Depuis cette superbe soirée du YY Fest de janvier 2013, nous avions bien la ferme intention d’en causer avec Vincent Hejduk, un de ses principaux instigateurs. Sauf qu’entre Moscou et Londres, le jeune homme n’est pas facile à coincer. Nous avons finalement réussi à le rencontrer à l’occasion de la nouvelle édition édition du festival, rebaptisé MKS Fest, pour qu’il nous raconte la genèse de cette passionnante rencontre entre esprit D.I.Y. et entrepreneuriat social.
Nous retrouvons Vincent par un mercredi ensoleillé, au café culturel du Jardin Moderne juste après une séance de réglage technique avec l’équipe des lieux. Le jeune homme s’avère follement disert et joyeusement volubile malgré les cernes qu’il arbore sous les yeux. Son volontarisme et son enthousiasme font un bien fou en ces temps de résignation et d’aquoibonisme.
Alter1fo : Est-ce que tu peux tout d’abord te présenter ?
Vincent Hejduk : Je m’appelle Vincent Hejduk. J’ai 24 ans. Je suis presque un grand maintenant (Rires). Je suis co-fondateur de Make Sense. C’est une communauté tournée vers la résolution de problèmes d’entrepreneurs sociaux (1). On s’est inspiré du mode de fonctionnement de l’Open Source (2) dans les nouvelles technologies, une culture de l’échange et du partage transposée ici à l’entrepreneuriat social, pour transmettre des méthodes de travail qui vont permettre à n’importe qui d’organiser un atelier de créativité qui aura pour but d’apporter entre 3 et 5 solutions à des problèmes concrets qu’ont ces entreprises.
En quelle année et comment ça a démarré Make Sense ?
Make Sense vient de fêter ses 3 ans. Ça a commencé officieusement en 2010, par un voyage. C’est Christian Vanizette, un ami, qui est parti 6 mois en Asie à la rencontre des entrepreneurs sociaux. Il en est revenu avec plein de matière. Il a commencé à poster des vidéos où les entrepreneurs asiatiques parlaient des défis qu’ils avaient à relever. Avec son pote Romain (Raguin), ils ont alors réfléchi à comment ils pouvaient mobiliser des gens qui voudraient bien s’investir pour aider ces personnes. L’idée est donc née comme ça. Le premier atelier de créativité, baptisé Hold-Up parce qu’on pique les idées des participants pour les donner aux entrepreneurs sociaux, a eu lieu le 25 janvier 2011. Le principe est donc que des gens bénévoles donnent deux heures de leur temps pour répondre à un challenge auquel ils peuvent répondre en mettant leurs propres compétences au service d’une initiative qu’ils ont envie de soutenir parce qu’elle répond à un problème social, sociétal ou environnemental.
Et du coup ça donne quoi au bout de trois ans ?
En quelques chiffres, c’est plus de 15 000 personnes mobilisées juste au travers de 600 Hold Ups (ateliers de résolution de problèmes), sur 86 villes à travers le monde, en gros de San Francisco à Hanoï. La partie résolution de défi, c’est vraiment l’essence même de Make Sense, mais autour de tout ça, il y a d’autres problématiques qui m’intéressent beaucoup. Parce que personnellement, je n’ai pas du tout un profil « école de commerce ». J’ai fait un bac Littéraire, spécialité Arts Plastiques, de la musique, de l’animation. A 18 ans, j’ai commencé à jouer avec quelques groupes comme Pigeon par exemple. Mes rencontres m’ont plongé dans le Do It Yourself (3) du mouvement hardcore. Après j’ai découvert le mouvement végétarien. Je ne le suis pas, mais ça m’a fait prendre conscience de nos modes de consommation et de l’impact sur l’environnement. J’ai travaillé ensuite comme animateur dans une asso qui s’appelait « Nature pour tous » (4) et aux alentours de mes 20 ans, il m’est arrivé pas mal de trucs. On m’a proposé de faire une tournée cool, mais qui a été annulée au dernier moment suite à l’annulation de 25 ta Life (groupe hardcore new yorkais). Il y a eu les grèves à la Fac. J’ai aussi commencé à organiser des concerts avec All That Glitter d’abord puis avec Size does Mordor que j’ai montés avec Christophe de TotorRo. Nature pour tous m’a alors proposé de me payer le BAFD, ma formation de directeur. J’ai donc monté pas mal de séjours avec une grande mixité sociale. En plus, je faisais le pion et j’étudiais aussi la psycho.
Et qu’est-ce qui a fait le lien entre toutes ces activités ?
C’est ma découverte de l’entrepreneuriat social. Je ne connaissais rien à l’économie mais cette façon de l’envisager a mis un mot sur toutes les expériences que j’avais vécues. Je me suis dit : « Putain mais c’est fou. C’est juste une façon de pérenniser des actions punk, grâce à l’économie. » Quand tu montes un séjour de colo, tu as ton projet éducatif, ton projet pédagogique. Tu as tes valeurs et tu réfléchis à comment tu vas rendre ça concret pour faire des choses avec tes adolescents. Il y avait aussi un lien avec le D.I.Y. qui m’a frappé, c’est le fait de ne pas attendre qu’il y ait quelque chose qui tombe du ciel. C’est de le faire toi même. Sauf que c’est souvent dans l’instant et dans l’éphémère. Du coup, je trouvais un modèle qui permettait de faire durer ça. C’est à ce moment là que j’ai rencontré Christian. Ça faisait 6 mois que Make Sense existait et tout de suite j’ai vu le lien. Je voyais tellement de passerelles entre l’éthique punk et le D.I.Y. et l’entrepreneuriat social que je trouvais vraiment trop con que ces deux publics ne se rencontrent pas. L’idée qui m’est venue c’est d’organiser cette rencontre justement pour voir ce qui en ressortirait. C’est comme ça que m’est venue l’idée d’un festival open source. J’en ai parlé à Londres en mai 2012. J’ai ensuite appris que je partais en janvier 2013 à Moscou pour 5 mois, donc je me suis dit que ce serait l’occasion de faire une grosse teuf de départ. Je me suis donc retrouvé avec une date butoir. Tous les copains ont dit OK et c’était parti.
Ça a donc donné le YY fest qui a eu lieu sur Rennes en janvier 2013. Ce qui nous a vraiment impressionnés, c’est la richesse du festival autant musicalement qu’en terme de rencontres.
Je ne m’attendais pas à ça non plus (Rires). Ça a été vraiment cool de voir ça prendre forme. J’étais plus habitué à organiser des soirées où il y a 20 personnes. Par exemple, on avait fait Aucan il y a 3 ou 4 ans pour la sortie de leur album Black Rainbow. On a fait 10 entrées. C’était la veille de la sortie du New Noise où ils étaient en couverture (Rires). C’était plus à ce genre de plan qu’on était habitué.
Du coup qu’est-ce que tu retires de ce premier YY Fest ?
J’étais vraiment content. En terme de ressenti, c’était juste génial de voir autant d’acteurs différents réunis à la même place autour d’un même projet. C’était vraiment chouette et ça validait l’hypothèse qu’il y avait des valeurs que partageaient ces différentes personnes même si elles ne se connaissaient pas. Le fait que ça ait aussi bien fonctionné validait cette idée qui m’est chère. Bon, je partais cinq jours après en Russie, donc il y avait aussi un côté : « Je fais une fête comme si je n’allais jamais revenir« .
Donc tu n’as pas eu trop le temps de tirer le bilan en fait. (Rires)
Je sais que j’ai fait une petite déclaration tout ému à la fin du genre « Merci beaucoup à tout le monde » mais le côté concret nous est vite retombé dessus. Il y a eu le ménage, le rangement. Le lundi j’étais à Paris et le jeudi j’étais dans l’avion pour Moscou. Le truc, c’est que ça a trouvé vachement d’échos officiels, qu’il y a eu beaucoup d’articles dessus.
D’avantage sur l’aspect musical non ?
C’est vrai mais pas seulement. Il y a eu Next Billion qui est un des plus gros BLOG dédié à l’entrepreneuriat social qui a parlé du Fest. C’était la version brésilienne qui a fait un article et du coup, ça nous a permis de faire la première Room à Sao Polo. Il y avait déjà une communauté Make Sense très présente en Amérique latine et ça et l’article ont permis qu’on puisse organiser ce modèle plus simple et plus léger sur place.
Tu as donc renouvelé l’expérience à Toulouse avec une nouvelle formule.
Pendant que j’étais à Moscou, j’ai été contacté par un membre de la communauté qui était hyper chaud pour faire un autre format YY Fest. On a donc travaillé dessus avec Bertrand et au final, il l’a fait en mode gratuit, avec une programmation un peu moins pointue mais assez large.
Quelles évolutions il y avait par rapport au premier ?
C’était compliqué. J’avais du mal à formaliser le truc. C’était cool. C’était une très belle fête mais comment faire pour maximiser les interactions entre les participants, les artistes et les entrepreneurs ? Le but c’est quand même de mobiliser un maximum de gens dans un écosystème autour d’entreprises locales ou d’associations pour que ça donne envie aux spectateurs de s’impliquer eux mêmes. Il y a aussi le constat que quand tu as entre 18 et 30 ans et que tu vois un bâtiment gris terne entre le trésor public et la CAF, qui s’appelle la maison des associations, tu n’as vraiment pas envie d’y entrer. L’idée c’est donc de donner un cadre propice pour que d’abord les gens trouvent ça cool et que, ça c’est pour côté D.I.Y., ils se disent « Je ne vais pas attendre et je vais prendre les choses en main. » L’expérience à Toulouse était encore un joyeux bordel très chouette, avec quand même 250 entrées, mais en terme de contenu créé et d’implication des gens passés faire la fête, ce n’était pas encore ça. Ça fait une vitrine sympa, mais ça me faisait chier que ce ne soit que la communication. Ce qui est cool quand même, c’est qu’à chaque fois ça s’adapte à la culture locale. Ce n’est pas un truc importé de nulle part. Ce que j’explique à chaque fois c’est que ça ne sert à rien de faire venir Manu Chao pour qu’il chante que la dérégulation financière, c’est à chier, dans un festival devant 100 000 personnes bourrées qui n’en retiendront rien. C’est comme les villages des associations avec des gens assis derrière des stands qui te disent : « Contactez nous si ça vous intéresse. » ça n’a pas trop de sens au final.
Comment on fait alors pour prolonger l’effet en aval ?
Je suis rentré en août à Paris et j’ai réfléchi à un autre format d’événement plus léger. La pierre angulaire de Make Sense, ça reste le partage de connaissances et de savoir faire pour résoudre les problèmes des entrepreneurs sociaux. Nous on transmet des outils aux gens pour qu’ils se les approprient et les mettent en place eux mêmes. Comment former des gens gratuitement juste par le pouvoir de lien des Internet ? Comment mettre en commun tout ça ou permettre aux gens de donner quelques heures de leur temps pour partager ce qu’ils savent ? L’idée pour cette nouvelle édition, ça a été donc de mettre en place des Make Sense Rooms. Ce sont une émission de radio, des discussions enregistrées, avec une performance live de musiciens. Des concerts pour lesquels les gens vont venir et puis après quelques morceaux, une fois que les gens sont bien à l’aise, tu passes à une interview de l’artiste autour d’une thématique qui va créer une transition vers une entreprise sociale. On a formalisé une méthode et depuis 5 mois, il y a plus de 2 500 personnes qui y ont participé de Sao Paulo à Mumbaï en passant par Londres, Paris, Bruxelles, Rennes, Chamonix, Berlin…
C’est intéressant de voir comment le modèle s’adapte à chaque endroit.
Ce qui est vraiment intéressant c’est qu’il y a création concrète de contenu puisque c’est enregistré. Avec un simple smartphone et une appli qui s’appelle mégaphone, tu te mets dans un dispositif à la Pneu (Le groupe qui joue au milieu de son public) avec les invités au milieu et les gens autour.
Une conférence à la Pneu ! (Rires) ça c’est du concept.
Avec le smartphone, tu peux à la fois enregistrer l’ambiance des réactions de 80 personnes et avoir une voix claire et distincte. Ça permet d’inviter des gens qui ont fait des trucs assez fous ou même assez réputés. Mais le dispositif casse le côté conférence frontale bien chiante. C’est un format cosy et cool, qui met tous les gens au même niveau. Ils vont se représenter concrètement une action sociale qui a eu lieu près de chez eux. En plus ils vont tous être super détendus grâce à l’aspect musical et le type qui présente son action, il est juste assis à côté de toi dans le même canapé pourri. Du coup, ça a plus de chance d’inspirer les gens. Il y a aussi tout un travail en amont de la room pour simplifier les contenus. Ça c’est le côté éducation populaire du projet. Comment tu fais pour aborder des sujets sérieux et complexes mais de façon… simple et funky (Rires). Par exemple, avec Auriane de Ladylike Lily qui produit elle-même ses disques, ça m’a permis d’expliquer un modèle inclusif en économie. Autre exemple, il y aura Bionico qui viendra parler du mouvement des Makers (bricoleurs militants ayant décidé de reprendre en main la fabrication d’objets techniques assez pointus). C’est quelque chose qui se démocratise, mais est-ce que cette culture du détournement peut vraiment répondre à la fracture numérique ? Tu introduis ce genre de thème et tu fais venir Piano Chat qui lui, aime bien détourner des objets pour créer des sons. Tu montres que détourner ça permet aussi d’innover en musique et tu fais un lien entre une approche artistique et une approche militante… Bon, je m’emporte un peu là.
T’inquiète, c’est toujours bien l’enthousiasme. Tu peux nous présenter le déroulement de la soirée du 26 avril ?
L’ouverture des portes est à 18h. De 18h30 à 20h30, on pourra assister à un enchaînement de MKS Rooms. On reviendra sur les Embellies avec Laetitia Sheriff qui sera là comme artiste qui a monté une série d’actions culturelles avec des femmes détenues, des lycéens, des enfants de ZEP et trois graphistes. On fera un retour là dessus. Ensuite on parlera de design et de makers pour amener Bionico qui est un projet sur Rennes que pas grand monde connaît finalement. Il y aura aussi Eric Challan Belval de la feuille d’érable pour parler insertion et autre façon d’aborder l’économie. Il y a là-dedans toujours en filigrane, une question qui me taraude : « L’économie peut elle pérenniser les valeurs sociales du punk ? » Toutes ces discussions seront entrecoupés de chansons de Laetitia Sheriff, Throw me off the Bridge et Slim Wild Boar.
On passera ensuite à la partie concert. Dans les surprises cool, il y aura Slim Wild Boar & His Forsaken Shadow qui auront donc joué en solo avant et qui joueront pour la première fois en nouvelle formule à cinq sur scène. Ils présenteront en plus leur nouvel album donc ce sera particulièrement chouette.
Il y aura ensuite Mha qui feront leur grande première.
On attend aussi ça avec une grande impatience.
Il y a Throw me off the Bridge qui jouera en solo avant de faire sa première en groupe pour présenter son nouvel album. Pleins de trucs chouettes et nouveaux donc.
On retrouvera aussi Birds In Row et Calvaiire. On connaît bien Birds In Row, ils viennent prendre une revanche sur l’année dernière parce que leur concert avait été un peu la cata.(Rires)
On n’en garde pas un si mauvais souvenir que ça. (Rires)
Avec eux, c’est toujours comme ça avant les grandes tournées. Enfin, il y aura Binidu. On pourra aussi manger de la discosoupe, acheter des trucs cools au stand de merchandising, assister à une démonstration d’imprimante 3D, voir une expo de chose morte. Ça c’est Claude Autret qui nous a fait les affiches et qui a monté ce projet avec Benjamin Moreau et qui exposera tout un tas de gravures de natures mortes assez chouettes.
On adore vos affiches.
Ben ça c’est Claude. Il fait tous nos visuels depuis cinq ans. Il a aussi fait la pochette avec le lapin de Mha et le clip de Home Alone de TotorRo qui vient de sortir.
L’année dernière il y avait tout un tas de stands. C’était un joyeux chaos et on a réfléchi à ordonner tout ça pour que les gens en retiennent le maximum. J’aurais aimé en faire encore plus.
(Rires) On ne voit pas trop comment tu aurais pu en mettre encore plus ! En tout cas, on a hâte d’y être. Le mot de la fin ?
Pour finir, je vais citer mes deux mottos. C’est dans le bouquin d’Henry Rollins : Get in the van. Il y écrit « Notre destin réside en notre capacité à inventer des solutions. » et « Plus de solutions que de problèmes ». Avec ça en tête, ce n’est plus possible de déprimer (Rires).
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1 : Cette forme d'entreprenariat, au service de l'intérêt général, recouvre l’ensemble des initiatives économiques dont la finalité principale est sociale ou environnementale et qui réinvestissent la majorité de leurs bénéfices au profit de cette mission.
2 : La désignation open source, ou « code source ouvert », s'applique aux logiciels dont la licence respecte des critères de libre redistribution, d'accès au code source et de créer des travaux dérivés. Souvent, un logiciel libre est qualifié d'« open source ». 3 : Do it yourself (DIY) est une appellation issue du mouvement punk américain des 90's, dont une traduction littérale en français serait « Faites-le vous-même », « Faites-le par vous-même », « Fais-le toi-même » ou encore « fait maison », ou « fait à la main » qui désigne à la fois : certains musiciens ou mouvements culturels ; des activités visant à créer des objets de la vie courante, des objets technologiques ou des objets artistiques, généralement de façon artisanale.
4 : Nature Pour Tous est une association d’éducation à l’environnement qui a pour but l’éducation, l’initiation, la formation à la nature, l'environnement et l’écocitoyenneté mais aussi le développement de la prise de conscience de chacun.
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Samedi 26 avril 2014 – à partir de 18h – Jardin Moderne,11 rue du Manoir de Servigné, Rennes – 10€
Accès bus: Ligne 11 arrêt « Jardin Moderne »
Page Facebook de l’événement
Écouter la compil des groupes qui y joueront.
Tous les détails de la soirée dans notre annonce
Billeterie
Des places à gagner chez New Noise et chez les camarades de Pop Is On Fire.