« Les portillons sont une discrimination supplémentaire… »

En 2015, c’est avec 98 voix pour, 17 voix contre et 3 abstentions, que la décision de fermer l’accès au métro par des portillons a été validée. Selon la vice-présidence aux transports, leur installation (NDLR, estimée à 7,5 millions d’euros) permettrait de « diminuer le taux de fraude de manière substantielle. » À l’époque, les élu·e·s écologistes et du Front de Gauche avaient rapidement dénoncé « un verrouillage sécuritaire » et alerté l’opinion publique en soutenant et en partageant une pétition. 5 ans plus tard, Matthieu Theurier et Priscilla Zamord, les 2 co-têtes de liste « Choisir l’écologie pour Rennes », ont réaffirmé avec force leur opposition à cette mesure pendant la dernière campagne municipale. Mais les accords du second tour ont quelque peu chamboulé les plans. La politique étant l’art du possible et des compromis, les portillons verront bel et bien le jour.

Début mars, avant le confinement, nous avions rencontré Gaëtan Deschamps dans un bistrot de la rue de Dinan. « Auteur à roulettes chez les bipèdes » comme il aime se présenter dans sa biographie twitter, ce dernier se déplace en fauteuil électrique. La mobilité était notre principal sujet de conversation ce soir-là. Pour être totalement transparent, cette interview n’a pas vu le jour plus tôt car la crise sanitaire a perturbé nos priorités. C’est d’un commun accord que nous la publions aujourd’hui. Merci à lui.

 

Station de métro Henri Fréville – Travaux en cours.

ALTER1F0 : Bonjour Gaëtan, quand as-tu pris connaissance du projet d’installer des portillons dans le métro ?

Gaëtan : Cela devait être en 2016, par voie de presse. Un journal a relayé la pétition initiée par les écologistes. Cela m’a très vite interpellé puisque je savais que cela allait être une entrave à la mobilité des personnes, principalement celles qui ont un handicap lourd. Cette décision questionne sur la place des personnes handicapées dans notre société.

Quel a été ta première réaction ?

J’ai été particulièrement estomaqué de voir que cette initiative avait été prise en catimini, avec l’aval de quelques personnes uniquement de Rennes Métropole, de Kéolis et d’un collectif « officiel ». La problématique touche tout le monde, elle est universelle. Je me suis donc senti comme mis de côté, lésé et menacé dans mon autonomie et dans ma vie de tous les jours.

« Mis de côté », « lésé »,  « menacé », les mots sont forts…

Oui. Habitant à Rennes, j’ai accepté mon logement actuel parce qu’il se situe justement à côté d’une station de métro. Le métro rennais a toujours été à la pointe de l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Poser des portillons est une grave atteinte à notre droit fondamental qui est de se mouvoir librement. C’est un recul inacceptable par rapport à la « Loi Handicap » de 2005 qui place au cœur de son dispositif l’accessibilité à toutes les personnes handicapées des lieux publics et des transports.

Esquisses des futurs portillons du métro (juin 2016)

Le collectif Handicap 35 – qui regroupe 49 associations – a travaillé étroitement avec Rennes Métropole. Jean-Jacques Bernard, en charge des mobilités et des transports, le répète régulièrement. Personne ne semble avoir été laissé pour compte, du coup ?

J’imagine que ce collectif n’a pas voulu s’opposer frontalement mais plutôt qu’il a tenté d’accompagner au mieux ce changement. « Faire avec », comme on dit… Mais il serait intéressant de déterminer quelle marge de manœuvre avait à l’époque cette association et quel rapport financier entretenait-elle avec la Métropole, notamment par le biais des subventions versées.

La marge de manœuvre était restreinte apparemment. Le président de ce collectif, Jacques Fernandez, a dénoncé la verticalité de la décision récemment. Je cite ses propos publiés dans l’édition du 18 mars 2018 de Ouest-France : « Nous (NDLR, le collectif) avons surtout été mis devant le fait accompli […] C’est comme pour les portillons ! On n’a pas eu le choix. »

Selon moi, tout cela reste de la politique de l’entre-soi. Sans jeter l’opprobre sur eux, je me rappelle que le peu de fois où j’ai pu entrer dans ce collectif, j’étais rapidement mis à l’écart dès que je devenais trop vindicatif !

Et vindicatif, tu l’as été puisque tu as pris la parole sur le sujet en plein conseil métropolitain.

(Rires…) Avec deux, trois copains et copines (NDLR, membres du collectif On existe), bien énervé·e·s comme moi, nous avons été autorisé·e·s à parler. Du coup, j’ai pu m’exprimer. Mais c’était peine perdue puisque la décision était déjà prise bien avant le vote ! Au moins, j’ai mis certains élus face à leur cynisme. Nous sommes, de fait, déjà entravés et restreints par nos handicaps respectifs ; qu’on ne vienne pas nous en rajouter !

Rennes est reconnue pour sa qualité de vie. Le métro ouvert et facile d’accès participe à cette reconnaissance, tu l’as dit plus haut. Mais pour des raisons économiques, notre ville se referme un peu plus sur elle-même. Ces portillons sont antinomiques au slogan-promotionnel de la municipalité « Rennes – vivre en intelligence », non ?

Je revendique le droit de rester un citoyen à part entière, je ne veux pas devenir un citoyen de seconde zone. Les transports doivent être un bien commun, accessible à toutes et tous et de manière inconditionnelle. Et quand je dis « sans conditions », c’est tous les jours et pas seulement les jours de soldes, les veilles de Noël ou pendant les pics de pollutions. Cela interroge sur la gratuité des transports. Je souhaite que cette question soit aussi débattue au sein d’un jury ou d’un collectif représentatif de citoyen·ne·s.

Cela fait plus de 4 ans maintenant que tu attends de voir comment cela va se passer. À Lille, l’association des paralysés de France (APF) dénonce les problèmes d’accessibilité au métro après l’installation de portiques de sécurité pour lutter contre la fraude… Cela ne doit pas te rassurer ?

Voilà, à chaque fois que je vois des travaux dans le métro, je me dis « Ça y est, c’est maintenant ! » Peut-être que cela se passera très bien pour moi. Peut-être que ces portillons seront adaptés en termes de largeur pour pouvoir passer avec le fauteuil. Mais qu’en est-il pour le geste de validation qui permettra d’ouvrir les portes ? Une personne titulaire d’une carte Korrigo, mais qui n’a pas l’usage de ses bras, de ses mains, ne pourra pas la valider et donc ouvrir les portillons alors que jusqu’à présent, elle accède sans problème au métro et bénéficie de la bienveillance des contrôleurs.

D’autant plus que les choix de conception de la deuxième ligne de métro déçoivent déjà ! Seules cinq des quinze stations disposeront d’ascenseurs directs pour accéder aux quais. Ajouter la validation par portillons ne fait qu’accroître le nombre de manœuvres et d’obstacles, là où il n’y en avait potentiellement pas.

Nous sommes face à un choix clair et parfaitement assumé de la part de nos politiques. C’est une discrimination contre toutes les personnes ayant des difficultés à se déplacer. On sacrifie leur liberté de circulation, MA liberté de circulation au nom du « bien commun » puisque, apparemment, la fraude coûte si cher que nous sommes obligés d’en passer par là. Et il faut arrêter de nous proposer l’alternative Handistar qui n’est pas une réponse convaincante car ce service est d’ores et déjà saturé.

Depuis, tu as choisi de te présenter sur la liste « Choisir l’écologie pour Rennes ». Quel cheminement as-tu fait pour en arriver là ? 

Quand on m’a approché pour être sur cette liste électorale, je suis d’abord tombé des nues… Pourquoi moi ? Suis-je légitime ? Je n’ai jamais été pleinement investi dans le milieu associatif et je ne me revendique pas être un animal politique de premier plan. J’ai finalement accepté la proposition parce que je me suis souvenu que c’était le seul parti à avoir eu de la bienveillance sur la question des portillons. Ce qui anime mon engagement politique, c’est le souci de bienveillance afin que chaque citoyen, quel que soit son parcours de vie et quelles que soient ses capacités, se sente aimer et acteur de sa ville !

Station de métro Henri Fréville – Travaux en cours.

Il y a eu l’espoir de voir stopper ce projet pendant la campagne municipale. Aujourd’hui (NDLR, juillet 2020), nous le savons, les portillons seront installés. Quelle est ton sentiment ?

Oh oui ! De l’espoir, il y en avait des tonnes. Aujourd’hui c’est un peu la douche froide… douche froide mêlée à de la crainte. D’autant plus qu’en cette période particulière, le geste de validation peut générer un risque supplémentaire de contamination, notamment pour une personne à mobilité réduite ou ayant une gestuelle déficiente ou difficile.

Les portillons ont gagné dans le jeu des négociations du second tour des élections, certes. Mais il faut dire qu’ils dormaient déjà dans un entrepôt, prêts à être installés. Cependant, au cours de cette nouvelle mandature, le Revenu Minimum Garanti sera mis à l’essai, ou encore des aides seront proposées pour les cafés-concerts… Il faut savoir voir au-delà de ses propres intérêts. Et puis tout n’est pas perdu…

Tout n’est pas perdu car des responsables écologistes sont nommés aux postes clés, Matthieu Theurier en charge des transports pour la métropole, par exemple ; Jean-François Monnier, délégué au handicap à la mairie de Rennes. J’ose espérer qu’ils feront tout pour que les portillons s’ouvrent à l’accessibilité pleine et entière ; quitte à les laisser ouverts ou mettre quelqu’un en permanence derrière une caméra pour nous les ouvrir à distance. Je serai le premier à protester si rien n’est fait. Et j’invite tout le monde à se saisir de la question quelle que soit sa mobilité. J’encourage les associations représentatives à retrouver le pouvoir de dire non.


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