Dans le cadre de l’Instant Thé, concert dominical à l’Antipode MJC pour petits et grands, Matt Elliott nous a rendu visite et on a pris le goûter ensemble, dans sa loge. Mieux connu sous le nom de Third Eye Foundation en référence aux nineties drum n’bass électro qui éclaira toute une génération, le musicien de dark folk anglais s’est dévoilé en amont des douceurs musicales et sucrées du set prometteur d’un après-gris grisounet. Dring, l’heure du thé a sonné et le Français de cœur, nancéien d’adoption depuis quelques années, nous fait des confidences entre autres sur les raisons de son succès en France, sa vision désillusionnée de la politique, l’importance salvatrice de sa musique et son évolution à travers le temps. Dix ans après le disque folk intimiste « The Mess We Made », Elliott s’est remis à gratter les cordes enchanteresses en compagnie de Jeffrey Hallam (contrebasse), David Chalmin (guitare électrique, claviers et bandes magnétiques) et Raphaël Séguinier (batterie et percussions) pour nous conter une histoire, si ce n’est moins pessimiste, qui laisse entrevoir un espoir de lueur prochaine. La récréation s’achève par les collaborations sur les visuels et l’annonce de nouveaux projets. Maintenant, place au spectacle !
Alter1fo : Vous tendez à connaître une notoriété plus importante ici que dans votre pays d’origine, comment l’expliquez-vous ?
Matt Elliott : A cause de ma pauvre musique pas du tout commerciale, et dont tout le monde se fiche, je suis presque un inconnu en Angleterre. A Nancy, là où j’habite, on me connaît surtout comme l’anglais fou qui fait du vélo et qui crie. Je ne suis pas connu en tant que musicien. Lors d’une rencontre, il est probable que la personne me dise « je t’ai vu à vélo, tu criais sur quelqu’un ! » ou quelque chose dans le genre.
Votre trilogie de « Songs », « Drinking », « Failing » et « Howling » ont eu pour effet de montrer tout le mépris que vous affichiez envers la politique en Angleterre. Que pensez-vous de celle qui régit la France actuellement ?
Matt Elliott : Ici, en France, c’est évident que je préfère le gouvernement soi-disant socialiste qu’on a aujourd’hui. Mais ce n’est pas du vrai socialisme, et c’était la même chose avec le gouvernement de Tony Blair ou Zapatero en Espagne. Et en gros, ces gouvernements ont été pensés pour détruire complètement le socialisme. Je ne suis pas socialiste moi-même, je suis anarchiste, mais tant qu’on parle de système politique, je préfère qu’il soit social, pour plus d’équité. Mais récemment, avec les révélations de l’affaire Snowden, on a appris qu’on se faisait espionner de partout par le gouvernement, alors… Un jour, quelqu’un m’a dit : « tu te rends compte que les gens engagés dans la politique n’écoutent pas de musique engagée, ils écoutent de la rave music, et ça les fait danser » C’est vrai, je peux en attester car j’ai moi-même été à un moment de ma vie plus engagé politiquement.
Je vais faire un aparté, mais il s’agit de ce genre de truc qui me donne envie de tout exploser… J’ai commandé un vélo aux États-Unis. Au final, je me suis fait voler les pédales, et la douane m’a demandé 48 euros pour régler cette fichue affaire ! Ce genre d’emmerde me fout en rogne. C’est le genre de truc qui me met en colère et je me demande vraiment pourquoi les gens ne manifestent pas leur colère en général, ces gens qui ont un vrai métier, qui prennent le métro tous les matins, à la même heure, et qui doivent passer leur journée à se démerder.
Quand on écoute vos morceaux, on se rend compte qu’ils sont emprunts d’un certain désespoir, d’une haine silencieuse ou plutôt d’une tristesse sans issue… Pensez-vous que votre statut et votre musique puisse changer les choses ?
Matt Elliott : J’ai beaucoup de chance dans ma vie, dans le sens où mon travail implique de voyager beaucoup. Je ne vis pas vraiment dans la réalité, je veux dire… Si, il s’agit de ma réalité, mais ce n’est pas LA réalité du monde dans lequel la plupart des gens vivent. Par contre, parmi tous les gens que je connais, j’ai l’impression d’être le plus vénère d’entre eux, et je ne sais pas pour quelle raison.
En gros, je taffe pour la SNCF, quoi, pour je ne sais quel con qui possède les voies de chemin de fer, parce que je leur paie des fortunes. L’autoroute se fait plus de thunes que moi avec tout mon travail. Et toutes les grosses firmes pétrolières, parmi les trois plus importantes, elles se font toutes plus d’argent que moi sur cette tournée. Et c’est comme ça que ça se passe aujourd’hui, tout le monde travaille au service de ces grandes entreprises… C’est plutôt triste et déprimant.
La musique prend une part très importante dans ma vie, bien évidemment, et elle a même été comme une amie pour moi. Dans mes moments de déprime, de désespoir, ou de solitude, elle a toujours été là pour m’aider en quelque sorte. Et donc ma musique c’est comme une tentative de juste retour, en souvenirs des moments seul et déprimé… Ou le fait que nous allons tous mourir un jour qui nous fait peur aussi. Ce qui est normal et tragique à la fois. De toute façon, je ne peux pas composer quelque chose de joyeux, même si je m’y efforçais…
Pourquoi ce passage progressif de la drum n’ bass à la dark folk ? Etait-ce l’expression d’un besoin particulier chez vous ?
Matt Elliott : En repensant aux premières démos que j’ai enregistrées, chez moi, quand j’étais plus ou moins sans emploi, donnant des coups de main chez le disquaire, ces premières cassettes n’étaient pas tout à fait folk, mais ce n’était pas très éloigné de ce que je fais aujourd’hui. Après j’ai commencé à faire de l’electronica. En gros, quand j’étais jeune et que je devais chanter, ça me rendait nerveux, et donc je me suis mis à faire de l’electro parce que c’est un moyen de dissimuler ses sentiments, etc., derrière un mur de bruits, et de percus, et tout… Et avec le temps, j’y ai trouvé de moins en moins de satisfaction en terme d’expression. Et j’en ai eu marre de faire de la programmation, de faire face à des ordinateurs. Au même moment, quelqu’un m’a offert une guitare classique, et je me suis rendue compte qu’en fait je pouvais en jouer et qu’il fallait que je passe du temps à apprendre à maîtriser l’instrument comme il faut. Les gens avant, me disaient, « ah, tu es musicien, tu joues de quel instrument ? » Ce n’est pas pareil de parler console plutôt que de guitare !
La première fois que je suis arrivé en France pour y vivre, j’ai emménagé en campagne. Je menais une vie de bohémien : moi et ma guitare. C’est ainsi que j’ai acquis la technique qui est mienne aujourd’hui. Ça m’a fait l’effet d’une thérapie…
Parlez-nous de votre affiliation avec le label nancéien Ici D’Ailleurs. Comment ça s’est fait ?
Matt Elliott : Ça fait longtemps que je travaille avec le label Ici D’Ailleurs. La première collaboration s’est faite dans le cadre du remix de La Dispute de Yann Tiersen, et ça devait être en 1998 à peu près. Et c’est peut-être aussi grâce à ça que la France m’a mieux accepté qu’ailleurs. Mon ami Stef est un de mes premiers fans, et il m’a contacté. Voilà comment ça a commencé. A l’origine, l’album The Mess We Made aurait dû sortir sur Ici D’Ailleurs mais il est sorti sur Domino Records, la maison de disques avec laquelle je bossais avant. Pour la suite, Domino a signé Franz Ferdinand et ils ont dépensé littéralement tout leur budget sur ce groupe. Il n’y avait plus d’argent pour moi, pour sortir l’album Drinking Songs à l’époque. C’est là que je suis rentré en contact avec Stéphane d’Ici D’Ailleurs, qui m’a répondu qu’ils le feraient sans problème et à ma façon. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble et c’est toujours comme cela que ça se déroule. Ma licence artistique est absolue, et c’est un vrai besoin pour moi, parce que je ne supporte pas qu’on me dise ce que je dois faire. Je ne veux pas que les gens fassent le travail à ma place.
Aujourd’hui, vous êtes en tournée pour présenter votre nouvel opus, Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart sorti le 28 octobre dernier. Comment cet album aux teintes musicales moins oppressantes a pu naître à la suite de l’infiniment ténébreux The Broken Man ?
Matt Elliott : L’album The Broken Man est sans doute sorti à la pire période de ma vie, c’était vraiment la merde. Au début de l’enregistrement, tu te fais une idée de l’album, mais à la fin il en va différemment. Quand on a enregistré The Broken Man au début, ça me faisait un peu penser à un disque pop. On l’a mixé chez Yann. Il y avait tous ses musiciens. On a tous écouté l’album, tous réunis et je me suis rendu compte que… Wah, putain, en fait, il est plutôt sombre cet album… et c’est vrai il l’est. Et c’est pour ça qu’il me plaît. C’est peut-être mon disque préféré. Ça m’a fait réaliser que je devais couper court, et qu’il était impossible que je fasse plus sombre que ça là… Arrivé à un certain âge, tu te rends compte que tu passes des étapes, et ce nouvel album Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart, le titre même, c’est de l’ironie. Et c’est parfois avec ironie que l’on arrive à gérer des situations, en riant, en s’en moquant… Bon, quand même, les paroles de ce dernier album sont finalement plutôt amères, plus que celles du Broken Man, mais musicalement, l’instrumentation voile un peu cette tonalité.
En s’attardant sur vos pochettes d’album et vos clips dont le nouveau single You Reap What You Sow en stop motion, il semble évident que l’empreinte visuelle occupe une place particulière en parallèle à votre musique…
Matt Elliott : Je laisse toujours les artistes qui s’occupent de mes visuels complètement libres… Uncle Vania a réalisé toutes mes pochettes, excepté celle de l’album The Mess We Made, et on a travaillé ensemble depuis 1998. C’est lui que je préfère, c’est un génie, mais il est trop occupé en ce moment pour pouvoir faire des visuels d’album. C’est d’ailleurs pourquoi il n’a pas fait le dernier album. Mais il a également glissé qu’il serait pas mal de changer un peu, ce avec quoi Stef et moi sommes d’accord. On a pensé que ce serait bien de faire quelque chose de totalement différent, comme je voulais poser une barrière entre cet album et ceux d’avant. Mais j’ai eu cette chance de travailler avec lui.
C’est Marie Claudel qui a réalisé les photos pour le nouvel album. Ce ne sont pas des photos prises exprès pour l’occasion. Elle les réalise en mode loisir, ce n’est pas son métier. Mais un jour, j’ai vu ses photos via un ami en commun. J’ai adoré ses clichés au premier regard et c’est resté dans un coin de ma tête…
Marina Sabio a réalisé les deux derniers clips sortis, et oui son truc, c’est ça, le stop motion. Pour le dernier single, je ne voulais rien savoir du début à la fin. Pour être honnête, je ne suis pas fan des clips, j’en fais parce que ça plaît aux gens et à la maison de disques. J’aime beaucoup le travail de Marina, je pense qu’elle va réussir à faire quelque chose de grand.
Il y aussi le travail d’un gars qui s’appelle Virgil Pink, il a sorti une vidéo mais je ne sais pas comment il s’y est pris, d’où il tient ses images et tout, il a fait cette vidéo pour un titre du nouvel album, I Would Have Woken You With A Song.
Après votre tournée de concerts, comment envisagez-vous la suite ?
Matt Elliott : Je me projette toujours vers le prochain album. J’ai commencé à travailler dessus. C’est le but ultime, et ça l’a toujours été, de passer d’un projet abouti à l’autre. Il y aura peut-être un nouvel opus avec Third Eye Foundation. J’ai commencé à en semer quelques graines dans mon esprit. Parce qu’en fait quelque chose me manque, j’aime la musique électronique, et j’avais l’impression que c’était devenu ennuyeux, mais à présent, ça commence à redevenir intéressant. Il y a des bons trucs, comme Flying Lotus… J’aime le fait que les pulsations ne soient plus étriquées. C’est mieux de ne pas quantifier et de laisser un peu de mou…
Je ne fais plus vraiment de la dance music, je ne me sens plus vraiment dans le coup. Mais ça se pourrait que j’y revienne. Mais pour l’instant, l’important c’est le prochain album, parce que les deux premiers morceaux sont écrits, elles ont toutes les deux quelque chose d’épique.
Voilà, en fait, je veux continuer à faire ce métier, tout simplement.