Le droit à l’IVG menacé en Pologne. Témoignages de femmes polonaises…

Alors oui, le parlement polonais a rejeté le projet de loi visant à interdire l’avortement, suite à la mobilisation massive des nombreuses Polonaises (et Polonais) de ces derniers jours. Pour rappel, 100.000 personnes s’étaient rassemblées à travers le pays contre cette proposition, qui aurait introduit des peines de prison pour les femmes ayant recouru à une IVG ou les médecins les ayant accompagnées. Mais le combat est-il gagné pour autant ? La législation du pays en vigueur jusqu’ici n’est pas franchement plus permissive. En effet, l’avortement n’est autorisé uniquement que dans trois cas : en cas de viol, d’inceste, de risque pour la vie de la mère ou de grave pathologie de l’embryon. De plus, le comité « Stop Avortement », qui regroupe des organisations anti-IVG ainsi que l’épiscopat polonais, à l’origine de cette proposition d’initiative citoyenne ne va certainement pas en rester là.

Une semaine après le rassemblement qui a eu lieu à Rennes en signe de solidarité, nous avons voulu rapporter ici quelques témoignages de ces femmes Polonaises rencontrées à Rennes. Sans filtre, sans tabou. Et pour cause ! Ce qu’il vient de se passer en Pologne, ce qu’il s’est passé en Espagne en 2014, ce qu’il se passe encore à Malte et en Irlande où l’avortement est toujours interdit doit nous rappeler sans cesse que le droit des femmes à disposer de leurs corps reste un droit fragile.

Nous vous présentons celles qui ont bien voulu répondre à nos questions :

  • Maja, 28 ans, polonaise vivant actuellement à Rennes (en France depuis 8 ans);
  • Ola, 28 ans, polonaise vivant actuellement à Katowice en Pologne;
  • Berenika, 29 ans, polonaise vivant actuellement à Barcelone;
  • Anna, 32 ans, polonaise vivant actuellement à Cork.

INTERVIEW

capture[ALTER1FO] : Un nouveau projet de loi visant l’interdiction totale de l’avortement a été déposé puis rejeté par le parlement. Était-ce pour vous une surprise que de découvrir un tel projet et comment expliquez-vous cette nouvelle atteinte aux droits des femmes polonaises ?

Maja : Bien sûr, c’est une énorme surprise! J’étais bien au fait qu’une partie ultra-conservatrice catholique avait beaucoup de pouvoir en Pologne mais je ne m’attendais pas à une telle idée de leur part. Je pense que cela vient surtout d’une inconscience totale, d’une fermeture d’esprit et d’un manque de réflexion de la part de tous ceux qui ont proposé ce projet de loi…

Ola : Ce n’est pas du tout une surprise. La Pologne est généralement un pays assez conservateur. Les dernières élections ont tout simplement conforté les plus extrémistes. Les conservateurs du parti «  Droit et Justice » (PiS) ne cachent même pas qu’ils ne respectent pas la loi qui sépare l’Église et l’État et qui stipule que l’Église ne peut pas influencer la loi polonaise. Les membres du PiS  indiquent que la Pologne devraient suivre les règles catholiques en affirmant que la vie commence dès  l’acte sexuel et qu’il faut faire tout son possible pour la protéger.

Nous sommes en train de faire un bond en arrière. L’avortement était pourtant encore possible en Pologne jusqu’en 1993. Mais le gouvernement, influencé par l’Église, a décidé de limiter ce droit en introduisant «un compromis»… Je le dis entre les guillemets parce que cela reste une farce ! L’avortement est aujourd’hui autorisé uniquement dans trois cas  : risque pour la vie ou la santé de la mère, risque d’une grave pathologie chez l’embryon ou dans le cas d’une grossesse issue d’un viol. Ce «compromis», déjà très strict, allait être encore plus limité si le projet de loi venait à être voté.  C’est très important d’indiquer que selon les derniers sondages, 58% des polonais-e-s souhaitent maintenir ce compromis, que 26% souhaitent une libéralisation du droit à l’avortement et que seulement 6% souhaitent interdire l’avortement.

Bérénika : Pour moi, oui, ce fut une surprise. Par contre, si l’on connait un peu les intentions du gouvernement actuel, on pouvait s’attendre finalement à de tels «projets». Il y avait déjà des signes précurseurs comme celui  de limiter la vente de contraceptifs ou de permettre à un pharmacien de refuser leur vente. Il y a eu aussi un projet en rapport avec «la déclaration de foi» pour les médecins. En gros, même, si tu remplis toutes les conditions pour pouvoir avorter, un médecin peut quand même refuser de pratiquer l’acte si cela n’est pas en accord avec ses propres convictions et sa foi (drôle non?… )

[ALTER1FO] : Qu’avez vous ressenti face à cette situation ?

Maja : Je suis bouleversée et triste à la fois face à cette inconscience des certains Polonais…

Ola : Je me sens humiliée de voir qu’au 21ième siècle ce genre de discussion apparait encore dans mon pays. Je me sens humiliée de voir qu’il existe toujours des gens – le plus souvent des hommes et des prêtres – qui veulent décider à la place des femmes. Le niveau des débats est actuellement très bas. A  la télévision,  nous entendons que les femmes portent des vêtements noirs parce qu’elles sont fières de tuer leurs enfants. On peut entendre aussi que « le seul but de nos vie est d’avoir des enfants et qu’une grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste n’est pas possible parce que le corps d’une femme est mis sous une telle pression qu’il se bloque et que donc le problème n’existe pas ou n’arrive que très rarement… ».

Bérénika : Cela m’a fait perdre l’envie de revenir en Pologne et d’y vivre. Je ne veux pas habiter dans un pays où je n’ai pas le droit de disposer de mon propre corps. Même si le projet n’a pas été voté, ce projet reste tellement absurde que, comme je l’ai déjà dit, j’hallucine !!!

Anna : Le sujet est difficile. Je suis contre ce projet de loi parce que nous devrions avoir le droit de décider de notre propre vie. Je savais qu’un jour,  je tomberai enceinte. J’ai déjà deux enfants mais dans le cas où il y aurait eu de fortes chances que l’enfant naisse malade ou handicapé, j’aurais réfléchi à avorter.

[ALTER1FO] : Est-ce que l’avortement est un sujet tabou en Pologne ou est-il facile pour vous d’en parler avec vos ami-e-s, votre famille ?

Maja : Ce n’est pas un sujet tabou car l’avortement est pratiqué régulièrement en Pologne de façon illégale. Il suffit d’appeler les numéros de gynécologues choisis par hasard et leur demander s’ils pratiquent l’avortement.  Forcément, il y en a bien un qui dira oui (…et oui, c’est testé!). Par contre, je me rappelle que quand j’étais adolescente,  mes parents me disaient que si jamais je me trouvais en face de ce problème, ils m’apporteraient toujours le soutien nécessaire pour que je puisse accoucher et élever mon enfant. Ils m’ont donc plutôt encouragé à ne pas avorter même s’il ne sont pas d’accord avec ce projet de loi.

Ola : L’avortement n’est pas un sujet tabou en Pologne. Nous discutons de ce sujet très souvent au sein même de nos familles et avec nos ami-e-s. Comme je l’ai dit précédemment, seulement  6% des Polonais-e-s souhaitent complètement interdire l’avortement. A l’inverse, la grande majorité des femmes comptent sur la libéralisation de la loi facilitant ainsi l’avortement(1). Mais aujourd’hui,  je ne pense pas que cela soit possible dans mon pays…

Bérénika : Moi, mes ami-e-s, ma famille, nous parlons du sujet de l’avortement sans problème. Mais je sais que pour certain-e-s, ce n »est pas du tout aussi simple. Ce qui manque le plus en Pologne, c’est une éducation à la sexualité de bonne qualité et séparée de l’Église !!!

[ALTER1FO] : L’action du « lundi noir » et de la grève a été un franc succès. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ola : J’ai participé au « lundi noir » et c’est la première fois de ma vie que je voyais une telle solidarité entre les femmes polonaises ! J’avoue que j’ai eu peur que les femmes ne répondent pas massivement à l’appel des organisateurs. Heureusement, j’avais complétement tort !  Je suis fière de toutes les Polonaises (et des hommes aussi) qui sont venues aux manifestations. Nous étions  presque 100 000 dans 143 villes de Pologne. Nous avons démontré que nous n’acceptons plus de nous faire voler nos droits. Je pense que le gouvernement et les représentants de l’église en Pologne ont bien compris la leçon… Ils sont également conscients que les femmes constituent 52% de la société polonaise et qu’elles ont toujours le droit de vote.

Bérénika : Je n’ai pas pu participer à la grève mais j’ai vu des vidéos et des photos : les femmes polonaises ont montré leur force et j’adore ça ! Ce qui me plait beaucoup aussi c’est qu’il y avait des femmes des autres pays (France, Angleterre, Irlande) qui ont été solidaires avec nous (voir ici à Rennes, par exemple)

Anna : Il était important que les femmes polonaises manifestent et se rassemblent. Je pense que la « protestation noire » a montré toute la force des femmes polonaises.

[ALTER1FO] : Plus généralement et en quelques mots, quel état des lieux  faîtes-vous de l’égalité Femme-Homme en Pologne ?

Ola : Je pense que la situation n’est pas mauvaise. Les femmes travaillent, elles sont bien payées et très bien éduquées. La majorité des étudiants sont des femmes! Beaucoup de choses ont changé ces dernières années de manière plutôt positive. Il reste bien sûr toujours des choses à améliorer : égalité salariale, représentation au sein du parlement ou dans les directions des entreprises et certaines lois ne passent toujours pas (par exemple, l’avortement à la demande) mais la tendance est bonne.

Bérénika : Le gouvernement est dominé par les hommes et avec ce projet de loi, ils veulent encore une fois limiter les droits des femmes. Par contre, lorsque je travaillais en Pologne, je n’ai vu aucune situation où l’égalité homme-femme pouvait être corrompue.

[ALTER1FO] : Si la loi avait été adoptée, si l’avortement était purement interdit, quel regard porterais-tu sur ton pays ?

Maja : La honte.

 

(1) : D’après un sondage pour le quotidien Dziennik, seuls 23 % des Polonais soutiennent un durcissement de la législation actuelle, alors que 51 % de la population penche pour une plus grande libéralisation.

L’ensemble des illustrations proviennent du flux twitter : https://twitter.com/CzarnyProtest

capture

Pour aller plus loin :

Un jour, une photo, un son…

Pologne : un pas de plus vers la fin de l’Etat de droit ?

Quatre questions sur le projet d’interdiction de l’IVG en Pologne

Pologne : « Ici, c’est un parcours du combattant pour avorter »

capture

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires