Phantom Buffalo : Microcultures ou le commerce écoutable

Le 23 novembre, en première partie du concert de Shannon Wright, le public rennais découvrira Phantom Buffalo. Le groupe américain de Portland (Maine) s’y produira dans le cadre de sa tournée européenne qui accompagne la sortie de son troisième album, produit par… vous ?

Phantom Buffalo live

Sous le nom de The Ponys, le groupe avait sorti Shishimumu en 2002, distribué depuis 2005 en Europe par le label  Rough Trade. Celui-ci, satisfait de l’accueil critique mais refroidi par le manque de succès commercial, lâche l’affaire quelques mois plus tard. Le groupe change de nom pour ne pas être confondu avec des homonymes, devient donc Phantom Buffalo et sort un second album, Take to the Trees. En 2010, Phantom Buffalo crée un troisième album, Cement postcards with owl colors, mais n’est suivi par aucune maison de disques.

Et c’est là que cela devient intéressant.

Ils sont contactés alors par Jean-Charles Dufeu, admirateur de longue date, ancien d’Amazon en tant qu’ « éditorialiste musique » et co-créateur du site Microcultures.fr avec Louis-Jean Teitelbaum. Il leur propose de devenir le premier groupe soutenu par le site.  Il leur explique par mail, sans les avoir rencontrés, comme il nous l’explique aujourd’hui  : « Nous souhaitons que les fans s’investissent aussi et nous les sollicitons en soutien financier en échange de choses qui ne s’achèteront pas telles quelles dans le commerce mais qui ont une valeur pour un fan (un album dédicacé, un concert privé, un dîner avec les artistes, par exemple). »cpwoc-cover-960

Dans le détail, on lit sur le site :
– moins de 10 €  : Soutien pur
– de 11 à 32 €   :  Remerciement vidéo du groupe et album dans un format non protégé
– de 33 à 54 € : Album digipack et T-shirt conçu par le groupe
– de 55 à 87 € : en plus de ce qui précède : les 2 premiers albums + 2 chansons inédites en MP3
– de 88 à 98 € : en plus de ce qui précède : 2 places de concert pour venir voir le groupe
– de 99 à 110 € : Une invitation à un concert privé parisien où le groupe nous remettra en mains propres CD et T-shirts
– de 111 à 221 € : Concert privé et concert traditionnel + le droit d’intervenir sur la set-list du concert
– plus de 222 € : En plus de ce qui précède : vous gagnez le doit d’accueillir un concert privé du groupe chez vous !

J’en vois qui rêvent déjà.

microcultures1La moyenne des contributions s’élève à 55 euros environ et Jean-Charles raconte « On a eu trois concerts privés à organiser. Il y a encore de la place pour un quatrième, en s’organisant bien… » Mais la grande différence entre Microcultures.fr et d’autres sites de production participative comme My Major Company est que Microcultures.fr complètera si la somme fixée n’est pas atteinte. Le risque est pris par le site, et non par les internautes.

Les sites de production participative comme My Major Company, le défunt Spidart, ou PeopleForCinema (qui comme son nom l’indique applique ce principe au septième art) placent les internautes en position de co-producteurs. Microcultures les place en position de fans mécènes. Cela évite par exemple les embrouilles en cas de redressement judiciaire comme cela a été le cas avec Spidart : les « fans-producteurs » disputaient aux artistes une partie des droits sur les oeuvres. D’une certaine manière, cela redéfinit aussi la notion de fan, un peu moins adolescente hystérique et aveugle, un peu plus adulte responsable et conséquent.

Cependant, le groupe et le site ont évidemment intérêt à ce que les projets soient financés par les fans : « Plus on se rapproche de 100% :
– mieux le groupe sera payé (puisqu’il récupère une part directe sur la levée de fonds)
– plus le projet a des chances de générer des bénéfices (répartis entre microcultures.fr et le groupe)
plus l’effet de communauté et les liens entre public et artistes seront forts »

Au-delà de l’aspect financier, on peut faire confiance à Jean-Charles et Louis-Jean pour ne pas faire sortir un nouveau Grégoire ! My Major Compagny a enfanté un produit aussi marketé que possible parce que ne sortent de ce système que les chanteurs qui plaisent au plus grand nombre. C’est finalement le « mainstream » qui concurrence le « mainstream » des Majors tout court. Ici, les deux compères du site sélectionnent les artistes qu’ils soutiennent et affirment vouloir oeuvrer pour faire sortir « des gens capables d’inventer quelque chose, de faire avancer la musique, d’élargir les cadres de la pop en traçant leur voie en dehors de ce qu’on en connaît ». Pas de nouveaux noms de groupe pour la suite mais des idées qui dépassent le cadre de la musique : « Pour l’instant, tout reste à écrire. On sait juste que notre deuxième projet sera autour d’un court-métrage. Pour la suite, je pense qu’on reviendra régulièrement à la musique, qui est notre domaine de prédilection. Mais on a été contacté par une artiste peintre et par des gens qui souhaitaient monter des pièces de théâtre. On serait tous les deux assez motivés à l’idée de produire une BD, ou pourquoi pas un premier roman ou un recueil de nouvelles. »

microcultures2Même si, – ah,  cynisme, quand tu nous tiens – on traque toujours l’arnaque derrière le discours de la sincérité, ces deux-là donnent envie de les suivre. Parce qu’ils ne font pas de promesses sur d’éventuels bonheurs à venir. On sait ce qu’on achète, les conditions du contrat sont fermes et définitives dès le départ.
Un départ qu’on souhaite beau à Phantom Buffalo et Microcultures.

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