Retour sur Mythos 2018 – Titiller l’ortho-dogme-graphe et retrouver le plaisir d’écrire : la Convivialité par la Cie Chantal & Bernadette

Une conférence-spectacle sur l’orthographe durant le festival Mythos ? de quoi filer de l’eczéma à une bonne partie d’entre nous… Et pourtant, La Convivialité, cette proposition de la Cie Chantal & Bernadette aka Arnaud Hoedt et Jérôme Piron fut réjouissante et déculpabilisante ce samedi soir à l’Aire Libre. Haut les coeurs petits frenchies, il est grand temps de dompter cette orthographe et de lui dicter nos propres volontés ! 

Double consonne, pluriel en X, exceptions qui confirment la règle, lettres muettes, accord du participe passé, homonymes et homophones… Vous vous y êtes confrontés avec délectation ou horreur depuis votre enfance jusqu’à aujourd’hui. Et Arnaud Hoedt et Jérôme Piron prennent plaisir à vous y replonger. Non sans humour et convivialité ! Ces deux Belges, enseignants de leur état, ont décidé de s’attaquer à l’orthographe de la langue française. Relevant du sacré pour les uns, ou de l’enfer pour les autres, cet outil sert-il aujourd’hui ce pour quoi il a été créé ?

De l’absurdité de l’orthographe…

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron passent ainsi en revue un à un tous les argumentaires fallacieux autour de l’orthographe. Ses dogmes absurdes pour commencer : pourquoi le son [s] s’écrit-il de 12 manières différentes ? pourquoi, à part J, K et V, toutes les lettres peuvent être muettes ? pourquoi écrit-on alléger (avec deux L) et alourdir (avec un seul) ? Pourquoi cette ritournelle des pluriels en OU qui prennent un X et non un S (ce qui fait rire – jaune ? – toute la salle d’ailleurs) ?

L’orthographe : une suite d’incidents historiques ?

Toutes ces règles sont devenues normes à la création du mot orthographe au 17è siècle. Mais ce dogme s’explique historiquement. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron narrent toutes ces aventures/incidents historiques qui ont fait de vos dictées un moment difficile à passer…

C’est en effet à cause des moins copistes et de leur incapacité à mémoriser le début des phrases que vous avez souffert sur les accords du participe passé ; c’est à cause d’académiciens zélés que sont apparus les pluriels en OUX ; c’est à cause des imprimeurs et du coût du papier et de l’encre que les accents sont apparus, rajoutant un soupçon (euphémisme) de difficulté ; c’est à cause de l’Académie Française que les PH, TH et consonnes doubles sont apparues en 1835…

Et la salve des anecdotes savoureuses de continuer à s’égrener au fil de projections de plateaux de scrabble sur le fond d’écran de la scène ou de résultats abracadabrants d’un programmateur de versions orthographiques d’un mot inventé par les deux comparses. Le public sourit, rit aux éclats, et finit par s’interroger sur cette langue dont il manie avec brio ou difficultés les absurdités ou subtilités.

Améliorer l’orthographe ?

Car, c’est bien là tout le propos de ces deux enseignants. Pourquoi ne pas améliorer l’orthographe en la changeant, en la « simplifiant », en l’adaptant ? car oui, aujourd’hui, on écrit comme il y a 150 ans, et ce, sans se poser de question. On y tient malgré tout à notre orthographe subtile et compliquée. Démonstration participative à l’appui (des mots, une tablette réversible, du rouge, du vert, des propositions orthographiques loufoques ou logiques et le tour est joué !), Arnaud Hoedt et Jérôme Piron prouvent au public présent dans la salle combien il est lui-même réticent au changement.

Et ils nous interrogent sur l’utilité de passer autant de temps à maîtriser ce qui n’est au fond qu’un outil au service de la langue française. Ils questionnent le rôle des enseignants, devenus, à cause de la grammaire scolaire, des curés de la langue. Ils questionnent la société qui a intégré ces normes et fait de l’orthographe un moyen de discrimination dont la légitimité est reconnue ou intégrée par tous…

Pour une orthographe conviviale

Le propos est sérieux, et auréolé de son humour, nous interroge sur la valeur que nous donnons à l’orthographe. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sont les deux enseignants de français que l’on aurait aimé avoir en cours. Des enseignants qui à la question « pourquoi ? » préfèrent vous expliquer comment ; des enseignants qui vous donnent envie de vous plonger dans l’histoire de la langue française et sa socio-linguistique ; des enseignants qui vous donnent envie de racheter un Robert et de le laisser sur votre table de chevet ; des enseignants qui vous motiveraient presque à participer à la dictée de Pivot, juste comme ça, pour se confronter à nos vieux démons !

Un spectacle-conférence jubilatoire donc, qui s’achève par une jolie épanadiplose… Ces deux garçons ne sont quand même pas enseignants pour rien !

Voir le spectacle ?

Dernière chance de voir La Convivialité aujourd’hui dans le cadre de Mythos 2018 :
Où ? Théâtre l’Aire Libre (St Jacques de la Lande)
Quand ? Dimanche 15 avril à 17h
Tarifs ? Plein tarif : 15 € / Tarif réduit : 12 € / Tarif VIF : 5 € / Tarif Sortir! : 4 €

A noter : le spectacle est suivi d’un échange riche et passionnant avec Philippe Blanchet, enseignant-chercheur en Sciences du langage à Rennes 2.
Samedi soir ont été abordées les thématiques suivantes (qui donnent envie de creuser et d’en savoir plus d’ailleurs) :
– de l’usure du langage et de son renouvellement (pourquoi « daron » et « daronne » de Gabin reviennent dans les bouches des adolescents de 2018)
– et si on faisait un effort pour l’écriture inclusive (vous savez, ce point milieu destiné à affranchir la langue de la domination masculine), qui existe déjà en catalan et qui n’a pas soulevé, curieusement, autant de polémiques qu’en France
– la future sécession orthographique belge (et la nouvelle réforme de l’accord du participe passé)
– de l’usage du correcteur orthographique à l’école
– du droit d’écrire « chariot » avec 2 R
– de l’inventivité absolue du langage SMS
– du plaisir d’écrire qu’il est urgentissime de retrouver avec une orthographe sans entrave ni (trop) de contraintes…

A noter (bis repetita) : Pas pu voir le spectacle mais intéressé.e.s par toutes ces questions ? n’hésitez pas à acheter le livre issu de cette conférence-spectacle : La Convivialité – L’orthographe française est un dogme aux Editions Textuel paru en Octobre 17 (prix : 19 € / ISBN : 978-2-84597-641-2)

 

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