Cette année, le thème de la journée mondiale de l’eau s’intéresse à l’eau dans l’urbanisation galopante dans les pays en voie de développement.
Vers un monde d’urbains?
La forte croissance démographique des pays en voie de développement pose des enjeux spatiaux qui se traduisent surtout par un fort taux d’urbanisation. En 1950, il y avait seulement 29% d’urbains dans le monde, contre 41% en 1985. Ce chiffre a finalement franchi la barrière et est passé à 51% d’urbains en 2010, alors qu’on prévoit 60% en 2030. Cette urbanisation reste cependant inégalement répartie, puisque 95% de la croissance urbaine est concentrée dans les pays en développement. En tout, la population urbaine mondiale devrait passer de 1 milliard en 1970 à 4,5 milliards en 2020, notamment, en Amérique Latine, en Asie et en Afrique. Selon l’ONU, en 2015, 10 des 12 premières métropoles mondiales seront des villes des pays en développement comme par exemple Bombay, Sao Paulo, Mexico, Lagos, Calcutta ou encore Djakarta. Mais cette croissance urbaine ne s’accompagne pas de mesures en adéquation avec les besoins de la population urbaine. L’eau urbaine doit alors faire face à plusieurs défis. Du coté de l’offre, d’abord, avec des réseaux inachevés ou de mauvaise qualité, mais aussi une fragilité institutionnelle et un manque de financement. Du coté de la demande, ensuite, avec une très forte croissance démographique, des inégalités socio-économiques mais aussi spatiales, la pauvreté et l’informalité.
Ville et bidon-ville : être branché… ou pas.
On compte en tout 3 milliards d’individus n’ayant pas accès à l’eau. S’il est possible de fixer un prix de l’eau pour ceux qui sont connectés au service urbain en fonction d’un coût évaluable, il n’en est pas de même pour les « non-branchés ». La question du prix payé par les 3 milliards d’individus n’ayant pas accès au service urbain reste la plus sensible puisque ces derniers payent l’eau dix fois plus chère en moyenne. Le problème de connexion au réseau est lié, entre autres, au caractère informel de certains quartiers. L’illégalité foncière et la rapidité de peuplement sont un frein à la connexion de ces quartiers au réseau, or 827 millions d’habitants sur 7 milliards vivent encore dans des quartiers informels. Selon ONU-Habitat, ce chiffre devrait atteindre les 889 millions d’ici 2020.
L’Objectif du Millénaire pour le Développement de l’eau : un manque d’ambition?
L’eau est un des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement et prévoit de réduire de moitié la population n’ayant pas accès à l’eau d’ici 2015. Ces objectifs consistent surtout à un droit à l’eau, à savoir « (…) un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun » (Observation générale n° 15 des Nations unies (2002) : Le droit à l’eau). Le problème est que « l’objectif eau » n’a pas été très ambitieux et ne correspond pas aux besoins des populations en matière de qualité de l’eau.
Eau source de vie, ou eau source de mort?
» Nous ne vaincrons ni le SIDA, ni la tuberculose, ni le paludisme, ni aucune autre maladie infectieuse qui frappe les pays en développement, avant d’avoir gagné le combat de l’eau potable, de l’assainissement et des soins de santé de base. »
La déclaration de Kofi Annan reflète un des multiples enjeux du secteur de l’eau, et surtout de l’assainissement. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 80% des maladies et décès dans les Pays en développement sont dues aux maladies hydriques causées par l’eau contaminée. Or c’est un impact qu’il est impossible de mesurer par compteur. Si l’objectif de l’accès à l’eau devrait être atteint d’ici 2015, celui de l’assainissement devrait être atteint en 2076 si l’on se base sur les tendances actuelles. En Afrique Sub-saharienne, les dépenses publiques de l’assainissement sont inférieures à 0,5% du PIB, 5 à 10 fois moins que l’armement, pour un taux de couverture du réseau d’assainissement qui couvre à peine 36% alors que deux tiers des pays sub-sahariens n’ont pas de cadre national d’assainissement.
Des politiques qui suivent les tendances internationales.
Pointé du doigt par le privé, le monopole public a atteint ses limites dans les années 80, avec des sous-investissements chroniques ou encore des inégalités socio-spatiales. Les politiques néolibérales ont donc pris place sur le marché depuis plus de 20 ans, encouragées par les Institutions Financières Internationales (type Banque Mondiale ou FMI). Mais la délégation aux firmes internationales, telles que Suez ou Veolia, a rapidement montré elle-même ses défauts, comme une régulation insuffisante ou une mauvaise répartition des risques. Ces différentes limites ont en tous les cas montré la nécessité d’adapter les réformes à l’environnement macroéconomique et social, sous peine de se frotter à une crise comme Suez à Buenos Aires en Argentine ou à La Paz-El Alto en Bolivie. Toute la difficulté est de prendre en compte une logique de performance économique et d’efficacité du service, et une logique d’équité sociale et territoriale, voir de solidarité. D’autres solutions sont envisagées aujourd’hui, de la municipalisation de la gestion de l’eau à l’engouement pour le « Partenaire Publique-Publique », ou encore l’association entre les ONG et la société civile pour une gouvernance plus locale.
La guerre de l’or bleu aura bien lieu.
Les écueils des expériences précédentes rappellent l’importance du système de croyances et des structures sociétales pour légitimer un système de gestion. S’il n’existe pas de « bonne pratique », il est possible de façonner des solutions respectueuses des enjeux inhérents à l’eau. L’eau reste un élément culturel et stratégique qu’il convient de manipuler avec précaution, elle représente un enjeu de taille, notamment dans le Moyen-Orient et dans la région du Nil. Une majorité des pays d’Afrique ont un nom qui se rapporte à l’eau (comme le Congo, la Haute-Volta, ou encore le Sénégal pour ne citer qu’eux). De nombreux fleuves jouent un grand rôle dans les relations transfrontalières en Afrique et n’ont pas de gestion intégrée, faisant émerger un autre sujet sensible à savoir les relations entre les populations d’amont et les populations d’aval.
Et la Bretagne dans tout ça?
La Bretagne reste une bonne élève en matière de coopération décentralisée (c’est-à-dire toute relation de jumelage ou de partenariat entre les collectivités locales de différents pays dont l’objet est principalement l’aide au développement). Comme chaque année, Action contre la faim soutient la Journée mondiale de l’eau et organise des activités de sensibilisation. Samedi 19 mars, l’organisation avait planté 200 pailles géantes dans les égouts de plusieurs villes de France, dont Rennes. Pour cette semaine consacrée à l’eau, l’association de solidarité internationale Eau Vive et la Fédération Française de randonnée Pedestre se sont associées pour organiser douze randonnées solidaires du 20 au 27 mars en Ille-et-Vilaine. Afin d’avoir un petit aperçu des 6km que les populations non raccordées doivent parcourir en moyenne pour aller chercher de l’eau, 500 randonneurs marcheront par solidarité à St Malo, dans la baie du mont st Michel, à Goven, Amanlis, Le Thei de Bretagne, mais aussi à Rennes. Pourquoi? Pour sensibiliser la population sur les enjeux de l’eau et de l’assainissement. Les randonneurs pourront s’impliquer dans un projet concret et favoriser une réalisation locale en collectant des fonds pour le projet d’une adduction d’eau dans le village de Netteboulou au Sénégal, les kilomètres parcourus étant moyennés auprès des sponsors. Une expédition est d’ores et déjà organisée par le club « Marche Nordique d’Émeraude » le 23 mars à St Malo, avec un relais sur la plage de Sillon de 13h30 à 17h. Au choix, des randonnées de 6 km, 9km ou 12km pour les plus courageux. La randonnée du 27 mars sera organisée à Rennes le long de la Vilaine, à partir de 14h place du Parlement pour un périple de 5 km ou 10 km aller-retour.
Pour en savoir plus…
A voir :
- The Water diary de Jane Campion,
- Même la pluie d’Iciar Bollain,
- Water Makes Money de Leslie Franke et Herdolor Lorenz.
A lire :
- « Les multinationales et les marchés du Sud : pourquoi Suez a-t-elle quitté Buenos Aires et La Paz? » http://www.gret.org/ressource/pdf/08160.pdf
- « Eau des villes : repenser un service en mutation », Dossier de la revue tiers monde, juillet-septembre 2010, n°204.
- Page des Nations Unies sur la Journée Mondiale de l’eau : http://www.unwater.org/worldwaterday/index_fr.html
A faire :
- Forum Défis-SUD sur l’accès à l’eau à l’eau et l’assainissement, traitement des déchets dans les villes en développement à Paris Le 25 et 26 mars. http://www.defis-sud.org/
- Randonnée le 23 mars à St Malo.
- Randonnée le 27 mars à Rennes.
En parlant d’eau d’une manière un peu plus nombriliste puisque c’est à Rennes que ça se passe, il serait intéressant que la municipalité ouvre un véritable débat sur la possibilité d’un retour en régie publique de la gestion de l’eau sur Rennes. La main-mise de Véolia dans une municipalité de gauche (???) est vraiment étonnante. Alors qu’un nombre impressionnant de villes (en France dont Paris, Toulouse, Grenoble, et dans le monde, Berlin, le Cap) reviennent à la régie publique, Rennes ne bouge pas. Alors que financièrement et au niveau de la santé des consommateur parfois, la régie semble être le meilleur dispositif…
A voir sur ce sujet l’excellent documentaire diffusé par ARTE hier soir « Water makes money » :
http://videos.arte.tv/fr/videos/water_makes_money-3775756.html
Y’a tellement choses à dire sur l’eau, et notamment en France t’as raison. Après je me suis pas trop penchée sur Rennes, j’étais plutôt branchée à l’international. Je sais pas si tu connais, mais j’ai trouvé ça instructif :
http://www.eauxglacees.com/AUDIO-Le-role-des-multinationales
Merci pour cet article très bien écrit !