Prise de risques pour l’association rennaise Kfuel qui organisait mardi 23 avril au Jardin Moderne, une ambitieuse soirée regroupant deux de nos locaux favoris : The Enchanted Wood et Mermonte, mais surtout le retour des classieux vétérans d’And Also The Trees. Pari doublement réussi, avec un public ayant répondu nombreux et surtout trois concerts aux styles différents mais tutoyant tous allègrement les cieux.

Après Musiq’ Alambic, Roulements de Tambour et notre soirée Alter1fo, le Jardin Moderne est en train de devenir notre seconde maison. Dès l’arrivée rue du manoir de Servigné, nous sentons une tension inhabituelle. Nous percevons que la peur du bouillon financier est encore loin d’être dissipée, même si la familière caravane-billetterie est le lieu de tractation serrée pour la distribution des ultimes précieux sésames. Le suspense ne durera pas longtemps puisqu’à peine un quart d’heure après l’ouverture du guichet, la soirée affiche complet. C’est déjà une très belle réussite pour une date située en semaine et en plein cœur des vacances de Pâques.

C’est The Enchanted Wood, le protéiforme projet de Michel Le Faou qui ouvre la soirée. Il s’incarne ce soir sous la forme d’un quatuor, avec en classieux renfort les trois membres des excellents Fat Supper. Michel Le Faou amène bien sûr sa voix profonde et spectrale, son jeu de guitare tout en ambiance, et son theremin. Il est donc accompagné de Léo Prud’homme au clavier (et à la scie musicale !), d’André Rubeillon à la basse et de l’omniprésent Pierre Marolleau à la batterie. Les gars sont visiblement en forme et l’on retrouve, avec une énergie un poil plus rock, les ambiances profondes et légèrement angoissantes du magnifique Monster Parade, second album du monsieur. Sa dark-folk déploie son atmosphère ténébreuse avec une élégance et une présence scénique assez impressionnante. La salle tombe rapidement sous le charme vénéneux et quand le concert s’achève sur le très beau « memories» suivi de l’impeccable doublé « Death to my neighbour » / « The Phantom Creeps », on regrette volontiers d’avoir eu à nous contenter d’une simple dizaine de morceaux.

C’est ensuite l’heure du gros morceau de la soirée : le retour du mythique combo du Worcestershire des 80’s, And Also The Trees. Cela faisait plusieurs décennies que le groupe n’était pas venu dans le coin et l’attente est à son comble. Un public de fans fervents a fait le déplacement, complété par des curieux avides de découvrir le groupe et une poignée de gamins attentifs sortis des valises des Mermonte. L’affaire va vite être réglée. On comprend rapidement que ces gens-là font bien partie des grands. Le plus évident au premier coup d’œil, c’est le chanteur Simon Huw. Avec sa longue silhouette de dandy et sa voix envoûtante, le bonhomme impose sa présence d’emblée. Pourtant le gars ne force le trait à aucun moment. Si sa gestuelle est volontiers grandiloquente, il utilise pourtant son chant avec subtilité et une retenue étonnante qui achèvent de conférer au monsieur une classe incroyable. Le reste de l’équipe n’est pas moins impressionnant. Le jeu de guitare puissant, mais tout en finesse, de Justin Jones est un véritable régal. Là aussi ça ne rigole pas, l’implication est totale, les regards de tueur que décoche parfois le monsieur, le montrent clairement. Le très élégant bassiste n’hésite pas non plus à donner de sa personne et se flingue les doigts lors de son premier morceau à la contrebasse électrique. Et que dire du jeu chaloupé du batteur, tanguant dangereusement sur son siège tout en gardant une précision redoutable. Le stoïcisme très british de la clavier apporte définitivement une classe et une élégance sortant largement du lot. La musique du quintet n’est pas ostentatoire pour un sou, mais conserve une intensité et une émotion rare. La fureur contenue de leur compositions se pare parfois de petites touches jazzy qui leur vont comme un gant. Un set généreux où sur une bonne quinzaine de titres, tout le monde donne sans compter. On est sur un nuage de bout en bout. Les fans ayant scruté avec attention les très jolies playlists manuscrites du groupe seront un peu frustrés par un rappel légèrement tronqué à cause de soucis techniques. Après une telle prestation, difficile d’en vouloir au groupe et puis il y aura tout de même un magnifique « Virus Meadow » pour mettre tout le monde aux anges.

Quand on pense que le groupe souhaitait depuis longtemps venir dans le coin et qu’il ne trouvait personne pour leur organiser une date ! Merci mille fois à l’association Kfuel d’avoir permis ça possible.

Comble du bonheur, vous pouvez voir ou revoir l’intégralité du set, filmé par les bons soins d’Appolosmouse.

C’est donc Mermonte qui vient conclure la soirée. Connaissant les zigues, on n’a aucun doute sur le fait qu’ils seront à la hauteur de l’enjeu. Par contre, on se demande encore comment ils arrivent à tenir tous sur la modeste scène du Jardin. Surtout qu’ils jouent désormais à 11 avec le recrutement de la chanteuse de Bumpkin Island.
Comme va nous l’expliquer un étonnamment disert Ghislain Fracapane ce concert a une saveur particulière. Il vient célébrer le premier anniversaire de la formation. En se remémorant leur premier concert sur cette même scène en avril 2012, et déjà pour l’association Kfuel, on mesure le très beau chemin parcouru. Ils y ont croisé la reconnaissance avec le tremplin des Jeunes Charrues, le concours Inrocks Labs et le passage aux Trans, mais l’équipe a surtout l’air ravi d’avoir fait le voyage ensemble. Retour aux sources donc, et l’on retrouve avec un plaisir intact la générosité et la complicité qui donnent à leur pop orchestrale, tortueuse mais jamais pédante, une luminosité si solaire. Des titres comme Oups, Monte ou David le merle continuent de nous coller un sourire béat. Dans les évolutions notables, on remarque une place plus présente du chant qui, même s’il reste encore utilisé en retrait sur les instruments, a pris une ampleur tout à fait plaisante. Pas de gâteau pour ce bel anniversaire, mais quatre nouveaux morceaux qui nous rendent encore plus impatients d’écouter le prochain 45t du groupe, et surtout un beau cadeau pour le petit Antoine. Le petit bonhomme (fils du batteur de Fago.Sépia d’après nos antennes espionnes) fera son premier concert en troisième batteur du groupe sur le dernier titre du concert. Une conclusion très touchante pour une soirée parfaite de bout en bout.

La vidéo de toute cette beauté avec, hélas, le final en moins à cause d’une #$@& de batterie.

Encore une magnifique soirée à l’actif de l’association Kfuel. On ne peut donc que les remercier une fois de plus, de nous faire partager aussi généreusement leur amour de groupes sortant des sentiers battus mais ayant en commun une passion et une sincérité qui les font sortir du lot. Vivement le prochain.