Roman en octobre

« Une révélation du passé récent et de l’avenir lointain »

Il y a deux récits dans ce roman. D’une manière assez habituelle, ils alternent en fonction des chapitres. Ce qui est toujours un peu source de frustration puisqu’il nous faut laisser en plan des personnages pour les retrouver une trentaine de pages plus loin, en alternance (avec un petit a).
taxi-londoniens
C’est l’histoire de Dave Rudman, chauffeur de taxi, marié à Michelle et ayant pour fils Carl. Sauf qu’elle va se barrer avec un autre homme, qu’il ne pourra plus voir son fils, qu’il va « partir en cacahouète ».
C’est aussi l’histoire de l’île de Ham et de ses habitants, dont Carl Dévush le fils du Gus, celui qui a reçu le nouveau livre, qui annule et remplace le premier.

Le premier récit se déroule à notre époque, à Londres. Le second a lieu dans le futur, en Ing (Ingland) dans un contexte qu’on peut raisonnablement trouver totalement régressif. Le lien entre les deux ? Au plus fort de son délire, Dave a écrit un livre pour son fils. Plusieurs siècles plus tard, il a été trouvé dans le sol et fondateur d’une religion. Celle-ci prône entre autres la séparation des hommes et des femmes et l’Alternance pour les enfants : sur le modèle du partage de la garde que mettent en pratique les couples séparés aujourd’hui, la société du futur est organisée pour faire vivre les mineurs soit chez les mamans, soit chez les papas. Ces mots remplacent « hommes » et « femmes ».

Faux-amis

En fin d’ouvrage, on trouve un « glossaire français analogique du dialecte mokni parlé à Ham ». Le roman commençant par ce qui se passe sur cette île, il n’est pas inutile d’y jeter un oeil. On saura ainsi que le « pare-brise » désigne le ciel, l’ « antibrouillard », le soleil, le « lave-glace » … la pluie etc…
De plus, pour rendre le langage du futur, le mokni, il a fallu jouer avec l’orthographe : « T’èmra ça kan tu s’ra dedan, Boysi, disait-il. T’sè koui, T’sè koui. »
Les deux éléments conjugués donnent un drôle de besoin d’accommodement. Un peu comme en regardant un film tourné tout en caméra à l’épaule où le type qui prend l’image serait en mouvement permanent.
Une fois les repères pris, il est plus amusant de noter comment les êtres et les choses sont dénommés, en puisant à la source de l’esprit malade d’un prolo londonien. Une casserole est ainsi une femme qui ne peut plus avoir d’enfant, une opaire en est une qui n’en a pas encore eu, un homo, un homme qui n’en a pas. Une piaule-à-connard c’est un palais, un tarif, une tranche horaire, un chauffeur est un prêtre etc …

Made in …

C’est très anglais. Voilà ce qui vient à l’esprit à la lecture du « Livre de Dave ». Bien sûr parce qu’il est beaucoup question de Londres, que Dave connaît par ses rues mais aussi par son histoire, ses statues. Il est plusieurs fois question de « cockney » et même de « véritable cockney ». Le marquage des classes sociales a aussi une importance qui renvoie nettement plus à la société britannique qu’à la nôtre. Comme si chez eux, on se croisait beaucoup plus tout en marquant plus nettement les distinctions.
moto
Surtout, c’est anglais un peu comme le sont les Monty Python et le Sun. L’histoire de notre avenir est grotesque, mais surtout tragique.
S’il peut paraître ridicule de voir le monde à travers le prisme d’un gars qui passe sa vie derrière un volant, le récit de l’agonie du « moto » dans le premier chapitre donne le ton. Ces êtres créés par le génie génétique, à mi-chemin entre l’homme et le porc, s’occupent des enfants sur l’île d’Ham.

La quatrième de couverture pose une question : « Et si le pire des hommes devenait le Messie ? »
Dave Rudman ne l’est pas. Il est raciste. Il tape sur sa femme, sur son gosse. C’est juste un pauvre type. Un gars humilié à qui on enlève la seule chose qui fait sens dans sa vie. Un mec qui aura droit à une rémission parce qu’il aura d’abord aidé, donné.

C’est donc d’autres questions que l’on a envie de poser : Dans le délire de qui sommes-nous actuellement ? Aurons-nous droit à un deuxième livre, une nouvelle alliance ?

Le livre de Dave
Will Self
Editions de l’Olivier
532p, 25 €

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