BD en juillet : toi, toi et moi

rdvmrB7

On commence avec Jeanine où le tout jeune Matthias Picard met tout simplement en images ses entretiens avec sa voisine. Il faut dire que la dame en a des choses à raconter. Le récit s’ouvre sur une scène très forte racontant comment, de placeuse dans un cinéma, elle devient prostituée.

jeanine

Le récit s’articule ensuite entre des représentations des discussions de l’auteur avec cette formidable petite dame et des épisodes clés de sa vie mouvementée. On découvre d’abord, sa naissance mouvementée dans une barque, son enfance difficile en Algérie, son goût de la natation qui lui permettra de sauver une vie. Il y a aussi un passage très puissant où, lors d’une manifestation pour l’indépendance qui tourne mal, elle se couche sur des enfants pour les protéger des balles. Suivront ensuite ses expériences successives et peu ragoûtantes des hommes, son passage en prison et enfin les aléas du métier du métier le plus vieux du monde.
Ce qui est très fort dans ce livre, c’est que même si Jeannine est un personnage hors du commun ayant surement vécu des choses incroyables, on a quand même rapidement des doutes sur qu’elle raconte. Jeanine oublie, s’emmêle, se contredit, sauve un peu trop de gens pour qu’on y croit vraiment. Matthias Picard semble bien s’en rendre compte, mais n’exprime ses doutes que de manière très subtiles et, au final, laisse le lecteur décider de ce qu’il veut croire ou pas. Surtout que cela n’enlève en rien à la force du livre. Les petits embellissements de Jeannine ne font que la rendre encore plus touchante et attachante.
Le dessin est lui aussi une vraie réussite. Ce noir et blanc à l’encrage assez «dur» reflète bien la gravité de certaines situations évoquées. Pourtant, c’est plutôt une une grande tendresse qui se dégage de l’ensemble.
Une très belle première BD donc, avec une maitrise narrative déjà très impressionnante.

Chez l’Association, mars 2011, 100 pages, 18 €

lhistoiresecretedugeantLe second personnage de cette petite sélection est fictionnel. Dans L’histoire secrète du géant, Matt Kindt dresse le portrait d’un être littéralement extraordinaire. Dès son plus jeune âge, Craig Pressgang dépasse ses camarades de plusieurs têtes. Il ne cessera ensuite de grandir jusqu’à atteindre une taille irréelle. Pour dépeindre un être aussi fantastique, Kindt utilise une astuce narrative fonctionnant parfaitement. Il sera évoqué en trois chapitres, ayant chacun pour personnage central lune des femmes de la vie de cet homme. C’est donc, tour à tour : sa mère, sa femme et enfin, sa fille, qui apparaitront dans l’ouvrage. En mélangeant savamment, faits historiques et drame intime, Matt Kindt construit une sorte de fable étrange et mélancolique qui sera autant le portrait de ces trois femmes que celui du géant.
Visuellement, c’est également un bonheur. Les élégants et sensibles dessins de Kindt sont parfaitement mis en valeur par une mise en couleur en lavis très originale. Comme dans son somptueux Superspy on retrouve les jeux de couleur, de texture du papier et le découpage sophistiqué qui mêle gracieusement différents styles graphiques.
Enfin, malgré une couverture un peu moins réussie que celle de la version originale, l’ouvrage est également une belle réussite formelle. Ce joli petit format trapu aura fier allure sur votre serviette de plage. Comme ça vous pourrez discrètement verser votre larme bien à l’abri derrière vos lunettes de soleil.

Chez Futuropolis, mai 2011, 192 pages, 24 €


monstersOn termine avec le plus difficile à vendre du lot. Monsters de l’américain Ken Dahl (de son vrai nom Gabby Shultz) est l’histoire autobiographique d’un type qui découvre qu’il a de l’herpès et qu’il l’a refilé à sa copine.
Sexy, non ?
Même si c’est le genre de BD un peu difficile à afficher au bord de la piscine avec ses jolis dessins pleine page de bistouque boutonneuse, ce n’en est pas moins une diablement bonne BD. D’abord parce que les dessins sont incroyables. L’auteur passe d’un style à l’autre avec un aisance folle. Cartoon trash, métaphores visuelles virtuoses et hilarantes, photo-réalisme peu ragoûtant… tout y passe avec un rythme fou et un à propos constant. En plus de cette virtuosité graphique, le bonhomme a le chic pour conserver tout au long de son récit un équilibre spectaculaire entre scènes dramatiques, et drôlerie ravageuse. Les abimes d’auto-apitoiement et de culpabilité de l’auteur sont largement contrebalancés par une auto-dérision salvatrice et un art savoureux du contrepied. Parce qu’il faut le redire : c’est un livre aussi touchant qu’hilarant. Le douloureux apprentissage du héros sera donc autant pavé de lâchetés banales et terrifiantes que de colères aussi saines que poilantes.
Pour couronner le tout, Dahl rajoute aussi une large dose de didactisme et, sans jamais alourdir son propos, remets avec franchise et malice les points sur les I sur une maladie dont les représentations sont largement faussées par le malaise qu’elle suscite.
Une BD qui vous en mettra plein les yeux, vous fera éclater de rire puis vous mettra la larme à l’œil, tout en vous faisant vous coucher un peu moins bête, ça ne se refuse pas.

Chez l’employé du moi, septembre 2010, 100 pages, 18 €

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires