un sens négatif, mais davantage révoltée par les injustices de la vie. Je devais me faire l’écho des voix de tous ces gens qui souffrent. J’ai commencé à le faire sur Maps of Tacit. Après avoir écrit ces chansons, j’ai décidé de passer à l’électrique. Sur scène, je jouais quand même avec une guitare acoustique, branchée à un ampli. Mais debout, en bougeant déjà pas mal. Je me suis mise à aimer jouer de l’électrique. Ce n’était pas planifié.

Juste un détail, mais qu’est-ce que c’est que ce son au début d’Emberdays (je mime un ‘rffrlflrrfrlfr’) ?

Shannon Wright : Ah oui. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu cette vision d’un son très sourd d’eau violente, qui fait un peu peur. On a rajouté des effets dessus. Et il y a aussi le bruit d’une fin de bobine de film qui bute sur le projecteur sur la dernière chanson de Flightsafety.

On a parlé de votre jazzmaster la dernière fois. J’aimerais qu’on parle un peu de piano, maintenant. Vous nous avez expliqué que vous n’aviez pas composé de chanson au piano avant Flightsafety. Mais votre grand-mère jouait du piano. Quand est-ce que vous avez commencé à jouer de votre côté ?

Shannon Wright : Je n’en jouais pas. Je n’avais pas envie de jouer de piano. Je n’avais pas joué de piano avant d’écrire une chanson au clavier pour Crowsdell et Heavy Crown était la première vraie chanson au piano que j’ai composée. C’est là que j’ai commencé à en jouer. Je n’en avais jamais joué avant…

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-31Ah oui quand même. C’est assez bluffant. (Rires) Quelle relation avez-vous avec le piano ?

Shannon Wright : Ohhh… (Doucement) Une relation très belle. En fait, je voulais vraiment apprendre à accorder les pianos. Je pense que c’est le plus bel instrument. C’est drôle parce que j’étais avec mon ami hier et je lui disais que mon piano me manquait. Parce que j’adore l’idée de m’asseoir à mon piano, de jouer un peu, d’aller et venir, d’y revenir un peu plus tard.

Même si ce n’est pas le mien. Ça peut être un autre piano. J’ai juste besoin d’un piano pour me sentir mieux sur terre. C’est étrange.

Il y en a un juste à côté, un gros. (Rires)

Je pense souvent que ma grand-mère doit se dire : « je t’avais bien dit ». (Rires)

Je n’ai jamais rien lu sur les artworks de vos premiers albums. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

Shannon Wright : J’étais en tournée avec Crowsdell. Je me suis perdue dans Amsterdam. J’étais en tournée avec Pavement, Mercury Rev, tous ces gros groupes de l’époque. On voyageait en bus (je trouvais ça ridicule). Ils avaient garé le bus à un endroit. Je ne le retrouvais pas. J’ai commencé à paniquer. Le soleil se couchait, c’était magnifique. J’ai commencé à prendre des photos. J’avais peur de manquer le concert mais je me suis dit que j’allais bien finir par y arriver.

Flightsafety Shannon WrightPour la pochette de Flightsafety, j’ai pris cette photo. Je l’aimais bien avec ce « _aloon »Je trouvais que ça collait bien. (Rires) En fait, une amie à moi dont le mari vient d’Amsterdam faisait du vélo là-bas. Elle m’a dit par mail :« Ca y est ! Ils ont recollé le ‘s’ ». C’est bien écrit « Saloon » maintenant. Elle m’a raconté : « je me tenais là tranquillement et d’un coup je me suis dit ! Oh my god, c’est l’album ! » (Rires). C’est vraiment drôle.

A l’intérieur, c’est la même chose. Au dos, c’est Frank Sinatra mais on a dû trafiquer la photo pour des raisons de droits. C’était une chambre d’hôtel où nous étions. L’hôtel était incroyable.

Et qu’en est-il de l’artwork d’Over the Sun ?

Shannon Wright : La photo est celle d’un de mes plus vieux amis, il est réalisateur. Il fait des films abstraits. A cette époque, nous vivions dans un atelier. Son frère qui est aussi un très vieil ami à moi est un artiste et il fait des films. Je faisais la musique.

Je lui ai demandé de faire des photos. J’avais des idées précises. J’ai tout installé. Je lui ai juste demandé de prendre les photos telles quelles, en m’excusant d’être un peu autoritaire. Et à l’intérieur, c’est le plan d’un de ses films. C’est son œil.

Shannon_Wright-Dyed_In_The_Wool-Et pour Dyed in the Wool ?

Shannon Wright : C’est le seul artwork pour lequel je n’ai pas vraiment décidé. J’étais bien sûr impliquée. J’ai dit à la personne qui s’en occupait ce que je voulais mais il l’a fait tout seul. La pochette est une vieille carte postale de Floride, qui est la région d’où je viens. Je ne savais pas trop quoi en penser. Il a fait les racines, l’arbre…

Ça va, mais ce n’est pas trop mon style. On l’avait déjà payé. On s’est demandé ce qu’on faisait. Et puis on l’a gardée.

C’est la Floride, donc c’est une partie de vous quand même.

Shannon Wright : Oui. Merci.

On a parlé de Secret Blood et de votre machine à écrire la dernière fois [voir là]. Elle vous a servi à écrire les paroles. Je voulais savoir ce qu’était le plan à l’intérieur, celui qu’on voit derrière ces morceaux de textes tapés sur votre machine…

Shannon Wright : Oh… La carte est une carte de Floride. Je l’ai découpée et j’ai fait une sorte de collage. Je faisais pas mal de collages à ce moment-là. Avant j’avais fait une séries de pochettes de 7 pouces, avec un collage sur chaque pochette. Ils étaient tous différents. C’était vraiment chouette à faire. J’ai décidé de le faire sur un coup de tête, en utilisant ma vieille machine à écrire dont je me sers toujours.

Route du Rock - Low by alter1foOn a ce film sur Low à la maison. On peut y voir Mimi Parker et Alan Sparhawk reprendre I started a joke. Sur Perishable Goods, Alan jouait ce morceau avec vous. Qui a donné l’idée à l’autre de faire cette cover ?

Shannon Wright : Je ne savais pas qu’ils avaient fait une cover de cette chanson, c’est assez dingue !

On tournait beaucoup à cette époque. J’ai dit à Alan que j’aimerais faire une reprise de cette chanson. Il m’a demandé : « tu veux que je vienne pour jouer dessus ? » J’ai dit oui ! Il avait des miles en plus à utiliser. Il les a utilisés. Il était en tournée à ce moment-là. Il est venu jusqu’à Atlanta, on a enregistré. Il est resté quatre heures et il est reparti ! C’était comme ça entre nous à l’époque. C’est vraiment triste parce que quand on tourne beaucoup avec quelqu’un, on devient tellement proche. Et puis on vit dans des villes différentes, on est pris dans nos vies. On ne peut pas se voir autant. Mais quand on se voit, c’est juste « wow ! »

Il y a tellement de groupes dont je suis devenue proche en tournant avec eux. On s’aime vraiment. On n’a pas l’occasion de se voir. Quand on a joué en Suisse, Low jouait la veille dans la même salle. Et tout le monde nous a dit : « ils n’ont pas arrêté de parler de vous pendant tout le concert. Shannon Wright ! Shannon Wright ! » C’était vraiment adorable ! « Si vous ne connaissez pas Shannon Wright, il faut absolument venir la voir. « Et pourtant on ne s’était pas vu depuis des années. Infinite love !

[on ne le sait pas encore, mais belle coïncidence, I Started a joke fera partie de la setlist de ce dimanche de février]

Qu’en est-il de votre musique aux États Unis et de la musique en général ? On ne se rend pas vraiment compte, vu d’ici en France.

Shannon Wright : Quand il s’agit de musique, les États Unis, c’est super frustrant. Maintenant et depuis environ 5 ans, il s’agit surtout de musique à la mode et branchée.

Je continue d’attendre des groupes qui viendraient en criant : «Motherfucker, j’ai quelque chose à dire !» Et j’ai le sentiment que ça n’arrive pas. J’attends vraiment un groupe qui me bouleverse. Non que je sois supérieure à quiconque. Mais c’est important pour moi quand je vois de la musique, qu’elle soit émouvante et honnête. Et parfois ces groupes sont justes funs… Ça me va aussi. Mais je sens que pour le moment aux États Unis, il n’y a pas assez de punk rock !

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-28Au moment où ma musique sortait aux États Unis, les chroniqueurs écrivaient : « elle est tellement en colère » C’est tellement nul. Maintenant je crois juste que les gens ne savent plus qui je suis. Je joue déjà depuis longtemps et aux États Unis, la musique est très liée à l’âge. La plupart des gens qui achètent de la musique sont étudiants. Et quand ils ne sont plus à la fac, ils continuent d’écouter ce qu’ils achetaient quand ils y étaient. Jusqu’à la fin (rires) Ils n’achètent plus rien de nouveau. Ils ne vont pas aux concerts.

Aux États Unis, c’est très différent d’ici. J’aime la manière dont les gens sortent boire un verre avec leurs amis ici. Ils rentrent chez eux. C’est simple. Là-bas, si tu demandes à quelqu’un de venir boire un verre, il pense qu’il va encore être là à 4h00 du matin. Ils te disent « oui, je viendrai ». Et le jour-même, c’est (elle mime une petite voix traînante) « oooohh, je suis vraiment fatigué » et c’est TOUJOURS pareil aux États Unis. Je crois que les gens travaillent trop là-bas. Ce n’est pas très marrant. (Rires) C’est vraiment une époque difficile. En tout cas, là où je vis. Si tu es blanc, jeune et que tu as de l’argent, tout va bien. Si tu ne l’es pas, la vie est dure.

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-12Est-ce que vous aimeriez jouer là-bas de nouveau ?

Shannon Wright : C’est difficile parce que j’ai été sur Touch and Go pendant si longtemps. C’était vraiment une famille. J’ai un label aux Etats Unis, mais il n’est vraiment pas impliqué dans ma musique. Je suis un peu à part. Il semblerait que le label ne sache pas quoi faire de ma musique. Je suis juste fatiguée, je n’en peux de tous ces gens qui ne savent pas quoi faire de ma musique. J’ai envie de dire : « Allez ! Ce n’est pas si différent. De temps en temps c’est rock, parfois ça ne l’est pas. Ce n’est pas si compliqué ».

Comme je l’ai dit, je suis plus âgée maintenant et beaucoup de jeunes étudiants ne savent même plus que Touch and Go existe. C’est tellement dingue. J’ai rencontré ce garçon, il joue dans un groupe énorme aux États Unis. (Avec une imitation impayable) C’est très : « est-ce que vous êtes chauds ce soir ? » (…) Je suis devenue amie avec leur batteur. C’est un garçon adorable. Il vient du Sud. C’est un gars bien (…) On parlait ensemble. Je crois qu’il a 24 ans. Il n’avait jamais entendu ma musique. Je lui ai dit : « peut-être qu’un jour on pourrait faire de la musique ensemble» (c’est vraiment un bon batteur). Il m’a demandé avec qui j’avais enregistré ça.

Shannon_Wright_-_Over_the_Sun« Oh, tu sais c’était avec Steve Albini ».

Il m’a répondu : « Qui ça ? »

(Elle mime un regard interloqué et effrayé) «Tu n’as jamais entendu Nirvana ou les Pixies?»

« Oui, je connais Nirvana »

(Perplexe) « Mais…. Les Pixies ?????!! » (Rires)

« Ah oui, ça me dit quelque chose »

Je me suis dit : « oh mon dieu, ce n’est pas possible ! Est-ce que c’est vraiment en train de se passer?»

« Je n’ai jamais entendu Touch and Go »

J’’ai pris un sacré coup de vieux. « Tu ne connais pas Touch and Go ? …»

Même moi, quand j’étais ado, je voulais tout savoir sur les groupes de rock, de punk. Comment le punk a commencé, la new wave, … Pour moi, c’est le meilleur. Il est musicien. On aurait pu penser que ça allait l’intéresser. C’était une des premières fois où je me suis dit: « cette personne ne connaît pas Steve Albini, Touch and Go. (Interloquée) Ok…»

Il fallait lui donner vos albums.

Shannon Wright : Je l’ai fait. Il a aimé la musique. Il est revenu en me disant qu’il avait vraiment aimé. Je lui ai dit : « tu devrais aller écouter….blablablabla… » (Rires – Puis elle ajoute en riant) « Et ne joue plus avec ce groupe ! » (Rires). Ils marchent bien. Ils ont du succès. Ils sont supposés être hype. Je suis perplexe. Pourquoi ça plaît autant ? Ce sont des mondes différents, je crois.

Vous nous avez dit que ce batteur venait du Sud. Ça avait l’air d’être important. Justement quelle est la différence pour vous entre le Nord et le Sud ?

georgie-savannahShannon Wright : J’ai vécu dans les deux régions, au Sud et au Nord.

Le Sud, c’est plein de bonnes choses mais aussi plein de mauvaises. Quand tu grandis dans le Sud, les gens sont calmes, doux, détendus, sereins. (…)

[Antoine, qui accompagne Shannon sur la tournée passe alors la tête par la porte, inquiet de savoir si tout se passe bien et qu’on n’ait pas encore fini… Shannon le rassure et reprend de plus belle]

C’est un point commun entre les gens du sud. Ils ne se mettent pas en colère facilement. Et quand ils commencent à frapper dans un mur, on sait qu’il faut faire attention. C’est particulier au Sud. C’est différent au Nord, les gens disent davantage ce qu’ils ressentent sur le moment. Dans le sud, les gens peuvent ressentir la même chose mais ils gardent leur calme. J’ai aussi l’impression qu’ils sont plus sincères, plus simples. Mais dans le Sud, il y a aussi les vrais rednecks, des gens qui font peur.

 Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (17)(Isa : ) Caro aimerait aller dans le Sud.

(Caro : ) Isa adore les écrivains du Sud des États Unis.

Shannon Wright : (elle acquiesce, enthousiaste) Il y a un tas d’écrivains du Sud incroyables. Où est-ce que vous aimeriez aller ?

(Caro) Savannah.

Shannon Wright : Oh ! Savannah est magnifique. La Nouvelle Orléans aussi… Savannah est incroyable. Et a définitivement son propre rythme (Elle ralentit la voix), une façon d’être très lente particulière au Sud. Charleston aussi. Si vous avez une voiture pour vous déplacer, vous pourrez vraiment voir des rednecks. Vous ne voudrez définitivement rien avoir à faire avec eux, bien sûr parce qu’ils peuvent faire assez peur. Les personnes du sud que je connais sont terrifiées par les rednecks parce qu’ils savent vraiment comment ils sont. Nous savons vraiment comment ils sont. Certains sont très violents, comme des chiens sauvages. C’est dingue. Non pas que je veuille vous faire peur. (Rires)

Vous viviez dans le sud. Vous nous aviez dit que votre grand-mère écoutait Billie Holiday. Ça ne devait pas être évident d’écouter Billie Holiday dans le Sud, quand elle était jeune.

Shannon Wright : En fait ce n’était pas cette grand-mère-là. C’était mon autre grand-mère. Elle voulait être chanteuse de jazz. Et à cette époque, elle s’était mariée à cet homme qui était vraiment dans le cliché masculin : « Tu ne chanteras pas. Je ne permettrai pas que ma femme chante en public. » C’est tellement affreux.

Elle a fait un concert, ou plutôt elle a participé à un concours avec Benny Goodman. Ils avaient plusieurs chanteuses, vous vous leviez pour aller chanter. Benny Goodman lui a dit qu’il aimait vraiment sa voix, et d’autres choses du même genre. Mais elle n’est pas devenue chanteuse de jazz. Elle écoutait Billie Holiday, mais surtout Ella Fitzgerald. (…) Tout le monde connaît l’histoire du Sud.

Shannon Wright @ l'ANtipode MJC - Interview - 2014 - Alter1fo (16)Je me demandais si vous écoutiez beaucoup de musique. Je sais que vous avez travaillé dans un magasin de disques. Quelle est la place de la musique des autres dans votre vie ?

Shannon Wright : (très sérieuse) La musique m’a sauvée la vie. Sans musique, je ne sais pas ce que j’aurais fait.

C’était comme ma meilleure amie. Surtout quand j’étais ado et livrée à moi-même.

Je ne pouvais pas me payer une chaîne stéréo. Et puis il y a eu ce garçon (peut-être qu’il m’aimait bien) qui m’a acheté une platine vinyle avec des enceintes. Il les a laissées devant ma porte. C’est sûrement le plus beau cadeau qu’on m’ait fait. Ça m’a sauvé la vie. Parce que j’avais mes disques, mais je n’avais rien pour les écouter. Ça a eu un gros impact sur moi, le fait d’avoir cette platine et ces haut-parleurs.

J’allais à tous les concerts qui passaient à côté de chez moi, dans cette salle dont on parlait tout à l’heure. Même quand parfois je n’aimais pas la musique programmée à telle ou telle soirée. J’ai travaillé là-bas de temps en temps. On vendait du coca-cola, ce genre de choses. J’étais très timide. Je ne parlais jamais aux groupes.

Je ne serai probablement pas assise là maintenant si la musique n’était pas entrée dans ma vie.

Quand vous enregistrez vos disques, vous n’écoutez pas la musique des autres, je crois…

Shannon Wright : Non, je ne le fais jamais. Je ne sais pas pourquoi. Je n’éprouve pas le besoin d’écouter de musique quand je compose et quand j’enregistre mes trucs. J’ai eu des amis qui parfois me disaient : « tu deviens un peu dingue. Tu es perdue dans ton monde ! » Je ne sais pas si c’est une bonne chose. (Avec une voix caverneuse et grave) Pour eux, c’est un peu effrayant, c’est comme si j’étais complètement obsédée. Je ne suis pas (avec une voix guillerette) : « oh, je vais sortir un disque ». Je suis totalement immergée dans ce que je suis en train de faire.

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-48Est-ce qu’on peut parler un peu de Vicious Circle qui, pour sa part, est réellement impliqué à vos côtés. Quelle relation avez-vous avec eux ? Comment avez-vous rencontré Philippe [Couderc, boss du label bordelais] ?

Shannon Wright : J’ai rencontré Philippe quand j’étais en tournée avec Calexico en 2000. J’étais en train d’écrire Dyed in the wool. Nous avons joué dans une grande salle parisienne. Je ne me rappelle plus de son nom, mais elle était énorme. Joey [Burns] et John [Convertino] de Calexico jouaient avec moi. Philippe était là pour un autre groupe et il était en train de partir.

Quand j’ai commencé à jouer en fait, Philippe était  en dehors de la salle. Il a dit qu’il avait entendu ma voix, qu’il était rentré à nouveau dans la salle en disant : « Mais qui-est-ce ? Qui est-ce ? » Il paraît qu’il a dit : « il faut que je rencontre cette personne ». Il est venu me voir après le concert et m’a demandé : « Est-ce que ça t’intéresserait de sortir des disques avec moi ? »

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-41A cette époque, Touch and Go sortait des disques en Europe. Donc je lui ai dit que ce n’était pas possible. Mais j’avais eu un bon feeling avec lui. Il était tellement enthousiaste ! Pour moi, c’était déterminant. Je suis allée voir Corey à Touch and Go et je lui ai dit que je voulais sortir un disque avec ce label. « Nous ne voulons pas le faire » Ça n’a pas été rien. J’ai été la première personne à le faire. Je me suis battue très fort pour Vicious Circle. Après on a eu cette relation privilégiée avec Philippe. On parle d’aller en vacances ensemble, c’est n’importe quoi ! (Rires)

Pour finir, revenons au présent. Est-ce que vous écrivez de nouvelles chansons ? Êtes-vous en train de préparer un nouvel album ?

Shannon Wright : J’ai écrit des chansons au piano. J’ai toujours des milliards d’idées. Et même si je me dis que je ne vais pas sortir un autre disque, j’ai toutes ces idées. Que j’oublie. J’ai alors de nouvelles idées. C’est un mouvement constant qui tourne dans ma tête. Des fois, je me dis que je vais faire un album seulement au piano sans chanter. Parfois je me dis que je vais faire une musique pour un film que j’aime, juste pour moi. Personne ne le saurait…

Nous, on voudrait bien l’entendre. (Rires)

Shannon Wright : Des choses comme ça, pour changer. J’aimerais vraiment écrire un album au piano, écrire les parties de cordes, des choses comme ça. Ça pourrait me prendre du temps. Et il n’y aurait pas de voix.

Si ça se trouve, je ne ferai pas ça, et je sortirai encore un album à la guitare. Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée. Tant que j’écris des chansons, ça reste ouvert, je crois.

2010-11-23-ANTIPODE-Alter1fo-42Parfois c’est dur. C’est vraiment dur. Je ne gagne pas d’argent, je vieillis, j’ai un enfant. Je ne sais pas pour encore combien de temps je peux faire ça. J’éprouve une grande tristesse pour les musiciens qui ne font plus de musique. Ils ont donné 20 ans de leur vie. Ils n’ont pas fait d’études. Ils n’ont pas fait ceci ou cela. Mais ils sont devenus des musiciens incroyables. Donc quand ils arrêtent la musique, ils se retrouvent avec des boulots pourris. Et ils ne sont pas heureux. Je trouve ça vraiment triste.

Ça pourrait être moi. Ça pourrait facilement être moi. Et parfois je me dis que je vais laisser tomber et trouver quelque chose, faire des études. Je ne sais pas. Mais c’est difficile de poursuivre son rêve absolu pendant si longtemps et tout d’un coup de tout arrêter. Comme si vous aviez une histoire d’amour incroyable et que soudain, vous êtes dévasté parce que c’est toujours magnifique mais cette personne vous quitte. « Attends, je suis encore amoureuse de toi ! » C’est exactement comme ça. Je sais que quand je déciderai d’arrêter, je serai dévastée. (En voyant nos mines désespérées) Je ne sais pas. Je n’en sais vraiment rien ! (Rires)

J’en suis à un moment de ma vie où c’est un vrai problème. C’est énorme. Je me demande en permanence ce que je vais faire. Je suis vraiment pauvre ! C’est trop. Comment est-ce qu’on peut continuer ? Non que je ne puisse pas faire de la musique et avoir un travail. Mais ce ne serait pas un travail qui me laisserait partir en tournée. Ou ce serait un travail que je n’aurais vraiment pas envie de faire.

Les chaussures de Shannon dans la loge avantle concert - Crédit photo : Thomas RabillonIl faut continuer. (Rires)

Shannon Wright : C’est dur parce que j’aime le faire. Ça m’apporte tellement de joie que c’en est indescriptible. Mais en même temps, ça me cause aussi de la tristesse. C’est un vrai dilemme. Quand je suis trop fauchée, je me dis mais pourquoi je fais ça ? Personne n’en a rien à faire.

We care.

Shannon Wright : (Rires) Merci.

(On lui remonte alors le bourrichon en lui rappelant l’importance que sa musique peut avoir. Pour nous, mais aussi pour plein d’autres. Ainsi que la force que peuvent donner son honnêteté et sa sincérité.)

Shannon Wright : (touchée, dans les rires) Oh, merci.

(On finit entre rires et gorge serrée) Merci pour tout.

Shannon Wright : Merci à vous.

Les micros s’arrêtent.

On poursuit pourtant plusieurs minutes, souvent en riant, mais toujours avec la même profonde sincérité. On parle de ReNyx pour les Mansfield.TYA, du français retors à l’apprentissage, … Les portes de la salle sont alors sur le point de s’ouvrir.

On vient juste de passer une heure magique. Suspendue.


Shannon Wright sera en concert :

– le mercredi 16 juillet à Montaigu au Noctambule (aka le Noc) pour fêter les 10 ans de lives du café-concert vendéen, à partir de 19h – Plus d’1fos

– le jeudi 17 juillet au Nouveau Casino (en duo avec Sacha Tilotta à la batterie) avec Olivier Mellano en première partie (Jazzmaster Power !) à partir de 19h30 dans le cadre de Colors Music Estival– Paris – Plus d’1fos

– le vendredi 18 juillet à Ribérac (24) dans le cadre du festival Grand Souk (également en duo avec Sacha Tilotta à la batterie) – Plus d’1fos

Site de Vicious Circle (bio, discographie, etc…)

Photos live et interview, enregistrement, montage son : Caro

Autres crédits photo : Thomas Rabillon (Shannon qui change les cordes de sa jazzmaster, les chaussures de Shannon dans la loge) – Encore merci Thomas !

Crédits photos ‘November Tour’ et Savanah : ?

Un immense merci à Guillaume Le Collen de Vicious Circle pour avoir une nouvelle fois rendu tout ça possible. Ainsi qu’à Amélia Michel (elle sait pourquoi).

5 commentaires sur “Shannon Wright en interview – Something to live for…

  1. David

    Wow, ça valait le coup d’attendre ! Superbe interview.

  2. Isa

    merci David 🙂

  3. Laurent

    Effectivement, superbe interview d’une magnifique artiste, sans concession, tellement attachante. I care…

  4. Tomek

    Un très grand merci à vous pour cette interview.

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