Rennes, Ville et Métropole : Crise sans précédent au Service Santé au Travail

« Elle connaissait bien la ′maison’ et l’ensemble des salarié·e·s. On perd une alliée de poids… » soupire notre interlocutrice. C’est avec une voix grave et la mine des mauvais jours que Mathilde(*) nous explique la situation catastrophique au sein du Service Santé au Travail (SST) de la Métropole et de la ville de Rennes. La démission de sa médecin-cheffe reste encore aujourd’hui difficile à digérer.

Depuis près d’une vingtaine d’années, la docteure L.(*) s’occupait des 5200 agent·e·s de la métropole et de la ville avec l’aide d’une équipe réduite mais entièrement dévouée. Appréciée pour son professionnalisme, son écoute et sa grande implication, son départ est mal vécu. Il laisse un grand vide et surtout la voie libre à l’administration pour poursuivre la réorganisation de la direction des Ressources humaines(1).

Mme L. ne supportait plus les conditions d’exercice de ses missions et ne pouvait plus les remplir correctement. Selon Fabienne Le Moal du CHSCT de Rennes métropole (UGICT-CGT), cette démission « dénonce une entrave à la liberté de travail à cause du manque de moyens et à l’incapacité de respecter et faire respecter la loi(2)  ».

Contrairement à ce qu’affirme Johan Theuret, directeur général adjoint des services de la Ville et de la métropole rennaise dans la presse(2), les moyens accordés au SST ont bien baissé. Une infirmière n’a pas été remplacée, conséquence directe de la démarche Service Public 2020(3).  « Illes voulaient au départ supprimer un poste d’assistant·e » explique Mathilde. Mais à l’époque, la contestation a été entendue. «  Du coup, illes  ont profité du départ en retraite de l’infirmière pour ne pas la remplacer » lâche, écœurée, notre amie. Triste bilan comptable ! De deux infirmières, il ne reste même pas un ETP(4) puisque l’actuel poste est à temps partiel.

Ouest-France – le 22/03/2019

 

« Dernièrement, un courriel nous informait que certaines activités d’infirmerie étaient purement et simplement suspendues. Avant, un·e salarié·e qui se blessait, ou pire qui se faisait agressé·e, allait directement à la médecine du travail. Dorénavant, c’est fini. TER-MI-NÉ. C’est catastrophique ! » poursuit-elle. Et quand on sait qu’une infirmière peut être  amenée à remplacer les assistantes administratives lors de leurs absences, on se dit que l’on marche décidément sur la tête.  « On voudrait provoquer la disparition de ce service que l’on ne s’y prendrait pas autrement » dénonce de son côté le syndicat SUD lors d’un comité technique du 22 Mars dernier. En effet, pourquoi rien n’a été fait  pour éviter cette impasse, sachant que tous les voyants étaient au rouge ?

Le rapport d’activité 2018 du service présente un constat alarmant, « le temps consacré au tiers temps n’est pas suffisant pour permettre un travail de prévention satisfaisant(**) », avec une nette augmentation des signalements en matière de risques psychosociaux (souffrance au travail) et des troubles musculo-squelettiques. Malgré cela, seulement 70 visites périodiques ont été réalisées  l’année dernière contre 2400 en 2004. Des « visites indispensables pour pouvoir remplir le rôle de conseiller de l’employeur » selon les propres mots de Mme L.  On comprend mieux son écœurement.

Le rapport indique également une vraie souffrance chez le personnel d’entretien et de la restauration dans les écoles due à la fois à une mauvaise organisation du travail mais aussi à un matériel inadapté. Les conclusions d’une psychologue du SST est d’ailleurs sans appel. « 2019 sera une année très orientée conflits et mal-être au travail… » Et on nous parle toujours de progrès social ? 

Extrait d’un tract UGiCT-CGT (14/03/19)

Mathilde reprend son souffle, pose son verre de vin et s’avance pour nous chuchoter « il y a une grosse suspicion aujourd’hui sur le fait que le SST garde sa liberté et son autonomie. » Et pour cause. Aujourd’hui, le secrétariat du CHSCT(5) n’est pas tenu par un représentant des salarié·e·s et cadres mais par la Direction des risques (DRIS), elle-même. De plus, la Direction Générale des Services a choisi de nommer le directeur de la DRIS comme responsable intérimaire du SST depuis la démission de la docteure-cheffe. Bref, la direction de la ville occupe la présidence ainsi que le secrétariat. Il n’y a pas comme un conflit d’intérêt, là, non ?

Pourtant, le code du travail est très clair sur le sujet et légifère pour garantir à chaque  médecin du travail d‘exercer ses fonctions en toute indépendance. Dans un tel contexte, qui peut croire que le remplacement de Mme L. sera effectif rapidement. Quel médecin choisira un poste sans garantie de marche de manœuvre vis-à-vis de son employeur ? Pour rappel, il a fallu attendre 5 longues années pour le dernier recrutement alors que la situation était moins pire qu’aujourd’hui…

Mais être borderline n’émeut plus grand monde au sein de cette majorité dite de « gôche ». « Avec la mise en place des CSE (Comité Social et Économique), qui liquident les CHSCT, le Gouvernement se prépare à déployer un équivalent pour les territoriaux en missionnant la députée Charlotte Lecocq. Nous craignons que la Majorité qui a soutenu la loi El Khomri […] n’en soit réduite aujourd’hui à anticiper les mauvais coups à venir en matière de prévention des risques » invectivent amèrement les élus PG-FI. Il serait bon de prendre connaissance de la récente note d’évaluation des ordonnances relatives au dialogue social et aux relations de travail écrite par France Stratégie, une institution rattachée au Premier ministre, donc loin d’être d’immatures gauchistes. Celle-ci indique que parmi les responsables patronaux et syndicaux auditionnés déclarent regretter le CHSCT.

 

Malgré des articles dans la presse, des communiqués de syndicats, rien ne semble bouger dans les couloirs du pouvoir administratif. La santé, la prévention des risques et la sécurité sont-elles devenues obsolètes à Rennes, Ville et Métropole ? N’étaient-ce pourtant pas les mêmes qui louaient le « vivre en intelligence » ?

Hubert Chardonnet, élu au personnel, endort son monde avec des réponses aussi formatées que  conventionnelles (lire sa réponse au syndicat UGCIP-CGT (1)).  Johan Theuret, lui, en tant que président de l’association des DRH des grandes collectivités, court les interviews pour défendre sa transformation du service public, tendance macronniste pour ne pas dire de droite. Dans le texte, cela donne(6)  : « Nous ne sommes pas contre la rémunération au mérite », « l’objectif de suppression de 120 000 semble atteignable », « recourir aux contractuels, c’est un moyen d’ouvrir la fonction publique », « Recourir au rétablissement du jour de carence n’est pas un mauvais coup porté à l’encontre des fonctionnaires(7) ».

Mathilde s’arrête un instant puis conclue. « Qu’a-t-on à gagner à ne pas prévenir les situations de risques, d’usure professionnelle et de reclassement pour raisons de santé ? Combien sont-illes dans nos collectivités à ne pas avoir pas vu un médecin du travail depuis plus de 5 ans ? Regarde les chiffres, il ne reste plus qu’une psychologue, une infirmière, deux médecins pour suivre 5200 agent·e·s réparti·e·s sur 160 sites avec plus de 250 métiers, soit d’innombrables risques professionnels. » Ses interrogations nous semblent légitimes et si évidentes qu’elles nous laissent sans voix.  « C’est une blague, juste une grosse blague ! » lance-t-elle désabusée en finissant son verre. Espérons qu’elle soit de courte durée.

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PS : Si jamais un·e élu·e nous lit, sachez que la fiche de poste (url : https://documents.emploi.datarennes.fr/1394.pdf) associée à l’offre de recrutement d’un nouveau médecin du travail et de prévention (voir ici) n’est pas accessible → Erreur 404 The requested URL /1394.pdf was not found on this server). De rien, bisoux !

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Mise à Jour (16/04/2019) : « Un deuxième médecin doit claquer la porte le 30 juin faisant suite à la démission de la chef de ce service, annoncée en mars.» [source : Le Mensuel de Rennes]

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LEXIQUE
SST : Service Santé au Travail – Les services de médecine du travail, sont désormais appelés services de santé au travail.
CHSCT : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est, en France, une institution représentative du personnel au sein de l’entreprise ou de l’administration publique.
CE : Comité d’entreprise.
DP : les délégués du personnel et le Comité hygiène-sécurité et conditions de travail fusionnent en une seule entité appelée
CSE: Le comité social et économique (CSE) remplace les représentants élus du personnel dans l’entreprise. Il fusionne l’ensemble des instances représentatives du personnel (IRP), délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le CSE devra être mis en place dans toutes les entreprises concernées le 1er janvier 2020 au plus tard.

 

(*) Nom d’emprunt

(**) Extrait des commentaires et observations générales (Rapport activité SST 2018)

(1) Réponse de Chardonnet – 8/03/2019 http://rennesmetropole.reference-syndicale.fr/files/2019/03/R%C3%A9ponse-%C3%A9lu-SST.pdf

(2) OF. 22/03/2019 https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/la-medecin-des-7-500-agents-de-rennes-metropole-demissionne-pour-denoncer-le-manque-de-moyens-6275379

(3) OF. 04/2015 https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/nous-devons-reinventer-nos-services-publics-3326622

(4) ETP : emploi Temps Plein

(5) cf. extrait de l’intervention de Jean-Paul au Conseil Municipal du 1er avril 2019 ETP : emploi Temps Plein

(6) https://www.lagazettedescommunes.com/505493/il-faut-organiser-un-grand-debat-sur-la-fonction-publique-johan-theuret-adrhgct/

(7) sur BFMTV : le 07/07/2017

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Disparition des CHSCT : accidents et maladies professionnelles de moins en moins reconnus

Nouvelles menaces sur la santé au travail des ouvriers de la chimie

 

 


5 commentaires sur “Rennes, Ville et Métropole : Crise sans précédent au Service Santé au Travail

  1. Larry

    Ça veut dire quoi « illes »?

  2. Politistution

    Bonjour, illes est un pronom personnel unique utilisé dans l’écriture inclusive de ce texte. Cette formulation synthétise le « ils et elles » afin de rendre le langage non excluant ou plus neutre.

  3. Erwan

    Encore merci pour cet article… dénonçant une situation affligeante… Le fric avant l’humain, comme d’hab… Et on doit s’y résoudre ?!

  4. Politistution

    Merci pour ta fidélité Erwan !

  5. Giret

    Houai et tout devient banal………qui est de gauche de droite pour qui elle bosse la mairesse , moi je suis bien perdu….

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