Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 7ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera de nouveau original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin ou à dévorer de suite. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-ami.e.s, bon pour les bibliothécaires, bon pour nos papetiers-ami.e.s, bon pour nos neurones. Ouvrez donc les pages jour après jour… Deux propositions pour ce troisième jour, à vous de choisir !
Ah la montagne, ses paysages dantesques, son air pur et ses étendues sauvages (ou presque). Elles sont le décor tout naturel de deux romans que l’on a dévoré cette année.
Premier opus proposé : L’île haute de Valentine Goby. L’auteur prolifique signe là un joli roman initiatique où la montagne tient toute sa place. C’est dans un hameau des Alpes, loin de tout, que Vadim petit parisien asthmatique de 12 ans débarque un beau matin d’hiver. Hébergé dans une famille inconnue, il découvre la vie en montagne, la neige, les cimes et leur beauté chaque jour renouvelée : « Son regard a changé. Au début, le blanc lui suffisait. C’était si nouveau cette texture aux métamorphoses constantes, tour à tour dure, molle, craquante, poudreuse, feutrée, lourde, légères, compacte, aérée, tendue, bosselée, mouvante et rampante et volatile dans l’avalanche, inerte au fond de la vallée, qui piégeait la lumière et la réfléchissait, accueillant toutes les nuances, bleue la nuit, diamantine ou mate le jour selon l’épaisseur des nuages, rose au coucher du soleil, grise dans l’ombre de l’envers et parfois translucide, quelle bizarrerie qu’un mot unique couvre un tel éventail d’images. »
Blanche, Albert, Éloi et Louis remplacent comme ils peuvent sa mère restée à Paris. Et si l’air pur de la montagne améliore effectivement son asthme et ses difficultés respiratoires, on découvre surtout que cet asthme était finalement un argument pour lui sauver la vie. On est en pleine seconde guerre mondiale, Vadim est juif et sa mère voulait l’éloigner des menaces grandissantes et des rafles impitoyables qui sévissent sur la capitale.
Trois saisons dans ce lieu magnifique et hostile pour Vadim, devenu Vincent Dorselles, ponctuées de décors éblouissants, de découvertes des merveilles de la nature, d’amitiés et d’amours naissants, de survie en milieu souvent hostile. La plume de Valentine Goby est subtile et poétique, elle décrit avec menus détails la vie en montagne et ses durs labeurs. L’histoire de Vadim est touchante et ne laisse pas indifférent et l’humanité de ses protecteurs illumine le propos.
Un livre à lire, au coin du feu, une tasse de thé fumante à la main.
Deuxième opus : Les Confins d’Eliott de Gastines. Une toute autre ambiance pour ce huit-clos montagnard où fleurent bon les dangers de la montagne, la sauvagerie de ses habitants, l’âpreté du gain et la sourde vengeance…
Hiver 1984 : Bruno Roussin prend le dernier car de la saison pour débarquer au village des Confins. Avec femme et machine à écrire sous le bras : il est écrivain et il vient chercher l’inspiration au calme. Après lui, le déluge, ou la tempête hivernale. La route, trop dangereuse, est fermée dès le mois de novembre et le village vit replié sur lui-même durant tout l’hiver. Un huit-clos fatal où la trentaine d’habitants va se confronter à une sourde vengeance.
Retour en arrière, en 1964 : Pierre Roussin, le père de Bruno, est architecte et a de l’ambition pour ce village des Alpes qu’il affectionne particulièrement. Mais une ambition raisonnée et éthique ! Pas question de céder aux sirènes hurlantes du « Plan Neige », lequel va défigurer bon nombre de paysages alpins que l’on côtoie encore aujourd’hui. Pierre veut préserver cet Eldorado blanc et éviter au village de tomber dans le business des sports d’hiver. Il souhaite ériger une station de sports d’hiver à taille humaine, tournée vers la nature, pour préserver cette montagne magnifique. C’est sans compter sur la lâcheté, la perfidie et la cupidité de certains autochtones, happés par le gigantisme des installations hivernales, la bétonisation massive et l’arrivé impromptue de capitaux du tourisme de masse promis par le Plan Neige de l’Etat : « Les remonte-pentes pour débutants se reproduisaient comme des lapins. Plus haut, les télésièges venus des Etats-Unis quadrillaient le domaine skiable et nourrissaient les fantasmes des promoteurs par leur capacité à promener du couillon en nombre. Clou du spectacle, la gare de téléphérique venait d’être achevée. Plus haut encore, les self-services attendaient de dévorer les portefeuilles de futurs skieurs pressés d’en ‘profiter davantage’. »
L’intrigue se construit patiemment en allers-retours entre ces deux époques, chaque morceau de puzzle s’imbriquant les uns après les autres. L’atmosphère feutrée dans laquelle s’installe l’écrivain devient sourde et oppressante. Si les personnages sont parfois caricaturaux, le mécanisme implacable avec lequel les hommes d’une à deux générations ont détruit la montagne est décrit de façon détaillée et minutieuse. Et quand les vieilles histoires ressortent, il ne fait pas bon traîner dans les ruelles enneigées du village…
Un premier roman étonnant, entre thriller et roman social, pour une dénonciation sans détours de la bétonisation des paysages de montagne de France et de Navarre et de la transformation de ses habitants : « Le massacre était non seulement environnemental, esthétique, mais il était aussi social. Avec quel mépris avait-on traité tous ces paysans, c’était impensable. Il fallait encourager les fermiers à devenir cuisiniers, les ouvriers agricoles à devenir perchmans, les jeunes débrouillards à devenir skimans. Les désœuvrés ou ceux dont le corps était cassé par les travaux de la ferme, ceux-là seraient très bien derrière les guichets. »
A lire également au coin du feu, une deuxième tasse de thé fumante à la main.
L’île haute / de Valentine Goby – Editions Actes Sud – 2022 – ISBN 978-2-330-16811-7
Sur le site de l’éditeur
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