« Swing in Rennes #2 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1943-1944, Swing & Libération

Rennes, automne 1942. La guerre connaît ses premiers tournants et, en France occupée, la résistance se structure, la milice s’enhardit. À Rennes comme ailleurs, les temps sont durs alors que le conflit s’éternise. Les Etats-Unis, patrie du jazz, sont en guerre contre l’occupant depuis douze mois. Pourtant, au sein du Hot-Club de Rennes, les pionniers du jazz rennais préparent leur deuxième festival. Et si l’on masque le nom des compositeurs américains dans les programmes officiels, c’est bien de swing qu’il s’agit.

Le deuxième festival a lieu le 12 décembre 1942, moins d’un an après le premier, au cinéma le Celtic (aujourd’hui salle de la Cité). Les vedettes parisiennes du Hot-Club de France ont quitté l’affiche, mais la guerre a amené sur les bords de la Vilaine deux musiciens professionnels de jazz qui participent au concert : le premier, Raymond Hermer, natif de Rennes, est un saxophoniste et clarinettiste expérimenté. Âgé de 39 ans, il a passé ses premières années à étudier la musique, et les dernières à jouer du jazz dans les orchestres parisiens, avant de bourlinguer autour du monde au gré des engagements sur les paquebots. Signalé à Rennes comme musicien de Radio-Rennes dès le début de l’occupation, il fait figure de tête d’affiche. Engagé dans la résistance, il mettait à profit ses engagements dans les hôpitaux de guerre allemands pour alimenter le réseau de renseignement « Alliance ». Il ne verra malheureusement pas le troisième festival : arrêté en octobre 1943, il est fusillé en déportation le 21 août 1944. Le deuxième, Robert Mommarché, est un « drummer » professionnel antillais de talent.
Incarcéré à Rennes, on doit sa présence au Hot-Club à l’occupation. En effet, les nazis refusant la présence sur leur sol de soldats de couleur, les contingents « coloniaux » sont incarcérés en France. Rennes compte quatre camps de « coloniaux » : Le stade de la route de Lorient, la caserne Marguerite (au sud de Rennes), les camps de Verdun et de la Marne (à Saint-Jacques-de-la-Lande). Robert est prisonnier dans le dernier. Prisonnier sur parole, il a le loisir de rejoindre les musiciens du Hot-Club, rue Saint-Georges. Naîtra alors une solide amitié : longtemps après la guerre, Mommarché reviendra visiter ses amis musiciens rennais.
Aux côtés de ces deux professionnels, un noyau prend forme : Marcel Lambot (trompette), Alain Gastinel (sax-clarinette), Georges Ollive (guitare), Maurice Carré (guitare), Robert Chevalier(piano), Freddy Duhail (sax), Yves Gastinel (contrebasse), Marc Deltombe (contrebasse), Fernand Grimaud (batterie)…
Mais c’est le quintette en formation « Gus Viseur » (clarinette, deux guitares, accordéon et contrebasse), celui des premiers temps, qui a l’honneur d’aller défendre les couleurs rennaises au concours organisé par le Hot-Club de France, salle Pleyel à Paris, en mai 1943. Malgré une rude concurrence, dont celle du futur saxophoniste de Django Reinhardt, Gérard Lévèque, ou de Boris Vian, le quintette rennais remporte la très convoitée coupe « Vedettes ». Dans son bulletin du Hot-Club de France, Hugues Panassié écrit : « on s’étonnera peut-être de voir si peu de musiciens parisiens aux places d’honneur. Espérons qu’ils suivront la leçon que viennent de leur donner les amateurs provinciaux ». Même le collaborationniste Le patriote breton y va de son « hommage », en légende d’une caricature : « Enfoncés les parisiens ! Même dans le swing ! C’est un orchestre rennais qui s’est révélé le plus « rythmique » de France…(Pas flatteur pour les rennais, d’ailleurs) ».
À ce train là, il y a de quoi hésiter à devenir professionnel… C’est d’ailleurs bien l’interrogation qui domine dans l’un des premiers bulletins du Hot-Club de Rennes, qui, à l’image de son aîné parisien, communique avec ses adhérents de cette manière. Entre quelques infos, chroniques de concerts et de disques, on peut y lire, début 1944 : « L’amateur dont le talent s’est affirmé peut choisir deux voies différentes : poursuivre son activité artistique pour sa satisfaction personnelle et sans recherche d’aucun profit, ou bien commencer une « carrière » en vue d’en tirer principalement des bénéfices substantiels. Si cet amateur entre délibérément dans le « métier », nous estimons qu’il doit prendre rang parmi les professionnels et accepter les inconvénients possibles de son choix ».
Si la question de la professionnalisation divise, il en est une autre qui divise la jeunesse : qui donc est un « zazou » ? Cette appellation pourrait se rapprocher de notre « hipster » voire « bobo » des années 2010 : un personne branchée, urbaine, portée sur une élégance nouvelle et portée sur la musique swing. Au Hot-Club de Rennes, on se défend d’être des zazous. Le sobriquet s’est chargé d’une valeur péjorative, surtout dans le domaine du jazz : on oppose les vrais amateurs de jazz aux « zazous » qu’une mode suspecte a porté vers le swing.

Entre les zazous et les fans de musette, les membres du Hot-Club tentent de s’imposer, début 1944, au café de la Marine. La tâche n’est pas aisée, selon le rédacteur du bulletin, « mais nous savions que nos camarades n’étaient pas assez professionnalisés pour ne pas vouloir imposer ce qu’ils aimaient, la véritable musique de jazz. Ils avaient une lourde tâche, celle d’unifier le public, c’est-à- dire de calmer les « zazous » et d’intéresser les « réfractaires » (il ne nous en était pas moins pénible d’entendre « St Louis Blues » après « Dédé de Montmartre ») ».
Les efforts sont pourtant payants, et le jazz prend. En novembre 1943, c’est déjà le troisième festival qu’on organise. Grâce au professionnel et prisonnier « colonial » Mommarché, une autre « vedette des disques swing » est annoncée : c’est l’un des rois de la biguine et du jazz, le guadeloupéen Félix Valvert. On double le festival d’un « concours régional des espoirs du jazz », inspiré de celui remporté à Paris. Toujours perplexe, le chroniqueur de l’Ouest-éclair n’y entend rien : « Le tournoi comble notre surprise. Un soliste, un excellent musicien, le pianiste Desbruyères, surclasse ses concurrents. Il arrive bon dernier ! « Il est trop classique et pas assez swing ! » lance avec mépris une blonde oxygénée ». Convaincu, à la limite, par la présentation du festival « à la manière de Charles Trenet », il conclue son article, dépassé : « Enragé d’avoir à se taire, le saxo, d’une sonorité de cornet à bouquin, fracasse les oreilles. C’est fini ! C’est beau, la jeunesse ! ».
Probablement à l’initiative des antillais Mommarché (qui a quitté Rennes) et Valvert, c’est un concert des vedettes du hot-club colonial qui inaugure l’année 1944 : on annonce au Celtic (salle de la Cité) en janvier toutes les grandes vedettes antillaises du swing, accompagnés de la non moins célèbre chanteuse Moune de Rivel. Le concert est organisé au profit des prisonniers coloniaux du frontstalag 221 (le camp de prisonniers qu’a quitté Mommarché). Là encore, c’est un succès : la foule se presse dans la rue St Louis, et, une fois n’est pas coutume, la critique est positive : « sous la conduite expressive de F.Valvert, ils prouvaient que nous étions loin des outrances de certaines manifestations « swing ». C’était du meilleur jazz. Aussi avons-nous passé une excellent soirée ».
En ce printemps 1944 rempli d’espoirs à bien des égards, Le Hot-Club remporte alors sa deuxième coupe « vedettes » parisienne qui couronne le meilleur espoir du jazz. Cette fois-ci, le quintette se présente accompagné d’un trio de saxophones du plus bel effet, où Alain Gastinel, qui dirige l’ensemble, tire encore son épingle du jeu. L’ensemble vainqueur se compose de : Alfred Duhail (sax-alto), Alain Gastinel (clarinette-ténor), Roger Mahé (sax ténor), Robert Chevalier (piano), George Ollive (guitare), Marc Deltombe (contrebasse) et Fernand Grimaud (batterie).
Le premier, Alfred Duhail, succombera dans les bombardements de la libération de Rennes, en août 1944. De manière douloureuse, après l’intensité d’un été 1944 violent, les GI’s américains libèrent la ville le 4 août 1944. Dans la liesse générale, il est question de musique : une nouvelle page va s’ouvrir pour le Hot-Club de Rennes.


« Swing in Rennes #1 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes: « Jazz & occupation 1940-1942 »

« Swing in Rennes #2 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1943-1944, Swing & Libération

«Swing in Rennes #3» ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1944-1949, l’âge d’or du Hot-Club

«Swing in Rennes #4» ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1950-1955, Les dernières années

1 commentaire sur “« Swing in Rennes #2 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1943-1944, Swing & Libération

  1. Guillaume

    Les disques du Hot-Club de Rennes ont été réédités :
    https://3615records.bandcamp.com/album/hot-club-de-rennes-1941-1952

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires