« Vinyles, verres et victuailles… », au 15 de la rue Kléber

Véritable phénomène de société, les reconversions professionnelles sont une source inépuisable pour les journalistes. Du commercial devenu fleuriste à l’ingénieure ouvrant son atelier de restauration de meubles anciens, différents portraits ont fait les choux gras de nos magazines. Publié en 2017, l’essayiste Jean-Laurent Cassely a même consacré un livre entier à ces parcours atypiques ayant tous un point commun : fuir les « bullshits jobs1 ».

Guillaume et Philippe, qui nous reçoivent au 15 de la rue Kléber, font partie de cette catégorie de personnes. « Au bout de deux semaines, j’en avais déjà marre de mon job. Pourtant j’y suis resté 10 ans », plaisante Guillaume. « Je n’en pouvais plus, moi non plus », rajoute Philippe. « J’y allais à reculons. Je faisais souvent la gueule et cela se répercutait jusque dans ma sphère privée ». A force d’en parler, d’imaginer une échappatoire, les deux compères qui ont déjà bien bourlingué ensemble, vont se stimuler mutuellement pour concrétiser leur volonté de changement.

Passionné de musique et par les 33 tours, Guillaume2 pense d’abord à créer un lieu chaleureux où les aficionados de la platine au diamant viendraient chiner tranquillement. « A chaque fois que je me promène dans une ville, il m’arrive de rester des heures chez un disquaire. Forcément, ma petite famille s’ennuie en m’attendant et se sent obligée de faire des activités dans son  coin. J’ai donc voulu réconcilier les couples (rires…) et proposer un espace pour que tout le monde puisse y trouver son compte ! »

Dans un premier temps, il réfléchit à un salon de thé pour mélomanes. Mais la réalité le rattrape. « Économiquement, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas viable. » De toute manière, Philippe était loin d’être emballé. Lui, ce qui le passionne, c’est la cuisine, celle qui mijote ou qui se travaille à « la minute » avec des produits frais et soigneusement choisis.

Au fur et à mesure de leurs réflexions, le Tétris se met en place, le projet se précise. Philippe décide de faire le grand saut et démissionne le premier pour s’y consacrer totalement. « Pour avancer et être crédible devant nos interlocuteurs, il fallait que quelqu’un s’en occupe à plein temps. C’était impossible de tout gérer en restant salarié. » Ce saut vers l’inconnu en aurait effrayé plus d’un·e. Quitter une situation, un CDI, un salaire qui tombe tous les mois n’est pas anodin. « Mon dernier jour de taff s’est déroulé le lendemain du Hellfest, autant dire que je n’étais pas productif (rires…) mais j’ai vécu ce départ comme un immense soulagement. J’ai retrouvé le sourire tout de suite ». Il a dorénavant la lourde responsabilité de gérer la partie administrative, de trouver le financement et le local.

Après des semaines de recherches infructueuses, le restaurant Piquillo qui se situe près du Thabor est mis en vente. L’endroit présente de vrais atouts. Il faut se décider vite, de telles occasions se font rares. « On a eu un gros moment de doute avant de donner notre réponse. Nous n’avions pas prévu de prendre un truc aussi grand dès le départ », avoue Philippe, « mais on savait que trois personnes étaient également intéressées. » Le duo force son destin en faisant une proposition d’achat trois jours après leur première visite des lieux. La machine est lancée.

Après des travaux de rafraichissement, la mise en place de la déco, quelques nuits blanches passées à cogiter et à rassurer leurs proches, l’ouverture de l’établissement est proche. « Certains prenaient notre aventure pour un caprice de gosse mais ils ont été agréablement surpris par notre détermination. » Leur concept « à tiroir » est dévoilé sur les réseaux sociaux : un  espace disquaire avec de la vente de vinyles, un bar et une salle de restauration. Il ne reste plus qu’à lui trouver un nom original. « Nous voulions associer un nom qui puisse évoquer simultanément la musique et la nourriture.  L’album « l’homme à la tête de chou » de Serge Gainsbourg est une référence, on n’a pas trop hésité pour Tête de Chou ! » La photo du plus célèbre fumeur de gitanes traine d’ailleurs dans un coin, on vous laisse le soin de la retrouver.

 « Les gens qui ne nous connaissent pas sont parfois un peu déroutés lorsqu’ils entrent pour la première fois », remarque guillaume. « Certains se demandent si les disques font partie uniquement  du décor ou pas. C’est ça qui est drôle… Pour l’instant, nous ne vendons que des disques d’occaz’ mais nous comptons développer le neuf via les labels et les groupes locaux. » Une platine est d’ailleurs mise à disposition comme borne d’écoute.

Côté bar et restauration, le choix des deux compères s’opère généralement au coup de cœur et à leur exigence de qualité. « Pour l’ouverture, nous avons proposé la bière de printemps de la brasserie Mélusine. Là, nous venons juste de terminer le fût d’une IPA de bourgogne… On adore les bières bretonnes mais on souhaite se démarquer puisqu’elles se trouvent dorénavant un peu partout. Il n’empêche qu’on a à disposition celle de la brasserie la bizhhh, de type porter au poivre de Timut. Une tuerie avec cette fraicheur qui reste en bouche ! »

L’appellation cantine est bien adaptée. En effet , par sa situation, voisine de nombreux bureaux et d’antennes de Rennes Métropole, les client·e·s peuvent venir se restaurer de manière rapide et conviviale. L’établissement propose une carte réduite pour laisser la place à une cuisine de saison et aux produits frais. Pour notre part, on en a profité pour tester les planches de fromage et de charcuterie à partager.

« On commence doucement à prendre nos marques, les gens s’arrêtent et sont curieux, c’est cool. On a encore pleins d’idées comme la tenue d’évènements ponctuels liés à l’actualité locale et même d’ailleurs… »

Les chiffres peuvent malgré tout donner le tournis et des sueurs froides : 7000 cafés ferment chaque année, un restaurant sur deux stoppe son activité avant sa troisième année. « On a bien été encouragé à nos débuts par l’équipe du bar-tapas « La Clara » situé en haut de la place de la Mairie. De quoi nous mettre sur de bons rails », explique Philippe « Et puis on est bien entouré ! Ma femme, par exemple, n’hésite pas à me filer quelques recettes originales quand je manque d’inspiration et on s’entraide avec Guillaume. »

Avec l’Arsouille, la Quincaillerie générale, le Tiffany’s (récemment repris par le multipropriétaire Éric Billon) dans le coin, l’ouverture de « Tête de Chou » va créer sans nul doute une nouvelle émulation dans le quartier. Du moins, c’est ce que l’on souhaite aux deux amis devenus par la force des choses co-gérants. « On est comme un petit couple maintenant, on se voit plus qu’avec nos compagnes respectives !  (rires) »

 

1 : Emploi dénué de sens

2 : Guillaume a déjà écrit quelques articles sur la musique sur alter1fo.com dont l’excellente tétralogie sur le Hot-Club.


Tête de Chou, au 15 rue Kléber – Rennes

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