Route du Rock 2018 – La nuit sur le Dance-Fort

A certains moments, la Route du Rock se transforme en dancefloor. Plus ou moins acharné et remuant, certes, selon les styles, mais l’on se souvient pour notre part de prestations qui nous avaient jetés sur la piste poussiéreuse du Dance-Fort pour danser jusqu’au bout de la nuit. Quid de cette édition ? Petit aperçu du côté électro de la force.

Route du rock 2013 © Nicolas Joubard

Föllakzoid

Au sens strict, les Föllakzoid ne font pas dans le dancefloor et la boule à facettes. Mais plutôt dans le psyché chamanique à grandes louchées de kraut. Oui, mais voilà, à force de faire tourner leurs riffs bouclés, en construisant densément leurs longs morceaux extatiques, les Chiliens invitent à la danse, à la transe. Guitares tout en delays, rythmiques denses et massives, basse serpentine au groove vénéneux, synthés parfois réceptacles d’une voix brumeuse : la musique du trio (quatuor en live) engage à l’immersion totale. Le trio originaire de Santiago, signé chez les New Yorkais Sacred Bones, tout autant influencé par les musiques immémoriales des Andes que par les structures des musiques électroniques minimales et les textures du kraut (Ash Ra Temple, Can, Popul Vuh) et du psyché, provoque des expériences sensorielles hypnotiques qui altèrent la perception à force de répétitions.

Föllakzoid – crédit photo : Ebru Yildiz

Avec leurs trois albums (Föllakzoid -2009, BYM rec- II -2013, Sacred Bones- et III -2015, Sacred Bones), Diego Lorca (batterie), Juan Pablo Rodriguez (chant, basse) et Domingo Garcia-Huidobro (guitare) continuent constamment de développer leurs obsessions, la structure initiale des morceaux se révélant matière toujours changeante pour atteindre la forme idéale d’un mantra. Accompagnés sur leur dernier LP en date par le Korg analogique (la légende raconte qu’il a appartenu à Kraftwerk) d’Uwe Schmidt (aka Atom TM ou Señor Coconut, oui, quand même), le trio tisse des thèmes sinueux à force de subtiles superpositions de riffs et de boucles cycliques, aux rythmes aussi répétitifs qu’ondulants. Nul doute que leurs aspirations cosmiques amèneront sans peine les festivaliers à danser sous la voûte céleste en regardant les étoiles dardant au-dessus du Fort St Père.

Föllakzoid – Vendredi 17 août – Fort st Père – 2h25.

Ellen Allien

Retrouver Ellen Allien, c’est comme avoir 20 ans de nouveau. On a tellement écumé de soirées où la Berlinoise était programmée (et autant vous dire que ça tapait fort), tant compilé la moindre sortie de son label BPitch Control situé au 91 Oranienburger StraBe au début des années 2000, que sa venue au festival nous donne l’impression de retrouver une vieille connaissance.

Ellen Allien © Kieran Behan

A la chute du mur et à l’éclosion de la techno en Allemagne, Ellen Allien a plongé à cœur perdu dans la musique qu’elle découvrait, mixant dès 1992 dans l’atmosphère euphorique de la réunification. Tresor, E-Werk, Maurizio, Hardwax, autant de mantras magiques qui permettent de replonger à cette époque où Berlin, pas encore à la mode, accueillait principalement des marginaux  excentriques qui ne rentraient dans aucun moule imposé par la société et où la ville était un havre de créativité déglingué et libre. Dans laquelle la jeune femme d’alors écumait les clubs, avait son émission électro sur Kiss Fm et sortait ses premiers eps. Avant de créer son propre label, l’emblématique BPitch Control, qui l’a vu rassembler Apparat (aka Sascha Ring, co-fondateur du label Shitkatapult), Kiki, Ben Klock, MFA, Paul Kalkbrenner (qui n’était pas encore le dj star), Modeselektor, Sascha Funke, Smash TV, Tomas Andersson, AGF/Delay et on en passe… dès 1999 et sur lequel elle a sorti pas moins de sept albums sous son nom (+ Lism) (de Stadtkind en 2001 à Nost en 2017, en passant par Berlinette, Thrills, Orchestra of Bubbles, Sool et Dust) et avant d’écumer les clubs de toute la planète pendant plus de vingt ans.

Évoluant d’une IDM ciselée voire déchirée plutôt radicale à l’aridité techno et aux rythmiques souvent syncopées, à une électro minimale épurée et abstraite sans oublier son affection pour une indie pop électronique plutôt mélodique et une électronica nerveuse, la productrice est revenue aux sources avec Nost, son dernier album en date. Basses ondulantes, voire grondantes, pied à vous décoller la plèvre, parsemés de stridences acciid ici et là : Ellen Allien retrouve la techno originelle, angulaire, hivernale et puissante et s’y révèle intemporelle. On ne sait donc pas si la musicienne sera en live ou en dj set pour sa prestation au Fort St Père, mais dans un cas ou dans l’autre, on signe tout de suite pour se coller devant les baffles. On n’a pas/plus tous les jours 20 ans.

Ellen Allien- Samedi 18 août – Fort st Père – 01h00.

Veronica Vasicka

Connue avant tout comme une diggeuse émérite, la New Yorkaise Veronica Vasicka collectionne depuis 2003 cassettes et vinyles venus de la minimal wave, autrement dit la musique électronique totalement obscure de la fin des seventies et du début des années 80 qui sortait en Europe (mais aussi un peu au Japon et en Amérique du Nord). Ces pépites qu’elle cherchait inlassablement, elle les faisait découvrir à tous par le biais d’une émission Minimal-Electronik Plus (devenue ensuite Minimal Wave) sur une radio pirate de l’East Village. Deux heures hebdomadaires pendant lesquelles elle enchaînait, infatigable, minimal electronic, minimal synth, cold wave, new wave, techno pop ou synthpop peuplées de synthé cheaps aux sons artificiels réhaussés, de boîtes à rythmes rachitiques et martiales et de voix désincarnées. Sombres, robotiques, ces morceaux possèdent pourtant un romantisme mélancolique et ténébreux qui suinte des machines.

Veronica Vasicka © Jason Schmidt

Grâce à Veronica Vasicka qui a ensuite décidé de monter un label pour sortir ces obscures pépites, Minimal Wave Records, on a pour notre part découvert les groupes français Deux (aka Gérard Pelletier et Cati Tete dont le LP Décadence doit facilement se trouver à Blindspot) ou In Aeternam Vale, les Hollandais de Das Ding, les Britanniques d’Oppenheimer Analysis, Hard Corps ou das Kabinette avec une curiosité ahurie. Depuis 2005, le label continue ainsi de sortir eps, Lps et compilations pointues mais passionnantes (tel ce ep de raretés enregistrées par Richard H. Kirk – Cabaret Voltaire) et possède pas moins de 75 références. Et comme si ça ne suffisait pas, la collectionneuse a également fondé un sous-label Cititrax, pour ressortir des disques des débuts de la house de Chicago mais également destiné aux nouveaux groupes qui utilisent essentiellement les synthés (notamment the KVB, duo formé par Klaus Von Barrel et Kat Day, qui sera présent en soirée d’ouverture du festival à la Nouvelle Vague, Marie Davidson du duo montréalais Essaie Pas ou Amato, l’un des projets de The Hacker). La New Yorkaise a donc toutes les chances de délivrer un live techno aussi envoûtant que pointu et inédit.

 

Veronica Vasicka – Samedi 18 août – Fort St Père – 02h30.

The Black Madonna

Oh la la. Dire qu’on a un très gros faible pour la musicienne du Kentucky est un euphémisme. Imaginez que Marea Stamper a quitté le lycée à 15 ans poussée par son amour de la musique, qui l’obsédait quasi depuis toujours et est partie clubber. Et qu’elle ne s’est pas arrêtée depuis. Aussi féministe que tatouée, aussi politiquement engagée qu’exceptionnelle derrière les platines, The Black Madonna a été la toute première femme Dj résidente et directrice artistique du Smart Bar à Chicago, résidente au côté de Derrick May (oui, vous pouvez pleurer), mais tout aussi fan d’ESG, d’Optimo, Derrick Carter ou Mark Enestus, comme le prouvent ses invitations lors de sa carte blanche aux Nuits Sonores en 2017.

The Black Madonna © Aldo Paredes

Particulièrement charismatique derrière les platines, cette riot girrrl de l’électro se battant contre les formes de discrimination et de violence contre les minorités (racisme, LGBTQI…) qui subsistent malgré leur apport historique dans la culture club (et pas que), désormais installée à Londres, mêlant house dantesque à forte teneur chicagoane, aciiid à vous vriller la tête et les jambes, percussions afro qui affolent le palpitant, disco à pleurer, riffs funky et basses hypnotiques, aime à briser les limites, à naviguer de frontières en frontières, questionnant par là-même leur existence. Après des années d’anonymat et d’activisme dans l’ombre, la dj et productrice passionnée a sorti l’un des hymnes club de l’été 2013, A Jealous Heart Never Rests (Our Lady of Sorrows, Argot, 2013), qui lui a ouvert les portes du Berghain /Panorama et parcourt désormais la planète club en tous sens pour distiller la bonne parole (« house music : it’s a spiritual thing, a body thing, a soul thing » chantait Eddie Amador) à coups de eps (merveilleux He is the voice i hear sorti en 2017) et de mix exaltants et euphoriques. Car cette vétérante des raves le sait mieux que quiconque : « Ces musiques combinent (…) la ferveur spirituelle du gospel et l’efficacité des machines. » (Le Monde, 19 mai 2017). Et quand on finit son mix au Sonar 2017 par l’Here comes the sun de Nina Simone, on est forcément conscient de cette communion qui rassemble les êtres pendant  quelques heures gagnées sur l’ombre. Pouvait-on en attendre moins d’une vierge noire ? Immanquable.

The Black Madonna – Dimanche 19 août – Fort st Père – 2h00.


La Route du Rock aura lieu du 16 au 19 août 2018.

Plus d’1fos.


 

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