The Patriotic Sunday en interview

The Patriotic Sunday (le side-project d’Eric Pasquereau de Papier Tigre) revenait à Rennes il y a quelques semaines pour un excellent concert au 1988 Live Club. Sur le papier, la soirée était riche en promesses. En vrai, elle était encore mieux (compte-rendu là). Quelques heures avant le concert, on en a profité pour rencontrer à nouveau Eric Pasquereau. Entretien.

ThepatrioticSunday@1988LiveClub-alter1fo - Photo Mr B

D’aucuns sont venus à The Patriotic Sunday comme nous, par le biais de Papier Tigre, l’excellent groupe nantais d’obédience math-rock à l’énergie Fugazienne. Eric Pasquereau, le chanteur-guitariste de Papier Tigre, est en effet à l’origine de ce side-project créé pour satisfaire ses aspirations plus mélancoliques, personnelles et pop. Un premier album aux influences mêlées d’indie rock, d’accords jazz et de rythmiques inspirées de la bossa nova voit ainsi le jour en 2005, Lay Your Soul Bare. Mais c’est surtout son second opus, paru quatre ans plus tard, qui fera beaucoup parler du second projet d’Eric Pasquereau. Avec Characters (2009), le Nantais surprend tout le monde et fait un second disque qui n’a pas grand chose à voir avec le premier, si ce n’est peut-être, ces changements de rythmes à l’intérieur d’un même morceau, ces suspensions qui donnent à ses chansons un deuxième, voire un troisième souffle. Car si la musique d’Eric Pasquereau est facile d’accès au premier abord, elle se déguste comme un millefeuilles, en savourant progressivement chacune de ces strates, souvent inédites lors des premières écoutes.

Characters mêle l’évidence des pop songs des sixties et leurs arrangements de cordes, à une pop alambiquée pleine de tiroirs. Belles critiques, single plébiscité sur le web (l’imparable Jonas) accompagnent alors la sortie de Characters. Pourtant, pour le troisième album qui va suivre, au lieu une nouvelle fois de creuser le sillon du succès public de Characters, Eric Pasquereau lorgne vers des terres encore bien différentes. Pour ce troisième ouvrage, le musicien s’est adjoint les services d’un de nos trios préférés, entendez La Terre Tremble !!! (retrouvez l’interview de La Terre Tremble !!! ici ), autres experts des suspensions et des chansons aux mille directions. Le groupe est lui aussi spécialiste de ces carrefours inattendus qui font bifurquer les morceaux, parfois en épingle à cheveux, parfois sur une courbe toute en douceur. Le trio tricote (mais aussi détricote) des mélodies qui vous agrippent l’oreille en quelques répétitions pour vous emmener après quelques mesures sur des rivages insoupçonnés et inouïs. On n’a donc été qu’à moitié étonné de retrouver ces trois-là avec Eric Pasquereau (leur compagnon d’alors sur Effervescence), tant les musiciens semblent avoir des accointances avec une musique exigeante et bourrée de nuances.

La sortie d’All I Can’t Forget à l’automne dernier, avec toujours deux La Terre Tremble !!! (Paul Loiseau à la batterie et aux chœurs, Julien Chevalier à la guitare électrique et aux chœurs), mais également Julien Lefeuvre à la basse et aux chœurs et Léo Prud’Homme au piano (ainsi que le talentueux Tom Beaudelin/Bodlin au saxophone sur quelques morceaux), n’a fait que confirmer l’excellence de cette pop intimiste et doucement retorse qui n’arpente jamais les sentiers rebattus, mais touche directement au cœur par ses chemins de traverse.

A la fin de l’hiver, The Patriotic Sunday venait donc en concert au 1988 Live Club. On en a profité pour continuer une chouette conversation commencée quelques années plus tôt.

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Alter1fo : Tu as de nouveau travaillé Julien Chevalier et Paul Loiseau de La Terre Tremble !!! Mais Léo Prud’homme (Fat Supper) aux claviers et Julien Lefeuvre à la basse vous ont également rejoints. Comment s’est passée la rencontre ? Pourquoi as-tu choisi de travailler avec eux ?

Eric Pasquereau de The Patriotic Sunday : Les gars de La Terre Tremble !!! ont suggéré que Julien Lefeuvre remplace Benoît à la basse parce que Benoît n’avait pas beaucoup de temps puisqu’il habitait à Clermont- Ferrand. C’était compliqué pour des raisons géographiques.

On a donc fait quelques concerts avec Julien à la basse, avec le même set qu’on jouait avec Benoît. Julien est un gars de Cherbourg qui jouait dans d’autres groupes comme Xébèche/Vive le Rouge. Des groupes assez méconnus mais de chouettes groupes du début des années 2000. Il jouait également de la musique avec ses copains dans des pièces de théâtre. Il aimait beaucoup notre disque Actual Fiction. Il était motivé pour faire ces concerts. Et ça s’est bien passé.

Donc quand j’ai commencé à inviter les gars à jouer sur les morceaux d’All I can’t forget, c’était évident qu’il allait jouer avec nous.

En ce qui concerne Léo, comme on avait envie d’avoir du piano sur le disque, on lui a demandé. C’est notre copain qui joue du piano donc c’est à lui qu’on a demandé (rires). Au fur et à mesure de l’enregistrement, le piano était de plus en plus important. Il est donc venu jouer sur scène avec nous et c’est pour cela qu’on se retrouve à cinq maintenant à faire le live.

The Patriotic Sunday @1988 Live Club - alter1fo - Photo Mr B

Sur ce dernier album, on retrouve également Thomas Beaudelin au saxophone sur 3 morceaux. Là encore, comment s’est passée la rencontre ? Pourquoi as-tu choisi de travailler avec lui ? C’était le copain qui faisait du saxo ?

Non ! (rires) J’avais envie d’entendre des instruments à vent. Là aussi, c’est un bon copain de Nantes. Il a tenté des choses. Il y en a qu’on a gardées, d’autres non, mais ça marchait bien. En revanche, pour l’inviter sur le live, étant donné qu’il a mis beaucoup de matière dans ce qu’il a fait, c’était compliqué qu’il puisse jouer sur scène avec nous.

Quand tu dis que vous avez gardé certaines choses et d’autres non, tu veux dire que vous n’avez pas gardé certaines parties sur les morceaux où il intervient déjà ou bien sur les morceaux où on ne l’entend pas sur le disque ?

En gros, je lui ai dit de s’amuser sur certains morceaux. Certaines idées passaient bien, d’autres moins. On a fait un choix. Il avait carte blanche. Après on a pioché dans ce qu’il a proposé pour le mettre ou non sur le disque.

2016-02 ITW ALTER1FO PATRIOTIC SUNDAY 10Pour ce dernier album, tu as dit que tu avais travaillé différemment. Tu peux nous expliquer ?

Ce qui s’est passé c’est que j’ai fait plein de démos tout seul. J’ai enregistré à peu près 24 morceaux. Pour ces morceaux j’avais des idées d’arrangements très précises. Par exemple, j’avais quasiment fait Garbage Truck tout seul. Après Paul a rajouté quelques arrangements de claviers, etc. Il y avait donc des morceaux très aboutis, et d’autres un peu moins. Au final, j’ai davantage maîtrisé l’aspect arrangement/production depuis le début. Ce que je n’avais pas nécessairement fait sur Actual Fiction, pour lequel j’étais juste arrivé avec des compos à moi qu’on avait plus ou moins jammées et travaillées avec les gars pour leur donner leurs formes finales. Voilà, c’est ce qui était différent. Là je me suis amusé avec des synthés, à bosser déjà sur les chœurs, à faire des trucs à droite à gauche.

Au départ, il y avait cette idée de faire un truc assez petit où je faisais tout moi-même. Et puis au fur et à mesure, je me suis dit que c’était quand même dommage de ne pas demander à des gens qui savent un peu mieux faire que moi. De là c’est parti en vrille et tout le monde est venu jouer. (Rires) Voilà : ça a donc pris beaucoup plus de temps que prévu ! Mais c’est normal.

Comment s’est passé l’enregistrement cette fois-ci ?

L’enregistrement s’est passé en deux étapes. D’abord les gars sont venus enregistrer des trucs avec moi dans le studio. Après on a refait une autre session chez mes parents où on a enregistré les instruments séparément, avant de refaire une autre session en final au studio avec des batteries, des guitares et d’autres trucs.

Donc finalement, ça s’est passé en plein d’étapes différentes : d’abord l’étape démo, après j’ai enregistré tout seul, après les gars sont venus enregistrer avec moi dans le studio, après on a refait une autre session démo/enregistrement, après ils sont re-revenus… (on rigole)

En fait, au fur et à mesure, ton idée évolue. Au début il y a l’idée de base sur laquelle tu as travaillé, tu la réenregistres et après il y a des envies qui naissent, des idées de sons qui apparaissent en même temps que tu es en train de le faire. D’autant que là, on avait le luxe de prendre le temps, de prendre autant de temps -à peu près- qu’on voulait, de tenter des choses. Dans une certaine mesure, bien sûr.

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Tu citais Chris Cohen/The Curtains et Robert Wyatt comme inspirations pour l’album. Qu’est-ce que t’intéressais chez eux et que tu as eu envie de ré-adapter à ta sauce ?

Ce qui m’intéresse beaucoup dans Chris Cohen, dans Overgrown Path, dans les albums qu’il a faits avant avec les Curtains voire  même dans certains trucs avec Deerhoof, c’est son écriture, cette espèce d’interprétation de la « chanson à l’ancienne ». Il a ce rapport quasi historique avec la musique américaine, tout en y apportant en même temps sa personnalité, sa touche. C’est ce qui me plait bien. Il y a un côté très sec dans ce qu’il fait qui me plait. En fait, il y a assez peu de disques récents qui m’ont autant marqué qu’Overgrown Path.

Pour Robert Wyatt, c’est plus quelque chose que j’avais écouté mais dans lequel je me suis davantage plongé. Il y a une vraie liberté dans ce qu’il fait. Comme Chris Cohen, il y a une forte personnalité. Il se réapproprie plein d’éléments de jazz, plein d’éléments de musique répétitive même, et plein de choses comme ça.

Donc oui, c’était dans mon esprit, même si au final c’est du Patriotic Sunday avec plein d’autres références qui entrent en compte. Mais c’est vrai que c’était deux figures auxquelles je pensais en faisant le disque, c’est sûr.

Avec un peu de Beatles (Because) sur A Life Pursuit par là-dessus, aussi…

Oui, de toute façon les Beatles avec Paul et Julien… Ça nous a tous les trois énormément influencés. On a grandi avec leurs albums, mais aussi les disques solo de Lennon, Harrison, McCartney. Ça fait partie de l’ADN même du projet…

The Patriotic Sunday @1988 Live Club - alter1fo - Photo Mr B

Je pensais à Carla Pallone (Mansfield.TYA) qui explique vouloir détuber les morceaux, alors que Julia pourrait peut-être se laisser tenter par un truc un peu plus évident. Or tu disais qu’à l’inverse des précédents albums, tu t’étais autorisé à ne pas gommer ce côté pop immédiat, que tu te permettais de laisser les morceaux filer tout droits (enfin même si on n’est pas dans la pop bubblegum, bien sûr…). Comment tu expliques ça ?

Finalement je ne réfléchis pas trop comme ça. Je pourrais, mais… En fait j’ai juste envie que le morceau me parle. Mais oui, il y a des morceaux où j’ai évité d’aller systématiquement vers des breaks. J’ai essayé d’éviter les morceaux à tiroirs comme il pouvait y en avoir davantage sur les albums précédents. Il y avait cette idée de simplifier la voix. C’est beaucoup moins narratif que ce que j’ai pu faire auparavant. Du coup, ça laisse plus de place à la résonance des notes. C’est moins rythmé dans la voix. Donc effectivement, il y avait cette volonté de ne pas faire systématiquement des breaks comme j’ai pu le faire avant ou comme je le fais dans plein d’autres groupes. Après je ne sais pas si c’est plus « tube » ou pas (rires). Ce n’est pas vraiment à moi de juger. Mais oui, il y avait vraiment cette idée d’aller davantage à l’essentiel, pas en termes d’arrangements, mais dans les mélodies, dans la base du morceau.

Pour revenir sur tes textes, à chacun de tes disques tu sembles avoir une nouvelle façon de les aborder : sur le premier album c’était plutôt narratif et autobiographique, sur le second plus poétique, et déjà plus épuré dans le troisième. Tu nous avais dit que tu aimais bien changer de méthode à chaque fois, de façon de fonctionner. Du coup, tu t’es proposé de faire quoi sur cet album ?

Là, il y avait cette idée de ne pas trop se prendre la tête sur les textes comme j’ai pu le faire sur tous les autres disques, y compris ceux auxquels j’ai pu participer. Ne pas trop y passer de temps et laisser le son des mots résonner d’eux-mêmes. Je voulais essayer de travailler beaucoup plus sur l’interprétation, que le texte soit beaucoup plus imagé. Qu’il y ait beaucoup plus de portes ouvertes et pas nécessairement cette volonté de cadrer le texte pour que ça ait un sens et que je guide vraiment l’auditeur vers ce que je voulais dire exactement. J’avais envie de ce côté plus ouvert. Justement, les phrases plus courtes, cette volonté de mélanger à la fois le son et le sens, voire de privilégier le son par rapport à ce qui était écrit, ça a vraiment participé à ça.

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Tu citais le stream of conciousness, pour parler comme Virginia Woolf, pour cet album-là, ce qu’on pourrait rapprocher des « pensées qui vont à sauts et à gambade » de Montaigne. Tu peux nous expliquer comment ça t’est venu, comment ça a participé à la construction à l’album ? Est-ce que dans chaque chanson, tu as décidé de t’abandonner à ce « flux » ou bien est-ce plus dans la construction de l’album, de chanson à chanson…

Ça a commencé quand je m’enregistrais moi-même. Je n’attendais même pas que le morceau soit fini, je commençais déjà à enregistrer. Il y avait ce moment où j’écoutais la musique et où je me disais « ah, là il faudrait qu’il se passe un truc ; là il faudrait que la mélodie change ; là il faudrait un gros refrain ou … » peu importe. A ce moment-là, le texte était guidé par ça. J’avais ce squelette de morceau. J’enregistrais, je rajoutais un clavier, d’autres trucs puis je me disais qu’il fallait que je rajoute la voix, que je bricole des textes. J’écrivais des textes vite faits en fonction des sons que j’avais en tête. Ensuite, je retravaillais ces textes au fur et à mesure.

Par conséquent, il y avait vraiment cette base mélodique très importante. Je devais rester dans ce cadre et je ne partais pas du tout du texte pour le mettre sur la musique. Je n’avais pas cette phrase que je voulais absolument placer. Chaque fois que je me disais « cette phrase est super, il faut absolument que je la place », je mettais ça de côté parce que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire. Il y avait cette écriture ultra spontanée : « je suis là, qu’est-ce qui me vient à l’esprit, qu’est-ce qui sonne avec la musique ? »

patriotic sunday - photo mr B alter1foDe ces petits mots mis bout à bout, je suis arrivé au fur et à mesure à écrire un texte, en retravaillant au fil des passages successifs, de la démo à l’enregistrement. Il y a plein de mots qui ont changé au fil du temps. J’ai travaillé un peu comme un statisticien : il y a ça, il faut le faire rentrer, il faut que ça marche là-dedans. Il faut en même temps que ce soit beau à la lecture et beau dans le son.

Mais ça a été davantage travaillé que si ça avait été un jet pur, même si ça venait d’un stream justement, d’un lâchage complet. Il n’y avait pas d’idée préconçue sur un morceau. Je ne me disais pas : « je fais Garbage Truck, de quoi ça va parler ? » Il y avait juste des idées et je me laissais guider par ce que j’avais envie de dire. Et mine de rien, ton cerveau t’oblige tout le temps à vouloir le relier à un moment qui te parle. De fait, les mots arrivent facilement puisque tu sais, consciemment ou inconsciemment, que tu es en train de parler de ça ou d’autre chose. Mais il y a beaucoup de portes ouvertes.

Par exemple, dans un morceau comme Garbage Truck justement, c’est très large. A la limite, le camion poubelle ce n’est plus que du détail. C’est juste un mot. C’est très ouvert…

Mais je n’ai pas envie de rentrer dans un truc trop explicatif à propos des textes parce je trouve ça toujours dommage quand tu as un morceau que tu adores, que tu te fais une idée du texte, en te disant que ça parle de ceci ou cela (en tout cas pour toi), alors qu’au final, ce n’est jamais vraiment le cas. Tu apprends qu’en fait, c’est une chanson sur son chien. Enfin tu vois, c’est nul ! (rires) Alors que c’est beaucoup plus intéressant quand l’auditeur arrive à s’approprier le texte au fur et à mesure des écoutes, et à se raconter la petite histoire qui va avec la musique…

ThePatrioticSunday@JardinModerne

Tu disais en interview que « l’anglais restait la langue de ton enfance, celle qui te passionne le plus [et qu’elle] appartient en quelque sorte à un espace-temps perdu » puisque tu as passé une partie de ton enfance aux Etats-Unis. Pas mal de tes textes avaient un fond plus ou moins autobiographique… Je me demandais du coup si tu écris en anglais à la fois pour ce rapport très personnel, très intime avec l’anglais (la langue que tu parlais au quotidien dans ton enfance), mais en même puisque cette langue te renvoie aussi à un espace-temps perdu, pour mettre ce que tu racontes à distance.

Il y a un gros rapport de distance par rapport au quotidien puisque c’est le français que j’utilise comme j’habite en France. Je suis vraiment dans un lien, limite lointain avec l’anglais, parce qu’il n’a absolument rien à voir avec le quotidien. Et ça c’est bien parce que c’est comme un espèce de havre de tranquillité, qui est loin du quotidien, même si les mots, bien sûr veulent dire quelque chose. Mais je ne suis pas dans l’utilisation de ces mots au quotidien.

Je ne sais pas, c’est un truc que je fais comme ça (rires). Il faut savoir que les choses ne sont pas sur-réfléchies. Elles arrivent aussi naturellement. Je pense que c’est pareil pour tous les gens qui font de la musique ou autre chose. Il y a un moment où tu as juste envie de le faire, c’est naturel pour toi.

Pourquoi est-ce que tu fais de la musique ?

2016-02 ITW ALTER1FO PATRIOTIC SUNDAY 1Ça c’est une très bonne question. Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais de la musique.

Quand j’ai commencé à faire de la musique, c’est juste que j’aimais la musique. Pour moi, naturellement, quand j’ai pris un instrument, il fallait créer ses propres musiques. Comme quand on apprend une langue ou un truc dans le genre. C’est-à-dire qu’il n’y a pas cette volonté de reproduire ce que dit quelqu’un. C’est son mode de pensée. Ce que tu fais, c’est le tien.

Au fur et à mesure, au bout d’une centaine de chansons ça a commencé à ressembler à quelque chose, tu vois. Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Mais en même temps, c’était très difficile pour moi de faire des reprises, parce que je finissais toujours par réinterpréter. Il y avait des riffs que je n’avais pas envie de jouer. Il y avait des trucs compliqués techniquement, qu’il fallait bosser, et je n’avais pas envie de bosser. J’avais plus envie de m’amuser avec le truc.

Au fur et à mesure, en t’amusant, en créant tes propres morceaux, au bout d’un moment tu commences à trouver ta propre manière de t’exprimer.

Et ça, peu importe le cadre, et le projet. Que ce soit même dans la Colo[nie de Vacances]. C’est la même chose. Par exemple, hier je bossais sur un nouveau morceau de la Colo qu’Éric d’Electric Electric m’a envoyé. C’est pareil : il m’envoie la musique, je me mets à chanter dessus. Je me dis que je rajouterais bien ça et on se renvoie de la musique. Il y a une espèce d’échange qui se crée et à aucun moment je ne me dis que c’est sa musique et que peut-être il voudrait ça ou ça. Je prends le truc comme si c’était un morceau à moi et je bidouille avec. Après il me dit « ah, ça c’est génial ! Ah ça je ne voyais pas ça comme ça, etc… ». On échange et on trouve un point d’accroche commun. On arrive à vouloir dire la même chose ensemble.

Pour en revenir à l’album à proprement parler… Tu disais qu’avec ce disque l’idée était de travailler sur les chansons individuellement, d’essayer de leur apporter, à chacune, l’arrangement idéal, afin que tous les morceaux aient chacun leur propre identité. Du coup, comment avez-vous choisi le tracklisting ?

Ça a été super long ! C’était fastidieux parce que ça partait dans tous les sens et en même temps, il y avait cette volonté que ça parte dans tous les sens.

Il y avait plusieurs idées. J’avais fait un tracklisting qui me paraissait cohérent, mais après j’ai envoyé le disque à des gens qui n’avaient jamais écouté les morceaux, notamment à Eric d’Electric Electric, justement. Il m’a renvoyé son propre tracklisting avec son approche entièrement neuve. On a fait un mélange des deux.

Electric Electric en interview Alter1fo.com photo : Caro/alter1fo.com

Le premier morceau qui rentre dans le disque n’est pas un morceau très facile, parce qu’il est un peu chaloupé et qu’il passe par plein de moments. Lui trouvait que c’était génial pour rentrer dans le disque ! Que certes ce n’était pas super accrocheur dès le début mais qu’il y avait cette continuité. Donc il y a plein d’idées qu’il a apportées dans ce tracklisting. En définitive,  c’est vraiment un mélange des deux. Et puis au bout d’un moment, il fallait bien se décider et arrêter de toujours retourner le truc.

On a enregistré quinze morceaux. On n’en a pas gardé certains car il fallait que chacun des morceaux ait sa place. Il a juste fallu accepter de se dire que ce jour-là, au moment t, c’était le bon tracklisting.

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On est très fan de la pochette réalisée par l’Atelier Bingo

Moi aussi !

… avec ces différentes couches qui se superposent, un peu comme ce qui se passe dans la musique. Est-ce que c’était volontaire et comment s’est passée la conception de cet artwork ?

Je ne sais pas trop, il faudrait leur demander. Je connais Maxime de l’Atelier Bingo depuis assez longtemps car son frère avait organisé un concert de Papier Tigre en Allemagne. Il est aussi pote avec pas mal de sérigraphistes de Nantes qui sont aussi de bons amis à moi. Ce sont ces gens-là qui m’ont dit de demander à l’Atelier Bingo et à Maxime. J’ai été voir ce qu’il faisait, je lui ai donné le disque et je lui ai dit de faire ce qu’il voulait. Il nous a envoyé des propositions. C’était celle qui nous plaisait le plus.

Oui, il y a cette espèce de corrélation entre la pochette et le disque. Plus globalement, il y avait cette volonté géométrique assez énigmatique qu’eux aimaient bien, que moi j’aimais bien. Ça s’est fait assez simplement.

2016-02 ITW ALTER1FO PATRIOTIC SUNDAY 4Ça s’est fait sous forme d’allers-retours entre vous et lui ?

Non, pas vraiment. Il nous a fait cinq propositions différentes et on lui a dit que c’était celle-là qu’on voulait. Ensuite il a travaillé sur l’objet de manière plus générale, mais il n’avait plus vraiment besoin de nous consulter, du moment qu’on était d’accord sur l’image forte, c’était ses trucs à lui ensuite.

D’ailleurs quand je conçois un projet, si je demande à quelqu’un de faire quelque chose, il faut que je lui laisse de la place. Que ce soit avec les musiciens, les graphistes, ceux qui font les clips, c’est important qu’ils aient carte blanche. Alors bien sûr on échange, surtout si ça ne me plait vraiment pas, ou qu’à eux ça ne convient pas. Mais il faut vraiment qu’ils aient de l’espace pour créer, sinon ce n’est pas très intéressant. D’ailleurs, si j’ai une idée très précise de ce que je veux, autant que je la fasse moi-même, plutôt que d’essayer de manipuler le cerveau de quelqu’un d’autre. Ce sera beaucoup plus simple (rires).

Je sais que tu as pensé à Auguste Herbin au moment d’expliquer aux graphistes ce que tu souhaitais. Je me demandais si vous vous êtes basé sur l’alphabet plastique d’Auguste Herbin, puisqu’il associe des formes, des couleurs et des notes de musique ?

Non, ça n’a absolument rien à voir. C’est plus que je suis arrivé en lui disant que j’aimais bien les trucs comme ça. Je vois ça dans votre boulot. Et ça a été le point de départ. Après je ne pense pas du tout qu’ils s’en soient servi. En tout cas, il ne m’en a jamais parlé (rires).

Il faut également que tu nous parles de l’exceptionnel clip réalisé par Mizotte & Cabecou pour Garbage Truck. Les deux garçons avaient déjà réalisé un formidable clip pour Papier Tigre. Comment s’est passée la réalisation et la conception ?

Gérald qui fait partie de Mizotte et Cabecou et Timo sont des très bons copains. On se voit régulièrement. Je leur ai proposé de faire un clip. Ils étaient motivés. Eux travaillent vraiment en vase clos, tu ne peux pas leur dire « on va faire un truc comme ça ». Ils suivent vraiment leur truc. Et puis de toute façon, ce sont des gens très doués, avec toujours plein d’idées, donc tu leur fais confiance.

Là en plus j’étais particulièrement content, parce qu’ils étaient sortis de quelque chose qu’ils commençaient à faire depuis plusieurs clips, d’un peu plus rapide. Là ils avaient envie de quelque chose de plus lent, un peu cinéma. Ils ont tout construit. C’est assez incroyable. C’est toujours chouette de travailler avec des amis, qui sont a fortiori des gens que tu aimes bien et qui en plus sont très doués.

C’est drôle parce que tu disais que le but de Patriotic n’est pas de tourner. Mais en interview il y a quelques jours tu confiais que la version du live à laquelle vous avez aboutie est sûrement la meilleure version du live de Patriotic.

Oui ! Ça c’est vrai ! Non, le but ce n’est pas de tourner dans le sens où la finalité ce n’est pas de faire un show… Je ne sais pas comment expliquer. Par exemple, la Colo, c’est un vrai live. C’est-à-dire qu’il y a un dispositif, c’est fait pour que les gens regardent. C’est physique, etc. J’ai un rapport compliqué avec le live… Si c’est pour aller voir un artiste solo, il faut vraiment être dans de bonnes dispositions, un bon jour, etc. Ça demande beaucoup de choses, je trouve par rapport à l’écoute du disque de je ne sais quel artiste en solo. C’est différent lorsqu’on va dans un live, dans un rapport plus festif, qu’on voie des gens, qu’on est content de s’en prendre plein les yeux, plein les oreilles. Et ce n’est pas nécessairement ce que propose un projet comme The Patriotic Sunday. C’est pour ça que je ne le conçois pas comme un projet live.

Si on était dans les années 70, on ne ferait pas nécessairement énormément de concerts. Aujourd’hui l’économie, la manière dont les choses se font maintenant, t’obligent à faire des concerts. Et ce n’est pas une mauvaise chose.

Je disais juste que là on a réussi à trouver une formule live qui, pour moi, tient le coup par rapport à peu près à toutes les interprétations que tu peux te faire du live. C’est agréable parce qu’avant, j’avais un peu l’impression d’essayer de reproduire des disques assez mal sur scène. Et maintenant, on arrive à y mettre un peu de subtilités, des nuances. C’est peut-être simplement parce qu’on est juste un peu meilleurs qu’avant (rires) et tant mieux d’ailleurs…

Oui, et puis vous travaillez depuis plus longtemps ensemble aussi peut-être.

Oui, c’est sûr. Et puis je pense qu’on a une meilleure idée de ce qu’on veut. En tout cas sur scène. Avant on était partagé, il y avait l’envie d’énergie « allez on y va » et puis la peur que ce soit mou. Je crois que maintenant on n’a plus peur de ces éléments-là. On fait notre truc. On a peut-être simplement davantage confiance dans le projet.

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Ce soir, il s’agit d’une soirée un peu estampillée Murailles Music. Est-ce que tu peux nous parler de ce label avec lequel tu travailles/vous travaillez depuis de nombreuses années ?

J’étais déjà sur Effervescence avant. Julien qui s’occupe de Murailles Music avait monté ce label avant. Et en parallèle il avait monté la structure Murailles Média à l’époque pour faire tourner les groupes les groupes, dont je faisais partie avec tous les projets que j’avais à l’époque, c’est-à-dire Papier Tigre et The Patriotic Sunday.

Quand il est passé à Paris, il a voulu tout regrouper sur une seule structure. D’autant que le collectif Effervescence tel qu’on l’avait connu à Nantes était plus ou moins mort : des gens étaient partis sur d’autres choses, d’autres projets, d’autres labels. Il y a eu une sorte de scission progressive, sans problème, simplement. Ça s’est fait naturellement. Les gens se sont détachés chacun de leur côté. Certains groupes se sont vraiment professionnalisés comme My Name is Nobody ou Papier Tigre. On est parti sur des démarches où chacun avait envie de désormais faire son truc. Je pense que c’était normal, chacun avait envie de développer son projet. Certains des groupes se sont retrouvés sur Murailles Music.

Julien a ensuite vraiment développé son truc de son côté. Je crois qu’il avait une meilleure vision de ce qu’il voulait faire. Il y avait toute cette partie live. Il a commencé à faire des disques. On a eu la chance que Julien ait eu envie de sortir les mêmes disques que ceux qu’on aimait, donc La Terre Tremble !!!, donc Electric Electric, ou encore Pillars and Tongues qui sont plus des potes de Vincent [Dupas] de My Name is Nobody à la base.

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Qu’on connaît aussi avec Dark Dark Dark…

C’est un chouette groupe. Il a pu les ramener chez Murailles. Ou encore Thomas [Bonvallet] de l’Ocelle Mare, ou ce qu’il peut faire maintenant avec Arlt, ou Julien Gasc, Aquaserge… Il a un catalogue vraiment chouette. Qui prend des risques aussi. Avec souvent des univers pas nécessairement évidents à la première écoute.

Après ce qu’il fait avec le label, c’est plutôt autre chose, ce sont des artistes qu’il suit depuis longtemps.

D’une manière générale, avec cette famille-là (on ne se connaît pas du tout pour certains, ou au contraire très bien pour d’autres) il y a un respect mutuel. Pour ma part, il n’y a aucun groupe de Murailles que je déteste ou que je ne serais pas content de voir en concert par exemple. Je pense que c’est assez rare. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de tourneurs (peut-être que dans les labels c’est plus facile) où tout me plait sur le catalogue.

Et puis avec Julien, on se connait depuis plus de 10 ans, c’est quand même un très bon copain. Bien sûr comme on travaille ensemble, on n’est pas nécessairement d’accord sur tout (rires), mais en dehors du boulot, c’est un très bon copain. Et puis on commence aussi à bien se connaître avec les gens qu’il a embauchés, Xavier, Alice, Henry, tous ces gens-là. C’est Henri qui s’occupe de Julien Gasc. Bref, c’est une petite famille.

Je trouve ça chouette qu’il y ait cette espèce d’envie de toujours découvrir de nouvelles choses, d’amener de nouvelles personnes. Il y a un esprit défricheur qui est quand même important, surtout dans un milieu où on pense que parce que c’est inaccessible, c’est invendable ou que les gens n’auront pas envie d’écouter ça. Où on a tout de suite envie de policer le propos pour pouvoir le faire bouffer au maximum de personnes. Alors que je pense que ce n’est pas nécessaire. On s’en rend compte avec des projets les plus bizarres qu’ils font, comme Sourdure par exemple. Il fait pas mal de concerts au final et propose des trucs vraiment intéressants. Pareil pour Thomas. Après il y a de beaux disques qui naissent, parfois sur d’autres labels, pas nécessairement sur Murailles, mais qui sont liés à Murailles via le tour.

Pour finir, quels sont vos projets à venir et y a-t-il quelque chose que tu voudrais particulièrement souligner ?

Dans les projets à venir il y a un nouveau Papier Tigre qui va sortir le 29 avril. Le disque est fini depuis un moment, mais il y a plein de choses qui se passent, la pochette, il va sortir sur un label anglais en même temps.

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Il y aussi la Colo. On est en train de faire un objet disque de La Colonie de Vacances qu’on nous a proposé. C’est une maison d’édition Super Loto éditions, qui fait essentiellement de la BD, des livres, qui nous a proposé de faire un objet disque avec quatre dessinateurs en plus des quatre groupes. Ça va être un 10 pouces. C’est un objet assez farfelu mais qui va être bien chouette, je pense.

Il y a aussi le live qu’on a fait avec Greg Saunier l’année dernière : il va y avoir un disque live des concerts de Poitiers et Paris avec Greg et toute la Colo.

Au mois de mars, on fait une nouvelle création de la Colo avec des nouveaux morceaux, dont celui que je bossais hier avec Éric dont je parlais tout à l’heure. (Rires)

Il y a plein de choses, c’est chouette.

On parlait aussi de se retrouver cet été avec les gars pour commencer des nouveaux morceaux de Patriotic. J’en ai déjà quelques uns… D’autant que l’album finalement date. Comme le processus est long, ça ne s’arrête jamais… J’ai aussi d’autres idées sur d’autres projets mais c’est encore un peu flou pour en parler. Mais c’est vraiment bien, il y a plein de choses en cours. J’ai la chance d’avoir plusieurs projets qui sont actifs, vivants, qui tournent, avec des gens motivés tout autour. Il faut en profiter. C’est le cas notamment de la Colo : au départ, je ne pensais pas qu’on allait passer autant de temps dessus. Finalement, ça devient quasi plus important que n’importe quel autre groupe (rires). C’est chouette. On espère que cette année on pourra davantage jouer à l’étranger parce que c’est ce qui nous manque.

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Rien à voir, mais dans les choses à souligner… Dans les trucs récents, je n’ai pas le temps d’écouter trop de musique, donc je ne vais pas en parler. Mais je regarde quelques films et il y a pas mal de films du cinéma italien récent que j’aime bien. Comme les films de Paolo Sorrentino, Youth notamment, qui a été bien défoncé par les critiques et qui mérite à mon avis mieux que ça. Même si le film est raté, à mon avis, il est bien raté (Rires). Les gens qui l’ont vu me comprendront. Le Nanni Morretti aussi est très beau. Après, je fais de la musique, je ne fais pas de cinéma (Rires).

Pour le coup, tu pourrais faire un ciné-concert…

Ah non, je n’aime pas ça. Enfin, non, ce n’est pas que je n’aime pas ça, c’est juste que je trouve que ça devient quelque chose de formaté. Il y a le film, le groupe qui joue. Ça devient une sorte d’exercice, un passage obligé. Je trouve ça un peu dommage. Bien sûr si on nous propose un super truc, on le fera, au contraire, pourquoi pas… Par contre, je ne sais pas avec quel projet (rires) ! Avec la Colo, ça pourrait être bien : quatre films en même temps (rires).

Merci beaucoup !!

Merci à vous.

Prise de son, photos interview : Caro – Photos live : Mr B.

(avec une pensée spéciale pour Guillaume B. ;-))


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