Des frissons, on en a eu, beaucoup, beaucoup, pour le retour des Américains de Dark Dark Dark sur la scène de l’Antipode. La faute à un concert envoûtant et hautement addictif pour les fans de la formation emmenée par Nona Marie Invie, dont la voix a encore fait des ravages. Compte-rendu.
Love Like Birds
La soirée commence avec la jeune Love Like Birds venue de Gand, petite robe de dentelle noire sur collants noirs avec guitare folk en bandoulière, accompagnée par Benne Dousselaere à la contrebasse, aux chœurs et autres samples aux claviers.
Elke De Mey a déjà sorti un premier ep à l’automne 2011, et après avoir assuré la première partie de Dark Dark Dark du côté de la Vieille Albion, retrouve le groupe américain sur sa tournée française et dans le nord de l’Europe.
Guitare acoustique en arpèges, ou accords joués au pouce sur une guitare folk sur lesquels la jeune femme pose un très joli grain de voix : la soirée commence tout en douceur.
C’est calme et feutré, parfois accompagné d’une contrebasse plus rythmique, parfois par un synthé aux sons qui vont de pépiements d’oiseaux jusqu’à des scansions plus percussives. Et puis surtout, il y a la voix de Benne Dousselaere, contrepoint élégant à celle d’Elke De Mey, qui souligne encore davantage la légèreté et la douceur de celle de la jeune femme.
On apprécie que les jeunes gens varient les arrangements (contrebasse, choeurs, samples divers) car la formule guitare-voix, malgré ce très joli grain de voix et une réelle justesse, aurait pu lasser. D’autant que parfois la guitare frise un peu (la prise de son, pour coller à ces mélodies fragiles, a l’avantage d’amplifier chaque souffle, chaque nuance, mais aussi l’inconvénient de rendre perceptible toute maladresse, notamment les doigts qui touchent parfois les frettes de trop prêt). Mais tout un chacun excuse très vite les petites imperfections du set tant le duo se montre adorable et charmant.
Les jeunes gens essaient en effet de communiquer avec les spectateurs en français et leur application à trouver les mots justes est réellement touchante. Ainsi, le public sourit et applaudit, quand la jeune femme aidée de son contrebassiste cherche le mot « comme à la bibliothèque » et finit par expliquer qu’ils « ont empruntu une chanson » à Vashti Bunyan, l’excellente Train Song. La voix d’Elke De Mey est certes moins aiguë que celle de la folkeuse britannique, mais la jeune femme et son acolyte se tirent fort bien de l’exercice de la reprise.
Avec Cowboy Georges, le duo propose un morceau plus enlevé, davantage western que folk dans l’esprit, qui repose sur une contrebasse galopante. Le set s’achève peu après avec la très bonne Heavy Heart, qui sort vraiment du lot, avec son refrain à deux voix entremêlées En conclusion, le duo aura réussi à charmer le public. Et si pour notre part, nous ne sommes pas raide dingues de cette folk un peu sage, Love Like Birds nous aura fait passer un moment agréable. Au final, une très jolie ouverture pour l’orchestre de chambre indie un poil plus écorché qui va suivre.
Dark Dark Dark revient donc à l’Antipode ce soir après un Instant Thé en 2010 où sa prestation avait littéralement enchanté nos chroniqueurs. Même constat cette fois-ci : même s’il a l’air fatigué, parce que tout juste débarqué d’Australie, le groupe de Minneapolis va envoûter nos oreilles, et on se retrouve, tel Ulysse attaché à son mât, complètement happé par la voix de sa sirène.
Dark Dark Dark s’est bien sûr fait remarquer par ici avec son second album Wild Go (Melodic Records, 2011 pour l’Europe) alors qu’il avait déjà un premier album The Snow Magic (2008) et trois eps dont le joliment nommé Bright Bright Bright (mars 2010) dans sa besace.
La faute à un talent indéniable pour mêler les influences, qu’il s’agisse d’une folk plutôt minimaliste, de pop, d’americana ou de folklore des Balkans, sans oublier quelques incursions jazz tout en subtilité, et cela avec une classe insolente. Avec Who Needs who, sorti en début de mois, le groupe raconte l’histoire d’une séparation, avec toujours ce mélange d’influences savamment dosées. On est tombé dans ce nouvel album, un peu par hasard, et depuis on a du mal à en sortir tant l’attraction progressive qu’il suscite est irrésistible. Et il faut croire qu’on n’est pas les seuls tant la foule autour de nous semble attendre l’arrivée du quintette.
Après un première entrée manquée (problème de son), le groupe revient quelques instants plus tard sur la scène de l’Antipode pour nous cueillir à froid avec le mélancolique It’s a secret. Nona Marie Invie a troqué sa tenue de working woman (à l’intérieur de la pochette de Who Needs Who) contre un look plus casual qui laisse apparaître ses tatouages et s’installe sur la gauche de la scène, derrière un piano électrique. A ses côtés, Walt McClements (accordéon, trompette) se place au centre, tandis que Marshall LaCount, col de chemise relevé et petites lunettes rondes (banjo, clarinette, voix et également parolier) prend place sur la droite de la scène. Derrière eux : le bassiste Adam Wozniak et Mark Trecka batteur moustachu à la longue chevelure.
L’intro au piano jazz d’It’s a secret bifurque très vite sur une ballade folk dès que la voix de Nona Marie Invie se pose sur les arpèges de piano. A la fin du premier couplet, la voix de la jeune femme se brise, très légèrement, nous faisant instantanément prendre conscience de toute l’épaisseur et de la profondeur qui s’y dissimulent. On est tout de suite hypnotisé, d’autant que le morceau se pare d’un pont à la clarinette, à la justesse inouïe et grave, qui nous colle au tapis. Meet in the dark ne va pas arranger notre état. Arpèges au piano, contrepoint au banjo et accordéon, et encore, la voix de Nona Marie Invie, qui virevolte en acrobaties mélodiques aussi lumineuses que déchirantes. On se dit qu’on n’en est qu’au deuxième morceau, et qu’il va falloir vite se reprendre si on ne vaut pas finir totalement liquéfié avant la fin du set.
Peine perdue, l’attraction que la voix de Nona Marie Invie exerce sur nous est irrésistible. Et au vu des acclamations qui accompagnent l’intro de Bright Bright Bright qui déclenche l’enthousiasme dès les premières notes, là encore on n’est pas les seuls. Mark Trecka, avec une classe insolente, ricoche sur ses toms à coups de balais avant d’appuyer chaque montée avec force. On n’a jamais vu aucun batteur frapper si fort à coup de balais. Ce gars-là est un monstre de technique et on aurait très sincèrement pu passer le concert à essayer de décortiquer ses plans à la batterie tant on en prend plein les oreilles. Mais pour cela, il aurait fallu que Nona Marie Invie cesse de chanter. Et on l’avoue en rougissant presque, dès qu’elle se tait quelques secondes, il nous tarde déjà de l’entendre de nouveau, tant sa voix est addictive.
Hear Me commence sur une intro au banjo tout en discordances passées par la moulinette de pédales d’effets, sur lesquelles sont plaqués les accords de piano pour un premier couplet grave, tout en retenue, plombé par ces arrangements un peu post-punk légèrement dissonants, tandis que le batteur, balai dans une main, maracas dans l’autre ponctue le tout. Puis le refrain, plus aigu, se détache, magnifique, avant un pont sur lequel Walt McClements, qui est loin d’être un manche lui aussi, joue simultanément de le trompette et de l’accordéon, excusez du peu.
On replonge un peu plus profond avec le sublime Tell Me, torch song pop dont les virages mélodiques sont addictifs en diable. Sur How it went down, c’est Walt McClements qui s’installe derrière le piano, tandis que Nona Marie Invie, debout derrière son micro commence avec un premier couplet quasi a capella où seuls résonnent quelques accords au banjo dans le silence. Les spectateurs restent figés et s’accrochent à la voix de l’Américaine, rejointe ensuite par les autres instruments, pour une montée progressive.
Sur Daydreaming, sublime, la voix de Nona Marie Invie se fait plus chaude, alternant entre graves chaleureux et aigus envoûtants. Avec Celebrate et son intro quasi valsée à l’accordéon, le groupe se fait encore plus lumineux. Sur ce morceau, la partie à la clarinette est à se damner et les chœurs sont parfaitement dosés. Et ce ne sont que quelques exemples de ce que peuvent être les arrangements de Dark Dark Dark, qui tout en ayant l’air de ne pas y toucher, se révèlent vertigineux de nuances et d’inventivité.
Après nous avoir expliqué qu’ils arrivaient d’une longue tournée et directement d’Australie et que ce concert à Rennes était leur première date en Europe (et s’excusant en même temps de ne pas avoir pu encore rôder leurs interventions entre les morceaux) au tout début du concert, Nona Marie Invie déclenche les applaudissement du public en disant qu’ils sont heureux de revenir jouer à Rennes. C’est d’autant plus apprécié qu’une bonne partie du public était là, à l’Antipode, lors de leur précédente venue et que certains ne s’en sont toujours pas remis. Le set s’achève sur un titre plus enjoué à la trompette. Mais tout le monde en veut encore.
Le groupe revient donc pour un premier rappel : il commence par Patsy Cline, puis enchaîne sur un Who Needs who qui finit de nous achever. Nona Marie Invie y mélange en quelques minutes extrême justesse mélodique, vibrato incandescent et emballements déchirants. Après une intro piano-voix, suivie d’arrangements de trompette méditative et mélancolique, une petite incursion dans le folklore des Balkans réellement surprenante fait rebondir le morceau de façon totalement inattendue et conclut le set avec classe.
Enfin du moins c’est ce qu’on croit d’abord. Puisqu’en fait, pressés par nos applaudissements, les cinq musiciens reviennent pour un ultime rappel, un peu surpris de cet excellent accueil. Ils finissent alors avec Robert et son piano en lents arpèges, trompette, clarinette et surtout son refrain déchirant. Ca y est, nous aussi, on est devenu addict. Et on attend avec impatience la prochaine venue des Américains par ici. En attendant, il est temps de rentrer à la maison. Heureux qui comme Ulysse…
Photos : Caro