On en a un peu marre de parler de la rentrée avant la rentrée, alors c’est décidé on prolonge les vacances sous le soleil de la Caraïbe. Ce deuxième volet s’intéresse de plus près à la place de la culture afro-caribéenne au Costa Rica, et leur histoire d’amour à la sauce « je t’aime, moi non plus ».
NOWHERE LIKE LIMON – Herberth Klynton (lenkí) by mdesgeorges
Ce refrain de calypso pourrait bien traduire ce que s’est dit Christophe Colomb lorsqu’il a débarqué sur les plages du Costa Rica, future province de Limón. La rumeur raconte qu’il a baptisé le pays la « côte riche » (Costa Rica) en l’honneur de la richesse de la côte caribéenne. Ironie du sort, la région caribéenne est aujourd’hui la plus pauvre de tout le territoire costaricain. Pauvre économiquement mais riche culturellement, on vante les mérites du calypso limonense partout dans la capitale. Pourtant dans les rues de Limón, point de Walter Ferguson. A la place, on a le plaisir (ou pas) de jouir des vocalises de Marc Anthony et de Daddy Yankee. Après avoir vendu la ville de Limón comme le berceau du calypso costaricain, nous aurait-on menti? Pour comprendre ce qui a bien pu se passer, il faut remonter loin dans la chronologie. C’est bien à Limón que le calypso a élu domicile. Pour exporter son café, le pays avait besoin d’un chemin de fer. Et pour construire son chemin de fer, il avait besoin de main d’oeuvre, peu chère de préférence. C’est ainsi que commence l’histoire du calypso à Limón, au début des années 1870. Arrivés tout droit de la Caraïbe par bateaux, ces travailleurs de Jamaïque, Bélize, Curaçao, Trinité ou encore du Honduras, ont ramené avec eux leur culture et leur musique. Le calypso de Trinité n’est pas le seul à avoir foulé le sol costaricain, il est accompagné par le mento jamaicain et la cuadrilla entre autres arts afrocaribéens. C’est ainsi que s’est développé le calypso que l’on appelle limonense, un style musical qui contient de nombreuses références au mento, à la musique cubaine, au calypso originaire de Trinidad, et bien plus tard au reggae et à la salsa.
Le rejet de la culture « dominante ».
Ce qui devait être un CDD s’est avéré être un CDI. Après la construction du chemin de fer, ils sont ensuite embauchés par la tristement célèbre United Fruit Company. Cette vague d’immigrants a bien du mal à s’intégrer au pays, il aura fallu à peu près 80 ans pour que la population afro-costaricaine ait le droit de participer à la vie de la cité. Sans papiers de 1870 à 1950, les habitants afro-descendants de Limón n’osent pas s’aventurer en terre inconnue dans un pays latino-américain qui n’aspire qu’à se blanchir et à suivre le modèle européen. Lorsque la United Fruit Company prend ses clics et ses clacs pour la côte pacifique dans les années 1930, le gouvernement costaricain formule une « recommandation officielle » à destination des afro-caribéens. Il leur est alors « recommandé » de ne pas sortir de leur région, par peur qu’ils ne suivent la compagnie de l’autre côté du pays et répandent avec eux leurs supposées maladies. A cela s’ajoute la persécution religieuse envers les adeptes de la Pocomia, rites religieux jamaïcains qui s’accompagnent de chants et de danses, ce qui nourrit une peur réciproque entre les deux populations et une rivalité entre ce qui devient la culture dominante, celle de la vallée centrale, et la culture dominée, celle de la côte caribéenne.
Et pendant ce temps là de l’autre côté de la frontière…
Tant pis, la communauté afro-limonense se tourne vers l’exterieur. Ils multiplient les échanges avec le Panama, et bien sûr avec les populations indigènes déjà présentes à Limón. A partir de 1920, le mouvement migratoire s’inverse. Les afro-limonenses voyagent à leur tour dans la Caraïbe et même jusqu’aux Etats-Unis comme main d’oeuvre à bas prix. Ils s’inspirent encore d’autres cultures, d’autres façons de chanter, d’autres manières de jouer. Plus que des échanges artistiques, ce sont des échanges idéologiques, éthiques et linguistiques. Du calypso de Trinidad, ils retiendront la figure du Calypsonian et ses textes contestataires. Du mento, ils hériteront de ses rythmes et ses mélodies. A la simple guitare du début se sont rajoutés des instuments comme le quiongo, la tumba, les maracas, le banjo et même le ukulélé, des instruments venus de la Jamaïque, mais aussi des Etats- Unis. La communauté de Limón se laisse influencer par l’industrie culturelle internationale qui favorise la circulation de la musique cubaine et nord-américaine. Mais alors que l’on écoute du chachacha, de la rumba, du blues, ou du jazz sur les ondes, le calypso dit « limonense » pointe le bout de son nez dans les années 1930.
Le calypso limonense, un genre underground.
Le calypsonian est mal vue. Il est perçu comme un homme oisif et paresseux mais officie comme « voix du peuple » qui dénonce la précarité des afro-descendants, l’équivalent d’un crieur public en un peu plus engagé et gracieux. Dans sa croisade pour « l’espagnolisation » du pays, l’Etat supprime la presse à Limón, jugée moyen de communication « non traditionnel » puisque diffusée en patuá , un anglais créole parlé par la communauté afro-caribéenne. Le calypso se trouve alors littérature de tradition orale, un moyen d’expression et de résistance. Genre explosif, conflictuel dans les rythmes et dans les paroles, il véhicule des idées, des croyances, et reste cultivé par des secteurs marginaux de la population. Manuel Monestel, musicien et fin sociologue, fait justement remarquer que le calypso occupe les espaces sociaux informels. Jusqu’alors en gestation, le calypso se produit dans des activités populaires, comme le carnaval, à la plage, dans la rue ou à la pulperia du coin. Il devient lui-même un espace nécessaire d’expression, de création et de récréation pour la population sans avoir besoin de passer à la radio.
Musique ethnique
Le calypso devient un phénomène à Limón alors qu’il est méconnu dans le reste du pays. De par sa forme, le chant est plutôt flexible. Dans les années 1960, on commence à entendre des chansons aux couleurs « locales », et plus seulement des parodies ou des variations de chansons de Trinité ou de Jamaïque. Le calypsonian raconte la vie et l’histoire de Limón, le mode de vie et le quotidien de ses habitants, des faits historiques. La chanson Zancudo de Papa Tun fait par exemple référence au paludisme qui a frappé la zone atlantique. Cela reste avant tout des chants populaires et le calypso n’est pas systématiquement gravé comme à Trinité. Sa survie est assurée par un enseignement oral transmis traditionnellement entre les musiciens, en patuá toujours. Le calypso joue pleinement son rôle de musique ethnique : chanter, danser, écouter les improvisations du calypsonian revient à témoigner son appartenance à une identité.
Le tournant des années 1980′, place au reggae
Les années 1980’s vont marquer un grand changement. C’est la crise pour les producteurs de cacao de la région, forcés d’abandonner leurs cultures. Le tourisme s’impose comme activité de substitution à laquelle doivent d’adapter les pêcheurs et autres petits agriculteurs du coin. Ces déséquilibres sociaux, culturels et économiques ont modifié les habitudes des plus jeunes, qui évoluent maintenant au rythme des envies du touriste. La relève consomme du reggae mais ne compose pas, s’éloignant peu à peu de leurs racines et des pratiques musicales traditionnelles. Le calypso est taxé de « veille musique » et sa cote de popularité descend en flêche. Pourtant dans la capitale, le calypso devient un produit culturel valorisé par les chercheurs et musiciens qui n’appartiennent pas à la communauté afro-caribéenne. On se met à produire des disques, notamment de Walter Ferguson. Enfin reconnu, le calypso commence à circuler et enclenche le processus d’intégration de la culture afro-caribéenne dans la mémoire culturelle du pays. Dans la province de Limón cependant, des voix commencent à se faire entendre pour dénoncer l’instrumentalisation de la culture caribéenne comme le carnaval, la perte de valeurs et l’invasion d’une culture mainstream.
Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme.
Une nouvelle génération de calypsonian va voir le jour, avec un répertoire plus nationaliste. Salsa, cumbia, reggae, les genres sont mélangés et aspirent à toucher un public plus large. Les textes sont ainsi chantés en espagnol pour faciliter leur compréhension et la thématique de Limón ne constitue plus tellement l’axe central. Cette forme hybride du calypso a surtout le mérite de s’adapter à un nouveau public et de populariser la culture afro-caribéenne en dehors de Limón. Des groupes comme Cantoamerica ont pour ambition de baisser les barrières érigées par une culture « latino » dominante, et réalisent des tournées internationales avec des grands noms comme Silvio Rodríguez, Mercedes Sosa ou Quilapayún. Le calypso occupe alors un rôle sensiblement différent aujourd’hui, et prétend redéfinir l’identité nationale autour de sa diversité ethnique et culturelle, et plus généralement en Amérique centrale et Caraïbe. Considérer la diversité ethnique non plus comme un danger, mais au contraire du point de vue de l’apport dans un pays qui cherche à se réconcilier avec son héritage culturel : à méditer.
Merci à Manuel Monestel pour son aide!