On a vu à Mettre en Scène 2010 : Obludarium

Sur le site Guy Ropartz, en ce vendredi soir, on patiente dehors dans le froid presque hivernal, attendant que le chapiteau soit ouvert pour rentrer assister au spectacle Obludarium des Frères Forman. Grand retour pour cette création Mettre en scène 2007, qui, forte de son succès, revient sur les terres bretonnes, après une tournée européenne triomphale…

Univers décalé
Mettre-en-Scene-2010-obludarium-c-Lisenn-MorvanLe chapiteau des Frères Forman est bien étrange extérieurement et ne peut que piquer la curiosité du spectateur lambda : une structure ronde, étroite et à deux étages pour cent vingt spectateurs, pas un de plus !

Dehors, un atelier de forgeron. Petr Forman vient chercher le public pour les conduire par groupe de vingt devant l’atelier de fortune de l’artisan qui actionne le soufflet de sa mini-forge. Il martèle, il cogne, il entretient le feu. L’enclume résonne. Mais avant même l’entrée sous le chapiteau, le monde fantasmagorique des frères Forman happe le public.
Petr nous propose alors d’assister au spectacle à l’étage pour avoir une vue plongeante sur la scène, ou en rez-de-chaussée pour voir les choses par en dessous. Cruel dilemme ! Mais quelque soit le choix, l’étroitesse du chapiteau nous permettra d’être à moins de deux mètres de la scène et d’en profiter pleinement.

Chapiteau de poche
Le public entre dans le chapiteau à pas de velours, l’obscurité régnant ne facilitant pas les déplacements. Guidés par des grooms sans visages, nous nous retrouvons assis sur des bancs ou au premier étage dans de toutes petites loges sur des minuscules tabourets en bois ou de grands tabourets de bar : « l’espace est limité parce que nous sommes tous limités » l’annonce fort sérieusement Petr alias Monsieur Loyal. Un tout petit plateau de scène tournant à vitesses différentes à l’image du gramophone, figure récurrente du spectacle.
Obscurité presque totale !  seuls quelques lanternes chevrotantes éclairent parcimonieusement l’espace scénique. Le public est d’ailleurs mis à contribution pour actionner vélos et dynamos portables et faire ainsi lumière. [Un grand merci d’ailleurs à mon voisin de spectacle ayant généreusement offert son énergie pour que je puisse prendre quelques notes !] . Nous voilà prêts pour la « monstrueuse » parade !

Les automates, fil conducteur
Premier tableau, premier contact avec un monde féérique et minuscule. Quelques personnages masqués s’emparent du plateau tournant, tels des soldats de plomb échappés de leur boîte à musique.

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A l’étage, un homme perché sur des échasses s’approche des spectateurs. Tout ne sera qu’une question d’échelle… Drôle de sensation en effet : sous ce chapiteau, chaque élément existe en version miniature et version XXL. Et nous public d’en bas, ne sommes-nous peut-être qu’un spectacle pour le public du balcon…
Prêtez attention à ces petits automates, ballerines, cavaliers, sirènes qui tournent sur ce plateau miniature…Vous les retrouverez peut-être plus tard  au gré des tableaux !

Un défilé de monstres
Ils défilent tous, à tour de rôle sur ce plateau tournant : la femme à barbe, le lilliputien, la petite fille géante, la sirène, l’haltérophile à voix de soprano, les frères jumeaux…

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Tout ce qui est différent fait peur… comme ceux qui autrefois étaient exposés tristement dans les cirques, tels les « freaks » de la Monstrueuse Parade de Ted Browning. Ici, les frères Forman leur rendent hommage, avec tendresse et humour, poésie et humour. Des êtres monstrueux mais pourtant beaux et attachants. Ils se succèdent sur la piste, se croisent, se rencontrent en chantant, dansant, séduisant, effrayant. Ils nous conduisent tout droit vers un monde imaginaire, celui, oublié des contes de notre enfance.

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Dans cette parade, il y a aussi ces trois grosses têtes tchèques chauves, aux yeux exhorbités. Attendrissantes et émouvantes avec leur petites chaises rouges qu’elles maintiennent convulsivement contre elles. Effrayés par le public, elles n’en sont que plus attachantes encore et font irrémédiablement penser aux marionnettes du célèbre Bread and Puppet américain de Peter Schumann. Le trio émouvant termine le spectacle assis à écouter sagement de la musique près d’un phonographe à pavillon.

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Enfin, on trouve dans la parade ce monstre musical, surgi du temps passé. Gramophone (ou phonographe), il ressurgit à quasiment chaque tableau ; en version miniature ou XXL, il est démonté, remonté, malmené. Le plateau tournant de l’appareil présente une curieuse ressemblance avec ce chapiteau et sa scène mobile, comme si les artistes constituaient les aiguilles-têtes de lecture d’Obludarium

Univers de bric et de broc
On se laisse emporter dans ce spectacle « monstrueusement » poétique, au gré des sonorités du Petit Orchestre qui souffle un vent d’Est balkanique. L’esprit forain des années 30 se mue tantôt en cabaret, tantôt en comédie musicale, tantôt en chevauchée fantastique.

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Le chapiteau se transforme parfois en carrousel dans lequel évolue un cheval mécanique géant, parfois en piste de cirque où les couteaux volent, parfois en un aquarium-abysse où nagent sirènes et poissons étrangement lumineux. Ce spectacle, à la frontière du cirque et du cabaret, est un monstre hybride.

On reste définitivement marqué par des images qui collent à la rétine : comme la chevauchée lumineuse sur la jupe de la trapéziste devenue écran de cinéma éphémère, le face à face aérien de l’haltérophile et de la libellule, le réveil du cheval géant en bois – numéro équestre de haute-voltige prompt à faire pâlir Zingaro, le strip-tease de la femme panthère ou la mort cruelle de la sirène dans des filets aériens…

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Quand les monstres dansent…

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L’univers de la comédie musicale n’est pas oublié comme en témoigne ce curieux ballet de dandys du 18è à chapeau haut-de-forme qui jouent avec leurs parapluies comme Fred Astaire dansant sous la pluie ou les ramoneurs de Mary Poppins.

Mention spéciale donc à la chorégraphe Veronika Svabova qui fait entrer les claquettes sous ce chapiteau fantastique et le transforme en cabaret. Entre strip-tease de la femme-panthère et atmosphère burlesque d’une danse aux barres effectuée avec dextérité par deux danseuses tchèques.

Obludarium, freak house poétique
Et quand le dernier tableau s’achève, que le chapiteau se transforme en guinguette sympathique, où les monstres redeviennent de simples humains, on voudrait ne jamais avoir à quitter ces lieux poétiques.

Lentement, très lentement, le public déserte les lieux, sort dans le froid. Et le spectacle continue : l’haltérophile-forgeron a retrouvé sa mini-forge et ses braises. Inlassablement, il fabrique des clous… Clou du spectacle ?

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