Éric* n’a toujours pas de carte d’identité. Son timbre fiscal nécessaire à son renouvellement a disparu avec une bonne partie de ses affaires quand les flics l’ont délogé de son squat. Un exemple parmi d’autres qui reflète une réalité méconnue. Les papiers administratifs des personnes sans domicile fixe, pourtant essentiels dans un parcours de réinsertion, sont régulièrement perdus, volés ou rendus illisibles à cause des intempéries. Pour pallier à ce problème, un « coffre-fort numérique solidaire » est actuellement expérimenté sur notre territoire. Il permet, dès lors qu’un accès internet est possible, d’accéder à n’importe quel document enregistré au préalable.
Rencontre avec Émmeline, responsable du projet pour le CCAS de Rennes.
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Avoir un chez-soi, c’est normalement l’assurance de disposer de ses documents administratifs. Qu’ils soient rangés dans des pochettes plastifiées, classés par ordre alphabétique sinon déposés à la va-vite au fond d’un tiroir, ils restent accessibles en cas de besoin. Exception faîte pour Thomas Thévenoud atteint de « ©Phobie administrative » (NDLR : le © est obligatoire puisque l’ancien secrétaire d’État a déposé l’expression comme une marque auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, trois jours après sa démission).
Pour celles et ceux qui sont sans domicile fixe, c’est toujours plus compliqué. Quand sa propre maison peut tenir dans un caddie ou un sac à dos, il arrive que des papiers officiels soient régulièrement perdus, volés ou illisibles à cause des intempéries. Comment alors justifier de sa situation sans le dernier relevé de la CAF ? Comment entamer une nouvelle démarche pour trouver un travail ou un logement dépourvu de sa carte d’identité ? Conséquence fâcheuse parfois dramatique, ces personnes voient trop souvent l’accès à leurs droits retardé ou interrompu. Les travailleurs sociaux déclarent ainsi passer entre 20% et 30% de leur temps à faire et à refaire des formalités administratives.
A Rennes, on tente actuellement de répondre à cette problématique en intégrant le dispositif lancé par l’UNCCAS (Union National des CCAS). Comme à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Paris ou Nice, celui-ci vise à évaluer l’usage et l’utilité du coffre-fort numérique, à la fois auprès du public mais aussi des agents des CCAS dans le cadre de leurs missions. « Dès le début, nous avions la volonté d’y associer nos partenaires afin d’avoir une réponse la plus homogène sur notre territoire » nous précise Émmeline, responsable du projet du coffre-fort au CCAS. A ce jour, la protection enfants adolescents & adultes en Ille et Vilaine (SEA 35) et la nouvelle entité WE KER (NDLR : fusion de la Maison de l’Emploi et de la mission locale) font partie de l’aventure.
Après une étude comparative entre les différentes prestations proposées (Coffreo, DigiPoste, SOS/REconnect…), l’antenne CCAS de Rennes Centre, le restaurant social Leperdit dit « Le Fourneau » et leurs partenaires ont choisi collectivement de s’associer à ADILEOS, une association déclarée d’Intérêt Général. En plus d’être gratuit(1), sa consigne numérique Doc-Dépot a été pensée et conçue spécialement pour les personnes en difficulté et à celles et ceux qui les accompagnent. Depuis 4 ans, une vingtaine de structures en France utilisent ce logiciel « de terrain », aguerri par les nombreuses années de bénévolat de Jean-Michel, son fondateur, auprès des sans-abris. Doc-Dépot(2) permet ainsi d’avoir deux espaces strictement cloisonnés :
- un espace personnel pour y déposer des photos, des lettres ou des numéros de téléphone, par exemple ;
- un autre axé « administration » où seuls les bénéficiaires et les travailleurs sociaux habilités(3) avec l’accord de l’usager y ont accès.
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Dans un premier temps, l’expérimentation s’est focalisée sur l’aide aux personnes domiciliées par le CCAS et/ou en errance. « Mais on ne ferme aucune porte à d’autres publics. » précise Émmeline. « Nous expliquons de manière pédagogique l’intérêt de l’outil en mettant l’accent sur l’aspect sécurisé et individuel. Les gens savent assez vite nous dire si cela les intéresse ou pas. Si oui, généralement, nous proposons un rendez-vous pour créer leur espace et scanner l’ensemble de leur dossier. »
Un frein à son développement est moins l’accès à Internet(4) que sa bonne pratique. « Ouvrir un coffre-fort n’est pas compliqué en soi. Mais il y a un apprentissage à faire. » Le Conseil d’orientation de l’édition publique et de l’information administrative (COEPIA) rappelle à ce sujet que 13 % de la population des 18 ans et plus déclarent être dans l’incapacité de déclarer ses revenus en ligne, télécharger, remplir des formulaires ou encore obtenir des informations en ligne. Pas moins de 7 millions de citoyen·ne·s échappent donc totalement à l’administration « Web 2.0 ».
« Une personne qui semble à l’aise sur internet au premier abord peut n’utiliser en réalité que très peu d’applications… généralement toujours les mêmes ! » observe Émmeline. « Avoir une adresse mail, ouvrir un fichier Word ou Excel ne sont pas des choses anodines. » Il est donc prévu d’ouvrir prochainement des espaces numériques dans chaque ESC (Espace Social Commun) afin d’avoir du matériel en accès libre et de pouvoir être accompagné par un médiateur. Avantage précieux, cela permettrait d’effectuer rapidement la création du coffre-fort sans attendre une nouvelle rencontre. « Poser un rendez-vous a parfois freiné l’élan de certain·e·s » observe Emmeline « La temporalité de l’administration n’est pas forcément la même que pour les usagers. »
Une fois la crainte du « flicage » passée, le numérique offre de nouveaux outils indéniables et le coffre-fort, de nombreux avantages. Encore faut-il que le public concerné adopte également le logiciel. En trois mois, plus d’une dizaine de coffres-forts numériques ont été créés à Rennes. « On essaye d’avoir le retour des gens… » tempère Émmeline. « Dernièrement, un jeune homme nous en a dit que du bien. Travaillant en intérim, il lui faut justifier des mêmes documents à chaque nouvelle mission. Un simple accès à son coffre-fort lui permet d’y répondre rapidement… »
Un premier bilan national a été publié il y a quelques semaines et il est encourageant ! Le coffre-fort numérique est utile mais avec des usages restreints selon les publics, leur relation à l’administratif et leur familiarité avec le numérique. Le député LREM Nicolas Démoulin exprimait même récemment le souhait de généraliser l’initiative à son ministre de la cohésion des territoires. « Cela nécessitera un gros travail d’accompagnement », prévient un responsable d’une boutique solidarité qui expérimente le dispositif du coté de la Canebière. « Il faudra d’abord convaincre les personnes que leurs papiers sont en danger, et ensuite leur donner confiance. » Et pour cause, la crainte de Big Brother n’est jamais très loin…
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_____Un coffre-fort électronique pour les papiers des sans-abri
_____Un coffre-fort numériquepour les personnes en situation de précarité : Bilan
_____Cecurity.com 1e labellisé coffre-fort numérique par la Cnil
(*) Prénom d’emprunt.
(1) Des fonctions ou modules complémentaires peuvent être payantes et permettent le financement du coffre-numérique.
(2) Conscient des enjeux de sécurité et de confidentialité, son fondateur nous l’assure : la solution déployée est ici parfaitement maîtrisée technologiquement et est en conformité avec les critères de la CNIL.
(3) L’habilitation se traduit par la signature d’une convention entre la structure sociale et ADILEOS.
(4) Une étude anglaise avait démontré que 81% des personnes SDF sondées disaient accéder à Internet au moins une fois par semaine.