Une lumière bleue blafarde. Des coups de feux et un bruit-sourd, continuel et obsédant en bande-son. Une jeune fille en robe blanche de poupée fait des allers-retours sur scène en racontant, d’une voix métallique et amplifiée, l’histoire de Cronos, fils du ciel et de la terre, roi qui dévora ses enfants. Le premier ogre. Deux rideaux blancs de mousseline encadrent la scène contrastant avec la lourdeur des propos. Une balançoire et deux fenêtres sombres en fond de scène. Le décor est planté. La fable peut commencer.
«Mesdames et Messieurs, bonsoir. Ce soir, ne cherchez surtout pas à distinguer le vrai du faux. Quoi qu’il arrive ce soir, retenez juste que tout cela est réel. Je suis réelle. Je suis réelle parce que tout ce qui peut être imaginé est réel. Je suis réelle,comme un cauchemar peut être réel. Un cauchemar en commun. Un cauchemar que n’importe lequel d’entre nous écrit, ou aurait pu écrire un jour de sa vie.» Le Chagrin des Ogres, c’est le récit d’une journée au cours de laquelle des enfants vont cesser d’être des enfants. Le chagrin des Ogres, c’est une fable noire, cruelle, violente, onirique, qui remues les tripes.
Ils sont trois en scène : Émilie Hermans, jeune fille enfermée dans sa cave et/ou Laëtitia sur son lit d’hôpital qui refuse de sortir du coma ; David Murgia, jeune homme assis derrière son ordinateur et sa webcam ; et Laura Sépul, dans sa robe blanche de princesse ou de mariée, maculée de sang, sorte de Carrie au bal du printemps.
Si Fabrice Murgia, metteur en scène, s’est inspiré de faits divers réels (la captivité de Natasha Kampush ; le processus d’entrée en phase meurtrière de Bastian Bosse), il s’en échappe et préfère s’attacher aux souffrances de ces enfants/adolescents, leurs sombres interrogations, leurs peurs, l’absence d’écoute à leur égard…
Le public assiste donc impuissant au déroulement de ce conte onirique violent, glauque et sans état d’âmes. Laura Sépul incarne Dolorès, la voix narratrice et manipulatrice. Sorte de Jekyll and Hyde en culottes courtes, elle souffle le réconfort et la gentillesse comme la méchanceté et la cruauté dont peuvent faire preuve les enfants entre eux.
On assiste aussi, impuissants, au réveil de Laëtitia, un ballon rouge à la main, qui refuse au fond de se réveiller et de grandir. Tout comme on regarde, médusés, Bastian se transformer en Anakin/Dark Vador meurtrier. Et puis, pour ponctuer ces deux portraits en miroir, Laura Sépul nous raconte des histoires affreuses de passagers morts dans le train, de femme égorgeant sa famille…
1-2-3 soleil, si tu bouges, tu es mort. Dolorès qui mène le jeu est la plus forte. Laëtitia et Bastian meurent. La petite fille pleure. Elle n’a plus personne avec qui jouer. Game over.
Et il nous faudra toute la douceur de « Oh my love » de John Lennon pour nous réveiller de ce cauchemar irréel/réel. Un spectacle fort, violent, qui remue les tripes. Une très belle mise en scène de Fabrice Murgia, portée par trois acteurs impressionnants. Une plongée forcée dans le bain glacial et sombre des angoisses adolescentes. Et nous, adultes passifs, on verserait presque une petite larme à la fin, ogres que nous sommes.
Le chagrin des Ogres, c’est une façon d’enterrer notre enfance, en nous confrontant à ce spectacle dérangeant et en nous racontant à nouveau des histoires qui font peur. Mais dont on connait les tenants et les aboutissants, que nous ignorions quand nous étions enfants. Et ces histoires d’ogres prennent du coup une toute autre dimension…
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Où ? Aire Libre (St Jacques de la Lande)
Quand ? Samedi 7 avril à 20h
Tarifs ? 15 euros / 10 euros / 10 euros (VIF)
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