Grand soleil en cette fin d’après-midi du jeudi 06 avril à Rennes : les terrasses sont de sortie, les gens sourient. Une petite poignée d’entre nous se dirigent pourtant vers l’intimiste Théâtre de la Parcheminerie pour s’enfermer dans les noirceurs de Sandre, une proposition du collectif Denisyak dans le cadre du Festival Mythos. Sandre ne nous laissera pas sortir indemnes…
Assister à ce spectacle, c’est accepter de s’enfoncer dans les méandres de l’âme humaine, entre lumière et noirceur. La scène est plongée dans une atmosphère sombre, seule une lumière blafarde éclaire la plateforme centrale. Sur celle-ci, un fauteuil cabriolet style Louis XV trône, avec toutefois un détail plutôt étrange : des clous sortent de l’assise et pointent vers le sol. Et inversement. A la droite du fauteuil, un lampadaire-guéridon old school qui éclaire de façon minimaliste. Une musique inquiétante et lancinante se fait entendre, doucement d’abord puis de plus en plus insidueusement. L’ambiance est posée. On sent imperceptiblement que le propos ne sera pas joyeux…
Et l’on entre dans l’intimité de cette femme, qui, par amour, va commettre l’irréparable. Un amour qui se désagrège, dont elle évoque petit à petit les dysfonctionnements. Alors, on rit au départ de ces décalages : lui offrir des fleurs pour la ST Valentin ? non, il n’en a jamais eu l’idée. Mais à quoi bon, avec toutes les fleurs qu’on a dans le jardin. Et au fur et à mesure, le public se tait, ne rit plus, esquisse à peine un sourire, jusqu’à ne plus rien exprimer. Car ces détails sont terriblement violents, ils sont ceux d’une femme qui regrette mais excuse tout, qui souffre mais continue à sourire. Cette Bree Van de Kemp parfaite révèle ses faiblesses : elle qui cuisine tous les plats sans sourciller, notamment la tarte Tatin, la préférée de son mari, ne se sent plus seulement qu’une tarte renversée.
Les mots sont cruels à son encontre, encore plus parce que c’est elle qui les formule : ses cheveux deviennent crinière, puis crin, puis cravache. On reste abasourdis par ces petits riens, ces mots qui dérivent et qui feront tout au final. Ce mari qui ne l’aime plus et lui préfère une autre femme va la mener à commettre l’irréparable, à devenir une mère meurtrière : « Tu me reprends l’amour, je reprends la chair de ma chair ».
Et c’est avec un calme inquiétant qu’elle narre cette journée où tout va basculer. Comme un déni de vie, où le liquide amniotique finit au fond d’un seau, balayé par les franges du balai de Bree Van de Kemp. Celle qui se déchire en deux refuse d’accepter qu’on fasse des enfants à une femme que l’on n’aime pas. Elle a tué quelqu’un mais elle n’est pas folle, diront les psychiatres. Elle est normale donc, et elle préparera du cabillaud à l’oseille pour toute la famille le soir-même…
Sandre est une tragédie. Un texte fort et percutant qui ne laisse personne indemne. On ne lira plus jamais les faits divers traitant d’infanticides de la même façon…
Le comédien Erwan Daouphars incarne sans accroc cette femme fragile qui a commis l’irréparable. Il est doux et sévère, attentionné et impitoyable. Son jeu est troublant, on oublie que c’est un homme qui joue le rôle d’une femme ; on saisit – sans pour autant comprendre – ces petits riens qui s’accumulent jusqu’à ce point de bascule ; on est bluffé par ce monstre de normalité.
Un jeu porté par un travail sur les lumières absolument saisissant. Yannick Anché, le créateur Lumières, a fait un travail remarquable : blafarde, dégradée, latérale et jouant sur l’ombre d’une silhouette enfin debout, minimaliste, blanche puis jaune : la lumière joue avec l’intimité tragique de cette femme fragile. Plus rien n’existe hormis ce fauteuil et Il/Elle. La musique vient compléter cette ambiance oppressante. Tout se ferme, tout se bloque, tout s’arrête ; il n’y a plus que ces mots, ces phrases racontant l’amour et la mort.
On respire à nouveau quand tout s’arrête. On sort silencieux et secoués par ce spectacle. Un coup de poing programmé par le festival Mythos, que l’on remercie pour ce choix audacieux. Un travail admirable du collectif Denisyak, à voir de toute urgence si vous en avez l’occasion.
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