[2019] Des bouqu’1 sous le sap1 #1 : De pierres, de fumée et de lumière

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. On démarre très fort avec l’inestimable trilogie berlinoise de Jason Lutes qui vient (enfin !) de trouver sa conclusion.

En 1996, le bédéaste américain Jason Lutes entame une nouvelle série de fascicule de 24 pages à la parution irrégulière et aux somptueuses couvertures bauhaus, publiée chez les montréalais de Drawn & Quarterly. Influencé alors par la découverte des grands classiques de la BD européenne lors un voyage en France, il choisit une ligne claire d’une grande élégante pour narrer en détail les ultimes heures de la république de Weimar dans la ville qui est au cœur de ces événements : Berlin. Le 22ème et ultime tome est paru en mars 2018 concluant un vingtaine d’année d’un travail aussi épuisant que remarquable.
La saga a été également publiée aux états-unis puis en France (chez Delcourt) sous la forme de trois recueils successivement  intitulés : La cité de pierres, Ville de fumée (en 2009 tous les deux) et enfin Ville de lumière; la parution de ce troisième opus à la fin de l’été 2019 mettant fin à dix longues d’attente fébrile.

Berlin démarre par une rencontre. Celle de Marthe Müller et de Kurt Severing dans un train, bondé de S.A., se dirigeant vers la capitale allemande en septembre 1928. La première est une jeune femme fuyant son étouffante famille de Cologne en venant chercher l’émancipation en étudiant l’art à la capitale. Le second est un journaliste désabusé regardant avec autant de lucidité que d’amertume son pays sombrer dans le chaos. Pendant près de 800 pages, on va donc suivre le destin de ces deux personnages dans le crépuscule terrifiant et inéluctable d’une démocratie autour duquel va venir s’ajouter avec une limpidité narrative remarquable une foule d’autres personnages. Car si le duo central est inoubliable, Lutes réussit avec brio à donner une présence remarquable à chacun des ces personnages. On n’oubliera pas de sitôt la jeune Silvia, tiraillée entre sa mère séduite par les promesses de l’avenir communiste et son père qui choisit lui de se tourner vers le parti nazi. Il y aussi Anna tentant de vivre le plus librement possible dans un moment ou l’intolérance triomphe, un groupe de jazz ayant quitté la Nouvelle Orléans pour profiter de l’effervescence culturelle de la ville allemande, un jeune juif fasciné par Harry Houdini… et encore mille autres figures qui se croisent au fil d’un récit haletant et qui ne vous laisse aucun répit.
Le personnage principal de cette histoire est pourtant bien celui du titre. Berlin, dans une période charnière est restituée avec une minutie et une précision remarquable. La cité est surtout rendue intensément vivante dans toute sa complexité, son foisonnement, sa richesse, sa violence, sa flamboyance et ses injustices. Récit artistique, social, historique, Berlin est aussi d’une puissance littéraire rare dont la brulante actualité ne fait que s’accentuer au fil des pages.

A noter que si vous avez apprécié le travail de Jason Lutes sur cette œuvre, nous vous conseillons vivement de vous pencher sur Double Fond (paru également en France  chez Delcourt). Travail (très) antérieur à la trilogie suscitée, cette histoire d’un magicien dépressif est une petite merveille de mélancolie roublarde aussi drôle que bouleversante.

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Berlin Jason Lutes tomes 1 à 3

Broché: 213, 214 et 156 pages
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Elisabeth Guimbourg, Vincent Bernière et Lauren Trieu
Chez Delcourt (avril 2009, octobre 2009 et août 2019), 19,99€ par tome

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

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