En 6 ans, la boutique de disque Blindspot est devenue une référence incontournable pour les amateurs de musique de Rennes et d’ailleurs. A l’occasion de leurs six ans d’existence et du lancement de leur site de vente en ligne, Fred et Pierre reviennent sur le parcours singulier d’un commerce pas tout à fait comme les autres.
On ne va pas jouer les hypocrites, Blindspot fait partie de nos endroits fétiches sur Rennes. Nous nous y rendons régulièrement en prenant toujours le temps de discuter avec Fred et Pierre, les deux très sympathiques tauliers. A cause d’eux, nous avons racheté une platine vinyle. Nous y avons élargi nos horizons musicaux, retrouvé des disques essentiels, fait des découvertes inattendues et nous comptons bien continuer à le faire longtemps. Cela faisait longtemps que nous avions envie de prendre le temps d’échanger avec eux sur la création et l’évolution de leur boutique. C’est enfin chose faite.
Alter1fo : Pouvez-vous commencer par vous présenter et nous dire ce que vous faisiez avant d’ouvrir Blindspot ?
Fred : Je suis Fred, j’ai 38 ans… Je pense qu’on est devenu disquaire par accident.
C’est un bel accident. (Rires)
Fred : Avant d’ouvrir Blindspot, je travaillais à la Cité de la Musique dans l’édition de bouquin. J’ai fait mes études dans l’imprimerie. Avec ma femme, on en a eu marre de Paris. On est donc arrivé en Bretagne parce qu’on y avait des potes, dont Pierre, et de la famille. J’ai fait deux trois trucs dans l’intérim. J’étais un collectionneur de disques et un grand amateur de musique devant l’Éternel. Mon beau-frère est musicologue. Il n’y a donc pas vraiment de hasard si on a ouvert un magasin de disques.
Pierre : Je suis Pierre et j’ai 33 ans. J’habite à la campagne parce que la ville ça me gave, même si je suis très content d’y travailler parce que la culture c’est quand même là qu’elle est. J’aime bien être dans le maelstrom musical. Un ancien disquaire nous a dit : « ça y est, j’ai arrêté et du coup je suis perdu. ». Il ajoute que quand tu es disquaire, tu es au cœur. Ça fait partie des trucs qu’on ne savait pas quand on s’est lancé. Je n’ai pas trop fait d’études. Je suis multitâche voire « multi-tâcheron ». Je peux aussi bien tailler des vignes que retaper un appart’. Dans la famille, il y avait tout le temps quelqu’un qui avait un truc à refaire. J’étais là sur la route avec mon camion et si on me demandait un peu à l’avance, je répondais présent. Je n’aime pas trop ce qui est linéaire. Six mois dans un taf, pour moi c’était long. J’en avais fini avec la vie en camion. Après avoir bossé à Marseille dans une salle de spectacle à faire du catering et à donner divers coups de main… On s’est donc retrouvé tous les deux à Rennes ou pas loin.
D’où est venue l’idée un peu dingue en 2008 d’ouvrir un magasin de disques ?
Pierre : On a fait le constat qu’il n’y avait plus de disquaire généraliste à Rennes. Il restait quelques boutiques spécialisées comme Black Temple, Switch, Troubadour du Chaos ou Rockin’ Bones mais il n’y avait plus de magasins généralistes. Dans les styles que nous écoutions : électro, indus, expérimentale… il n’y avait plus rien. La première semaine où nous sommes arrivés sur Rennes, j’ai dit à Fred : « Viens, on va à Rennes Musique… et là, c’était fermé ». On en a reparlé par la suite et de fil en aiguille l’idée est venue.
C’était quand même une grosse prise de risque.
Fred : On retapait tous les deux un appart et une fois ce taf fini, on n’avait plus de droits, plus de perspectives. Il nous fallait donc trouver quelque chose.
Pierre : Moi, j’avais un plan Total. J’ai mon permis poids lourds. Après mes boulots d’intérim, Total m’a donc proposé un CDI pour livrer du fioul à 2 000 euros par mois, plus les paniers. Faire ça toute ta vie… super (Rires).
Fred : Moi, je pouvais retourner chez Oberthur imprimer de la carte de crédit. Ce n’était juste pas possible.
Pierre : Ce qui nous a soudé c’est qu’on a fait un peu de free party avant et aussi de l’organisation de festival. On a organisé la fête du libre en 2007. On était à fond dans la musique libre, les logiciels libres, les anti-OGM, les mouvements alternatifs. Pendant trois jours, on n’a plus parlé que de ce projet de monter une boutique de disques. On était en train de repeindre des murs et on imaginait ce qu’il y aurait, ce qu’on pourrait y mettre. Et puis, au bout des trois jours, on s’est finalement dit : « On le fait ou on ne le fait pas ? ». On a monté un petit dossier. On est allé voir mes parents qui venaient de vendre leur affaire après leur départ à la retraite.
Fred : Ma femme a bossé les chiffres. Elle nous a fait un budget prévisionnel. On est allé voir notre comptable et il nous a dit « ça, c’est un torchon, vous allez me le refaire. En trois ans, c’est totalement impossible que vous soyez à ce chiffre d’affaire là. » et puis il a aussi ajouté : « Est-ce que vous vous sentez capables de vendre 120 000 € de vinyle par an ? ». Quand tu n’es pas dans le métier, ce sont des chiffres qui te filent un peu le tournis. On est rentrés chez nous en se demandant ce qu’on était en train de faire.
Vous aviez des disquaires « références » en tête ?
Fred : Bien sûr. Bimbo Tower à Paris. J’y allais souvent et j’aimais ce côté « bordel organisé ». C’était un petit boui-boui où tu trouvais des trucs ultra-obscurs. Les mecs n’étaient pas hyper causants mais tu n’y allais pas forcément pour ça. Tu y allais pour chopper des trucs que tu ne voyais pas ailleurs. Je faisais aussi les grandes enseignes à Paris, parce qu’il y avait encore le choix à l’époque. Après Pierrot a eu l’exemple de Rennes Musique mais moi je n’y suis allé que deux fois dans ma vie.
Pierre : Moi, c’est là que j’ai acheté mon premier disque à 15 ans. J’avais des grands cousins à Rennes. Ils m’y ont amené et m’ont dit « Ha, tu ne connais pas ça. C’est un petit groupe qui s’appelle Shellac ». C’était l’album At action park. J’ai aussi pris Hello Nasty des Beastie Boys et j’y retournais de temps en temps acheter des vinyles.
Qu’est ce qui a été le plus compliqué au départ de Blindspot ?
Fred : La paperasse, l’ordinateur, les banques, ça c’était dur pour nous. Après, il y a aussi eu les nuits à éplucher les catalogues de distributeurs.
Parce qu’au départ vous n’aviez aucun contact ?
Fred : Ha mais non, rien de rien. Nous étions des tocards du disque.
Pierre : Là, tu rentres dans notre intimité ! (Rires)
Fred : On avait créé la société au mois de septembre et on a ouvert en novembre (2008). Pendant deux mois, ça a été : les travaux, contacter des distributeurs et éplucher les catalogues. Je me souviens de nuits dans les listes à n’en plus pouvoir.
Pierre : A l’époque, le vinyle n’était pas encore revenu comme aujourd’hui.
Fred : Ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui. Maintenant tu prends les rééditions comme celles de Noir Désir, tu es à peu près sûr que ça va se vendre. A l’époque, c’était le désert chez certains distributeurs.
Pierre : Il y avait plein de petits distributeurs qui existaient comme Discograph mais Chronowax venait de fermer. Differ-ant était ouvert depuis un an. On a pris tous les disques qu’on écoutait et on a regardé qui les sortaient. Born Bad venait de se créer depuis 6 mois. Fred pensait que ça allait cartonner. Son frère qui jouait dans des groupes nous a aiguillé vers L’Enfant terrible, un label hollandais de Wave. On était à fond et on a suivi de près le début de ce style. De mon côté, je revenais de l’Embobineuse (lieu marseillais) où j’avais découvert toute une scène breakcore ou post-breakcore, des musiques électroniques bizarres, de la noise, de l’ambient, du free jazz… bref toutes les musiques de traverse. J’arrivais donc avec ce bagage et on s’est mis en contact avec le français Metamkine qui est un des premiers distributeurs européens de musiques expérimentales.
Vous êtes arrivés pile au début du retour du vinyle ?
Fred : On est arrivé au creux de la vague. Certains distributeurs n’y croyaient plus trop, d’autres le faisaient encore parce qu’ils aimaient la musique et le support. Rennes Musique avait fermé. Tout le monde pensait que c’était parce que ça ne marchait plus du tout alors que ce n’était pas vrai. On a rencontré son propriétaire, pour lui acheter ses meubles. On a discuté assez longtemps avec lui. On a aussi démarré en vendant nos propres collections de disques en occasion. C’était même la moitié du fond du magasin.
Pierre : Il y avait la partie occasion au fond et les nouveautés devant, mais les bacs n’étaient pas très remplis au départ. On a ouvert avec pas beaucoup d’argent. On ne dira pas le chiffre mais c’est insignifiant.
Fred : C’est un chiffre qui en ferait rigoler plus d’un aujourd’hui.
Pierre : Certaines cuisines aménagées valent plus cher que ce qu’on avait en fond à l’époque. On ne se rendait pas compte. Fred habitait donc à Paris. Il avait un salaire donc quand je venais chez lui il y avait toujours plein de disques, des trucs de collections. On faisait la tournée des disquaires ensemble mais moi j’étais plutôt vide-grenier. Comme je voyageais beaucoup en France, j’ai fait pas mal de disquaires comme Total Heaven (à Bordeaux). On arrivait donc tous les deux avec chacun notre bagage. On a des copains qui ont pris des tafs chez des disquaires où les gars d’It’s Only qui montent leur truc après 15 ans de Virgin, eux ils savent ce que c’est d’acheter, de revendre ou d’avoir les nouveautés en temps et en heure. Nous, on a appris ça sur la première année. On a commencé par ouvrir une vingtaine de comptes mais à chaque fois on s’apercevait que la partie vinyle était minuscule. Tu faisais une énorme commande genre « Trop bien, il y a du Shellac chez Pias » et puis ça te revenait en te disant qu’ils n’avaient presque rien de ce que tu avais commandé. Donc, tu te tournes vers les distributeurs étrangers qui, eux, ont gardé une culture du vinyle et de sa distribution. C’était une faiblesse qui est devenue une force. On arrivait avec aucun a priori. On savait ce qu’on voulait faire. On savait ce qu’on voulait mettre dedans mais on parlait uniquement de musique et pas de commerce.
Dès le départ, on a aussi eu le souci d’une qualité de nos disques d’occasion. On les recevait, on les nettoyait, on recollait les pochettes. On ne cherchait vraiment pas la quantité.
Au départ, le fond de disques du magasin était très très pointu ce qui à la fois était excitant mais aussi un peu intimidant, même pour des connaisseurs de musique. Ça a dû vous jouer des tours ?
Fred : Ha ça oui ! On nous en reparle encore. On nous redit souvent qu’au départ on était des sacrés vénères.
C’était assez spectaculaire ! (Rires)
Pierre : On ne nous l’a jamais vraiment reproché mais on l’a surtout payé avec des gens qui arrivaient la fleur au fusil avec l’envie d’acheter un disque… et qui repartaient sans rien parce qu’ils ne reconnaissaient aucun disque. On entendait souvent « Je connais rien. » mais parmi ceux qui repartaient, il en y avait aussi qui revenaient, qui discutaient avec toi et là tu pouvais leur conseiller des trucs suivant leurs goûts. Tu leur montrais qu’ils pouvaient écouter sur la platine et c’était parti.
Fred : C’est une image qu’on traîne encore toujours.
Pierre : Et puis, on la travaille un peu quand même.
Fred : Sauf que quand tu regardes les bacs du magasin aujourd’hui ça a quand même beaucoup changé. Il y a pourtant toujours des gens pour te dire qu’ils ne connaissent aucun disque.
Comment vous avez fait pour travailler ça ?
Fred : Naturellement. Ce sont les gens qui nous ont amené à ça. Bon, ceux avec qui on cause, parce qu’on a des clients qui viennent depuis 5 ans, dont on connaît les goûts mais avec qui on n’a jamais discuté. Ils nous demandent juste si on a ça, et ça s’arrête là. On ne connaît même pas leur prénom. Mais même ceux là, ils nous ont aidé à comprendre qu’il fallait qu’on arrête d’avoir des œillères.
Pierre : Je ne suis pas d’accord. Je ne pense pas qu’on n’ait jamais eu d’œillères. Dès le début, dans le bac occas, il y avait un peu de tout, du rock de toutes les époques, de la chanson française.
Fred : On s’interdisait quand même de vendre certains disques ou de bosser avec certains distributeurs par éthique.
Pierre : C’est vrai qu’il n’y a que cette année qu’on a ouvert un compte chez Universal et Sony. On a ouvert le magasin avec nos deux cultures assez proches mais déjà avec des différences tout simplement dues à la différence d’âge. Ensuite, on a croisé des gens hyper pointus en afro-beat ou en free-jazz, qui te citent des labels dont tu n’as jamais entendu parler. La musique, c’est sans fin, tu découvres toujours des nouveaux trucs. Du coup, c’est vraiment nos clients qui nous ont fait évoluer vers des nouveaux territoires et élargir nos horizons. Quand tu as 3 ou 4 personnes d’affilée qui te demandent : « Mais, vous allez l’avoir le Alt-J ? », tu te dis forcément que tu aurais pu en vendre quelques uns et tu te dis que tu pourrais aussi proposer d’autres choses.
Fred : Quand on a ouvert, il y avait aussi toute la bande expérimental-noise de Rennes qui organisait beaucoup de concerts, qui a pris le magasin d’assaut et qui a émulé le truc dans ces styles. Ça a duré jusqu’en 2010 à peu près. Après les concerts ont diminué. Des personnes sont parties et à un moment donné, le bac noise-expé-indus a commencé à moins bouger alors qu’au début ça tournait beaucoup. On ne l’a jamais lâché ce rayon, mais on s’est dit que soit les gens qui en achetaient en font et n’en écoutent pas, soit ils n’en écoutent plus. Il y a aussi les gros collectionneurs d’indus qui ont tout et qui retournent au punk de leur adolescence. A ce moment là, il y a aussi eu la fermeture de Virgin et on s’est dit qu’il fallait y aller.
Pierre : Ca n’a pas été une date vraiment précise. Ça s’est fait au fur et à mesure, sur plusieurs années… Et puis nous aussi, on a nos oreilles qui ont changé. Quand tu écoutes pendant deux ans dans le magasin de l’ambient, l’expé, de l’electronica… il y un moment où tu as envie d’écouter autre chose. Fred, c’est par périodes. Il a eu sa période Krautrock. Quand tu es là dedans, tu écoutes des trucs de plus en plus pointus. Tu cherches dans les rééditions comme celles du label Wah Wah. Après tu passes au free jazz, au free spiritual jazz, au rock expérimental. J’ai redécouvert les Residents avec un lot qu’on avait acheté. Comme tu écoutes cette musique, ça te donne envie de bosser plus ce rayon. Ça a toujours été comme ça pour nous. Peut être moins aujourd’hui, puisqu’on s’est ouvert à la pop ou à d’autres trucs qu’on écoute moins mais après on a surtout envie de vendre ce qu’on écoute.
Fred : On est aussi moins vénère qu’avant. Il y a toute une partie de notre collection, qu’aujourd’hui on n’arrive plus à écouter. Le déménagement a été également important.
Justement qu’est ce que vous a apporté le changement de lieu en avril 2012 ?
Fred : D’abord avec une plus grande surface, il fallait un plus gros loyer. Il a donc fallu qu’on rentre des thunes.
Pierre : C’est Archipel habitat donc ce n’est pas non plus beaucoup plus cher mais ça nous obligeait quand même à envoyer davantage.
Fred : Parce qu’on n’a pas encore parlé de commerce dans la conversation. A un moment, il a fallu qu’on arrête d’avoir des salaires de misères comme on avait à côté. Il a fallu penser à nous. C’était bien beau de déménager et de faire un chouette magasin mais il a fallu faire des choix pour pouvoir aussi continuer à en privilégier certains côtés.
Pierre : L’augmentation de surface a aussi changé l’organisation du magasin. Il y avait un côté occas et un côté neuf séparés. D’un coup, les deux étaient en même temps et il a fallu avoir beaucoup plus de nouveautés. Ça c’est valable dans tous types de commerces, pour que les gens viennent régulièrement, il faut qu’il y ait une émulation, un truc nouveau qui se passe tout le temps.
On parlait aussi de l’aspect intimidant que pouvait avoir l’ancienne boutique avec ses bacs serrés dont il était difficile de faire le tour.
Fred : Il y a des gens qui ont découvert notre existence avec ce nouveau magasin. Là-bas, ils croyaient qu’on était des alterno-je-ne-sais-pas-quoi qui organisaient des meetings.
Pierre : Il y avait un autocollant « OGM, non ! » collé sur la chaudière derrière nous. (Rires)
Fred : Même sur notre enseigne, ce n’était marqué nulle part qu’on était des disquaires. Au bout de deux ans, on s’est aperçu qu’il y avait juste « Blindspot, les angles morts » et démerde toi avec ça. (Rires) Une enseigne toute noire avec juste un haut-parleur.
Pierre : Il y avait aussi cette fameuse vitrine où, comme je chinais beaucoup, je mettais pleins de vieux appareils. Les gens venaient nous demander si on réparait et nous on répondait : « Non, non, on vend des disques. » (Rires)
Fred : Avec en plus la peinture noire à l’extérieur, ça faisait tout un ensemble de choses qui faisaient que les gens avaient peur de rentrer.
Pierre : On a donc eu le petit groupe expé-indus et puis aussi les étudiants des Beaux-arts. Ça nous a bien aidé. Pour nous, il valait mieux commencer avec ça, par des franges de gens qui s’intéressent à toi pour venir chercher quelque chose, comme tu dis, d’excitant. On n’aurait pas pu partir avec un truc tout public. On dit ça avec le recul. Je ne veux plus me souvenir de comment on bossait dans le vieux magasin. On faisait tous les paquets cadeaux sur le comptoir. C’était juste deux fenêtres et les murs.
Fred : Trois ans à bosser dans ce petit machin… On l’a fait, mais à un moment on a vraiment eu besoin de bouger. Le coup de bol a voulu que ce soit la porte à côté.
C’est vrai qu’en commerce, l’emplacement est primordial. Une rue un tout petit peu moins passante et c’est terminé.
Pierre : On a hésité avec un local chez Albertine café, dans la rue Lanjuinais, juste à l’angle et cette rue là, elle est vraiment moins bien. Depuis qu’on est là, la rue (Poullain Duparc) s’est vachement développée. Il y a eu les resto-bistrots O’Rétroviseur et chez Paul, un magasin de fringues vintage, une cave à bières, un magasin d’informatique.
Fred : On ne bougerait pour rien au monde aujourd’hui.
Pierre : Et puis c’est un Super U et un Leader Price en face et mine de rien, ça change pas mal le passage.
Ah ouais, mais on ne peut plus vous faire de blagues là dessus maintenant (Rires).
Fred : On s’en fout, on ne veut plus que du CSP+ maintenant (Rires).
Qui vous a fait votre chouette logo à l’occasion du déménagement ?
Fred : Il était temps parce que celui qu’on avait avant, il faisait vraiment trop « Drum&Bass années 90 ». C’est la sœur de Pierrot, qui est graphiste qui nous l’a fait. On a cherché pendant longtemps une idée et c’est Pierrot, qui est fan de musique traditionnelle, qui a proposé de reprendre la boussole de la musique arabe. On a enlevé plus de trucs autour mais normalement tu as les différents instruments. Tous les genres qu’on a ajouté ensuite n’existent pas. Lors de l’un de ses voyages avant la boutique, Pierre avait trouvé le flyer d’un magasin au Portugal, avec dessus quelques genres un peu moisis ou sortis de l’espace. Comme ça nous avait fait marrer, on l’a extrapolé au maximum.
Vous avez aussi animé Château Merdique, une émission de radio sur Canal B. Qu’est ce que ça vous a apporté ?
Fred : Une capacité à connaître et à parler des disques. A pouvoir en parler en direct. A la radio, il fallait être bon tout de suite parce qu’on n’enregistrait jamais rien. Ça nous a appris à synthétiser, à éviter de dire uniquement : « Il est super cet album. ».
Pierre : On en riait même. « C’est un artiste hip hop, il fracasse. » « Heu, Fred, ça fait 6 émissions que tu utilises cette expression. Il va falloir en trouver une autre. » (Rires). On a aussi appris à bosser un minimum nos sujets aussi. Pour la deuxième émission, on avait fait une spéciale no-wave. J’avais potassé mon sujet mais j’avais une toute petite voix quand on a commencé.
Fred : Il a fallu renouveler notre vocabulaire et apprendre à faire des comparaisons, à reclasser des trucs dans le temps, à replacer un disque dans une discographie.
Pierre : On bossait avec Robin, du Théâtre de Poche, qui est assez pointu et qui nous apportait beaucoup de choses. Il écoute pas mal de groupes sur Internet donc il nous amenait des musiques, même si elles n’étaient sorties sur aucun support physique. On avait chacun nos petits domaines de prédilection et on se complétait bien. On faisait une heure de thème et une demi-heure de « nouvelles du front » avec que de la nouveauté qu’on sortait du magasin ou que Robin amenait. Ça nous faisait bosser notre fond. On prenait le temps d’écouter les disques avec plus d’attention pour trouver quel morceau passer. On percevait mieux les structures des albums. Ce qu’on a plus de mal à faire aujourd’hui je trouve. Ça me manque, j’ai bien envie d’y retourner d’ailleurs.
Pourquoi avez-vous arrêté ?
Fred : A cause de l’horaire. L’émission était à 23h. Mon fils était petit. Ma femme partait beaucoup en déplacement. Il fallait être à la radio le mardi soir de 23h à 00h30.
Pierre : Le temps d’enregistrer, on sortait à 1 h.
Fred : Faire ça toutes les semaines, la première année ça été nickel. La deuxième, ça a été plus difficile. C’est con parce qu’avec un autre horaire, on aurait pu durer plus. On se faisait chambrer par Paco « Hé les gars de l’émission de 23h, moi aussi je peux faire l’émission. J’ai des CD de bruits blancs pour tester l’antenne. ». En plus du magasin, on était aussi catalogué à la radio. Il y avait aussi « Château merdique », Yvan, une petite pensée pour lui, nous avait demandé si on était vraiment sûr de vouloir prendre ça comme nom.
Pierre : Mais ça reste une super expérience. Je réécoutais récemment une interview complètement absurde qu’on avait faite avec les gars de la Triple Alliance de l’Est. Tout n’était pas toujours aussi bon, mais celle là elle était vraiment bien.
Comment ont évolué en 6 ans les autres rayons que les disques ?
Pierre : ça a diminué. A partir du moment où on a déménagé ici, on s’est retrouvé avec plus de meubles et on a décidé de privilégier le disque. Forcément, il y eu un petit relâchement au niveau de la bibliothèque. Avant on avait clairement plus la pêche pour aller contacter des mecs qui font des t-shirt supers par exemple. Il y a aussi des copains qui faisaient des trucs et qui ont arrêté, donc ça s’est logiquement appauvri en nouveauté. Après, les T-shirts qu’on a ne sont pas dégueulasses mais sur les livres, il faudrait plus qu’on bosse les nouveautés ou les gens comme le mot et le reste.
Fred : On a déjà énormément de taffs pour suivre ce qui sort en vinyles. On est même déjà dépassé.
Pierre : Par contre, on a augmenté notre offre d’affiches sérigraphiées. De fil en aiguille, entre les gens qui font des expos ici et ceux qui viennent de loin et qui nous laissent des affiches, ça commence à faire pas mal.
C’est vrai que vous avez fait un paquet d’expos.
Pierre : 60 à peu près.
Fred : Ce qui a aussi changé en 6 ans, c’est qu’on a arrêté le CD. C’était surtout du dépôt. Ça nous demandait trop de boulot pour pas beaucoup de résultats. A un moment, il faut penser à toi. Parce que je le rappelle, c’est un commerce, et dans le commerce il y a des trucs qui t’usent et pour lesquels il faut des compensations financières. Quand tu gagnes 2 euros par CD, que le gars t’appelle au bout de deux ans et qu’il faut qu’il sache tout de suite où il en est…
Pierre : Au départ, on ne payait pas la TVA. A partir du moment où on y est passé, tous les premiers dépôts qu’on avait fait et pour lesquels on gagnait 1 euro sur un truc qu’on vendait 5, finissaient par nous coûter de l’argent. On a fini par payer pour vendre des CD. Comme on n’était pas au top au niveau gestion, il y a eu beaucoup d’erreurs de ce genre. Ça en a était une qu’on a heureusement réussi à compenser par d’autres qualités.
Parmi les expos que vous avez faites lesquelles sont les plus mémorables ? Il y en a eu qui ont provoqué des fortes réactions chez les clients ?
Fred : On n’a jamais eu de trucs trop borderline. Peut être celle de Stéphane Batsal qui était vraiment décalée. On a eu beaucoup de sérigraphistes et de graphistes, comme Thomas Pérrodin.
Pierre : Perrodin il en avait vraiment mis partout. C’était une des dernières expositions dans l’ancienne boutique. Il y avait des fils 12 volts qui passaient de chaque côté et il avait accroché des affiches tout du long, en plus de celles sur les murs. Déjà que le magasin était bien rempli mais là c’était blindé. En plus il y avait eu beaucoup de monde, il y a eu un concert. Les gens débordaient sur la rue, c’était chouette.
Fred : Arrache toi un œil aussi. Il avait fait un gros buffet végétarien. Avec Loïc Creff de la Presse purée, on avait fini tard et on avait mis la musique à fond. Ça a été les premières petites histoires avec le voisinage. On a eu un juriste qui est venu nous voir le lendemain et qui nous a récité la playlist de ce qu’on avait passé en nous disant : « Moi aussi j’écoutais du reggae quand j’étais jeune, mais juste pas à cette heure là s’il te plaît. ».
Après, comme toute expo, on a aussi eu des bides.
Pierre : Je me souviens aussi de la première expo dans les nouveaux locaux de Darniche, où il avait tout fait bien avec des vinyles. Juste après il y a eu Flavien Thieurmel, le gars qui a bossé avec le Monde Diplomatique. Un autre grand moment, ça a été l’expo du Lièvre de Mars où on était sept à écouter une petite lecture et un concerto de clarinette par le Lièvre de Mars lui même…
Fred : A chaque fois c’est des nouvelles découvertes et des rencontres avec des gens au delà de l’expo.
ça fait aussi le lien entre vous et une effervescence sur Rennes dans le milieu du graphisme et de la sérigraphie.
Pierre : Quand on a ouvert, tous ces gens là sortaient des beaux-arts. On est vraiment devenu ami avec eux. Il y eu la Presse Purée qui s’est enrichie de nouveaux membres.
Fred : On a assisté et participé à cette explosion de la sérigraphie sur Rennes.
Dans les tentatives d’ouverture, vous êtes allés pour la première fois à la Route du Rock cette année, quel bilan vous en tirez?
Pierre : Très positif. Les organisateurs nous avaient déjà proposé de venir l’année dernière. Ils nous avaient appelés le lundi pour le jeudi, suite à un désistement, donc on avait été obligé de dire non. Cette année, ils ont appelé le vendredi pour la semaine d’après. J’ai essayé d’appeler Fred, qui était en vacances, mais il ne répondait pas. Alors au lieu de me prendre le 15 août et de fermer, j’y suis allé. Ça a été dur. J’ai pris une grosse claque. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été dans un « vrai » festival avec les barrières, la sécu, le badge, le bar VIP… Mon emplacement était pas mal. J’étais dans l’angle donc pas directement face à la scène. J’avais les copains de l’atelier du Bourg à côté et j’ai bien vendu. Ça nous a mis un peu de beurre dans les épinards au mois d’août. En plus, ça a permis de rencontrer les gens des petits labels qui sont sur place, de retrouver les clients rennais. On fait moins de concerts sur Rennes et c’est vrai que pour nous, c’est important de montrer qu’on est dans la vie culturelle locale. J’avais fait une sélection surtout rock, et là forcément les gens t’achètent du rap, de l’électro… Très bonne expérience, très physique avec la boue et les types bien bourrés qui viennent tailler le bout de gras en agitant leur bière au dessus des disques… (Rires) On y retournera l’année prochaine.
On a toujours fait des festivals depuis le début. On a fait les premières éditions de Cable à Nantes (festival de musique expérimentale, noise, improvisation), Bruismes à Poitiers qui est un peu dans le même genre. On a tenté de faire quelques concert sur Rennes et ça a été des flops complets. On fait les Rendez-vous de l’Erdre à Nantes depuis 4 ans. On fait la foire aux disques des halles deux fois par an depuis 6 ans.
C’est intéressant votre ballade à la route du Rock parce que ça vous ouvre à ceux que vous intimidez encore.
Fred : C’est marrant que tu utilises « intimider », tu trouves vraiment qu’on est intimidant ? On n’est pas des tombes. C’est le magasin qui intimide plus que nous ?
Je pense que ça été vrai au tout début et que vous en gardez encore quelque chose, qu’au départ l’image de Blindspot, c’était un truc réservé aux initiés ou aux érudits (Rires).
Pierre : Nous, on n’a pas vu ça comme ça. On faisait le truc la tête dans le guidon. C’est vrai qu’on garde encore quelque chose de ça. Avec l’ouverture d’It’s Only, on n’arrête pas de nous en parler et de faire des comparaisons avec eux. C’est la montée, la gloire, la chute, c’est le destin des disquaires indés. On aura mis 4/5 ans. Là, on est en haut. On commence à être connu. On est répertorié dans les disquaires français. Mais il y aura un moment ou ce sera la chute de toutes façons. On le voit avec plein d’autres disquaires. Bimbo Tower a fermé. On a aussi peur de s’essouffler, de vivre sur nos acquis, de prendre les nouveautés en automatique sans trop creuser. On voudrait faire en sorte que le magasin reste toujours… « bandant ». Donc là mi-novembre on lance le site et on refait le sol.
Vous vous lancez donc aujourd’hui dans la vente en ligne, c’était quelque chose que vous aviez en tête depuis longtemps ?
Fred : Aujourd’hui, ça fait partie des trucs obligatoires pour un disquaire. Depuis le début du magasin et encore aujourd’hui, on a vendu sur discogs. Les français, quand ils achètent du vinyle, c’est sur e-bay et à des prix hallucinants. Il y a très peu de sites bien foutus en France. Il y a Mélomane, la Face Cachée, Souffle Continu mais Total heaven n’en a même pas par exemple. Vu l’offre qu’on a en magasin, on se dit qu’il y a moyen de faire quelque chose de bien de ce site. Quand tu vois que des types de Paris te commandent des disques sur Discogs, y compris un Chinese Man ou du Born Bad ! On a même eu une commande sur Rennes. Alors un site Internet, c’est coûteux, ça prend du temps, la mise en place est laborieuse mais c’est indispensable et au moins on est au point au niveau colis.
Pierre : La question qu’on se pose aujourd’hui, c’est combien de références il nous faut pour ouvrir le site ? On va démarrer avec la ligne directrice du magasin, les dernières nouveautés, les disques qu’on met en avant et puis après le reste suivra.
Pierre : Le phénomène Discogs a fait que ça gomme pratiquement les autres sites de vente. Il y aussi que c’est grâce à ce site qu’on en est là aujourd’hui. C’est NOTRE outil de disquaires. Au delà de la vente et de l’achat, c’est une mine d’informations. Tu tapes un nom. Tu as tous les disques avec toutes leurs pochettes, les compilations. Tu peux cliquer de label en label pour trouver des références. Au départ, c’était très électro discogs. Il n’y avait même pas les Beatles.
Pour les vinyles, c’était surtout en électro que ça se passait à cette époque.
Pierre : Maintenant ça c’est largement généralisé et le phénomène des conventions de disques est allé en sens inverse. On a un avis assez tranché là dessus. Les vendeurs s’en sont mis plein les poches pendant des années parce qu’il n’y avait pas de rééditions. Maintenant ils sont déprimés par toutes les rééditions qui sortent.
Ce sera quoi l’étape d’après ?
Pierre : Il y aura d’abord le changement de moquette et l’ajout d’un meuble.
Fred : Tu as une petite vision. Ce que je vois à très long terme, idéalement ce sera l’embauche de quelqu’un de plus. Ça me paraît une étape logique dans le développement de toute entreprise. On sera toujours là parce qu’on a quand même du mal à laisser le magasin. Ça nous est arrivé de confier les clés à des potes au tout début mais c’est exactement comme avec un gamin. « ça va aller chéri ? Tu vas savoir comment l’habiller ? » (Rires)
Sortir des disques ?
Fred : Ce serait bien. C’est un truc auquel on pense depuis longtemps. On a eu pas mal de propositions et puis ça me paraît dans la continuité d’un disquaire. La plupart des disquaires qui existent depuis plus longtemps que nous, ont créé leur label. Vicious Circle à Toulouse, Souffle Continu à Paris, La Face Cachée à Metz… On aimerait donc bien se lancer et c’est en cours là. Le mec est partant. Il faut juste qu’on fasse un peu de trésorerie parce que jusque là tout passait dans le magasin. Ce serait pour le mois de janvier et ce serait une réédition d’une cassette qu’on a vendue ici.
On peut déjà dévoiler le nom ?
Fred : C’est Cachette à Branlette. (Rires)
Décidément, vous faites fort en nom !
Fred : Cachette à Branlette, c’est Unas, un gars de l’Est qui est maintenant en Bretagne, qui joue avec d’autres projets. C’est de l’electro-disco-tropical assez marrante et qui s’écoute tout seul.
Quels sont vos coups de cœur musicaux du moment ?
Fred : Perte d’Identité de Marie Davidson. Forcément, le Rapshode de Forever Pavot (de chez Born Bad). Le Den Sorte Skole (mix érudit et magnifiquement éclectique d’un collectif de DJ danois qui passeront aux Trans le samedi 6 décembre). La réédition du Francis Bebey, le dernier Zombie Zombie qui a toujours la grande classe.
Pierre : Strasbourg (groupe cold-noise de… Bordeaux!), ils n’inventent rien mais c’est super bien fait. J’ai découvert le premier album de Judah Warsky et je le trouve vraiment bien. Il y aussi Cowbones. C’est du garage sur le label Casbah Records. C’est une espèce synth-punk très très bon. Il se passe pas mal de choses bien en hip hop aussi… et il y a Angels & Devils, le dernier album de The Bug qui est vraiment énorme.
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Plus d’1fos sur le tout nouveau site de Blindspot.
Intéressant cet article !
Juste un petit détail à propos des expositions de graphistes chez Blindspot. Il est mentionné un « Flavien Turmel »… En fait c’est Flavien Thieurmel, c’est moi…
Si vous pouviez rectifier, ce serait bien, éventuellement y ajouter le lien vers mon site, ce serait parfait.
Merci !
Je rectifie bien sûr. Mille excuses pour avoir écorché ton nom et content que l’interview te plaise.
Super merci !
Bonjour! Je me permets d’apporter une petite précision. Les tableaux que l’on peut voir sur les photos et qui sont actuellement exposés chez Blind Spot sont les miens. L’expo est prolongée jusqu’au 8 janvier. Merci!
Bravo et merci pour cet article !
Blindspot c’est le paradis sur terre.
Combien de fois je suis reparti avec le disque qui passait en écoute dans la boutique !
Bravo messieurs !
salut les mecs, votre histoire ressemble a la notre !! Disquaire par accident et c’est de la que les meilleures histoires commencent . Bonnes fin d’année à vous . Les disques et la prod c’est la vie ! Bon courage à vous deux et à bientôt . Médéric / La Face Cachée
Cher monsieur, par manque de pognon, je n’ai pas osé rentrer dans votre magasin la semaine dernière (en même temps, deux jours fériés !!!), je savais qu’on y trouve un nombre incroyable de bonnes choses.
Je jure de me rattraper la prochaine fois qu’on sera à Metz.
Bonjour,
Je cherche à retrouver à l’achat des systèmes de suspensions mural de vinyle que l’on voit sur la cinquième image de l’article. Si vous avez quelques pistes à ce sujet, ça pourrait m’être bien utile.
Merci d’avance
Bonsoir François,
Nous ne pouvons malheureusement pas vous répondre, on n’en sait trop rien mais peut être pouvez vous passer voir directement les Blindspot ou leur envoyer un mail ( 36, Rue Poullain Duparc
35000 RENNES / 02 99 78 51 90/ lesanglesmorts1[@]gmail.com) . En plus d’avoir de merveilleux disques ce sont des gars supers 😉