[2019] Des bouqu’1 sous le sap1 #4 : Les Frères K, David James Duncan

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. On continue notre balade papivore avec la merveilleuse saga familiale imaginée par David James Duncan : Les frères K.

Prévenons d’emblée les lecteurs sensibles. Les 800 pages de la chronique familiale au cœur de l’Amérique des années 60 écrites sur six années par David James Duncan et publiées en 1992, contient un taux largement au dessus des normes sanitaires de religion et de baseball. Il vaut donc mieux vous prévenir que l’une des dynamiques centrales du livre est l’affrontement entre deux fois. Entre le Sauveur Éternel hantant jusqu’à l’obsession chaque parole de la mère et la petite balle entourée de cuir fichée au cœur du père, la lutte sera sans merci. Rassurons les allergiques aux bigoteries et au rythme si particulier du sport national américain, le livre contient bien d’autres choses et fait preuve d’un grand didactisme dans le domaine sportif. Il réussit même l’exploit de vous immerger dans la philosophie zen et la profondeur de la discipline en multipliant avec un talent et une verve irrésistibles les anecdotes tout à tour drôles, touchantes, politiques et sociales sur ce sport.

Pris entre cette dualité à la tension croissante et l’Histoire en marche, les quatre garçons et les deux sœurs de la famille Chance vont essayer de grandir le mieux possible. Il y a Kade, le narrateur principal, veillant du mieux qu’il peut à l’équilibre de cette explosive famille, Everett, l’aîné rebelle qui pousse le monde entier dans ses retranchements, Peter, le mystique bâtissant avec une ferveur inébranlable ses propres croyances, Irwin, la force de la nature tranquille à la foi désarmante, les deux petites dernières et leur complicité diabolique.. Il y aussi Grandamer, magnifique grand-mère paternelle d’origine anglaise.
L’auteur met beaucoup de lui-même dans ses pages (et dans Kade). Ayant brutalement perdu son ainé de 17 ans à l’âge de 13 ans, il le multiplie par trois et imagine quelle aurait pu être sa réaction face à la dévastatrice guerre du Vietnam qui va venir bouleverser l’équilibre déjà bien précaire de cette famille américaine de classe moyenne.
Ce livre est une véritable bombe émotionnelle à mèche lente. Chapitre après chapitre, on tombe tout simplement amoureux de cette folle famille, de sa tendresse, de sa folie plus ou moins douce, de ses déchirements aussi. Duncan ne ménage pourtant ni ses lecteurs ni ses personnages. Guerre (interne ou étrangère), drame intime, amour, folie, littérature… le roman brasse tous ces thèmes avec un élan aussi jouissif que dévastateur. Les frères K du titre font ainsi autant référence à la fratrie Karamazov du grand Fédor Dostoeïveski qu’à l’expression de baseball « être K » qui signifie être éliminé suite à un strike. Avec un humour imparable et un sens du tragique remarquable, Duncan réussit à nous faire accéder au véritable cœur de cette famille. Le récit nous bringuebale bien avec jubilation des tournées de baseball, à Washington en passant par le Vietnam, les Indes et le Canada, mais il parle surtout de nous. De nos familles, de ce qui nous lie et nous déchire, de ce qui nous pousse à vivre ou à mourir, de la difficulté d’être libre, de s’aimer malgré tout et de tout ce qu’on peut accomplir quand on arrive ensemble à dépasser les fardeaux dans lesquels on s’englue petit à petit.
Saluons une fois de plus le remarquable travail éditorial des éditions Monsieur Toussaint Louverture. Nous vous invitons de nouveau à ne pas vous laisser effrayer par le schéma de diamant de baseball qui ouvre l’ouvrage derrière la couverture solaire, vous louperiez la magnifique occasion de devenir un des nouveaux membres de l’immense famille Chance.
Concluons sur cette magnifique synthèse du père qui résume si bien la malice du livre : « Au vu de mon expérience, je vous le dis, les enfants : dans la religion comme au base-ball, il y a la même dose d’ennui, la même hypocrisie, les mêmes vaines promesses de gloire, les mêmes bancs qui font mal aux fesses, les mêmes grandes gueules qui se mêlent aux supporters sincères, les mêmes pasteurs-entraîneurs qui ont soif de pouvoir et tiennent les mêmes sermons. Merde, il y a même de l’orgue en musique de fond dans les deux. »

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Les frères K, David James Duncan
800 pages
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Raynaud
Chez Monsieur Toussaint Louverture (octobre 2018), 24€

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

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