Rennes (encore) rock ? : « Le temps des “svp, merci”, c’est fini… Dorénavant, on ne demande plus. On exige ! »

Cela fait maintenant un bout de temps que les petits organisateurs de concerts rennais constatent une dégradation et une complication des conditions d’organisation d’événements dans les bars et les petits lieux locaux. Les obstacles s’accumulent et les quelques tentatives de trouver des solutions ne semblent pas porter leurs fruits. Doit-on pour autant se résoudre à la lente extinction de ce qui fait la vraie richesse des scènes musicales rennaises ? Non, assurément.

En décembre dernier, le collectif « Rennes Concerts en Danger » regroupant près d’une soixantaine d’associations a lancé un appel vigoureux et salvateur pour que puisse vivre encore longtemps l’état d’esprit frondeur et tapageur qui sauve encore Rennes de la triste aseptisation qui semble inexorablement envahir les centres-villes (NDLR : lire ici). Alors que dans moins d’un mois maintenant, une nouvelle équipe municipale prendra les rênes de la ville, David (du label Kerviniou Recordz) et Guillaume (du label Disques anonymes), tous deux membres actifs du collectif, ont bien voulu nous dresser un premier bilan de ce qu’il s’est passé depuis la publication de leur tribune.

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► ALTER1FO : Bonjour à vous deux ! Pouvez-vous nous rappeler l’origine de votre appel ?

Guillaume : Avant de commencer, il faut préciser que nous ne sommes pas des représentants du collectif. Il a été créé de manière spontanée, sans organisation. Nous parlons donc en notre nom propre.

David : L’idée de cette tribune germait depuis pas mal de temps déjà. A Rennes, il existe une multitude d’associations mais très peu de lieux, notamment les cafés-concerts, pour les accueillir. L’élément déclencheur a été provoqué par les menaces de fermeture administrative faites à l’encontre de 2 bars culte et historiques du centre-ville, le Chantier et le Bistrot de la Cité. C’était un peu avant les Transmusicales 2019.

► ALTER1FO : La tribune a été publiée fin décembre. Nous étions alors – nous le sommes toujours – en pleine campagne électorale pour les municipales. Le hasard existe-t-il vraiment ?

David : Ce n’était pas anodin de le faire à ce moment-là. Pendant les fêtes de fin d’année, il ne se passe généralement pas grand-chose dans la presse locale… A part l’histoire du mec qui se coupe la main en ouvrant des huîtres ou le bain de Noël, il y a un creux dans l’actualité.

Guillaume : En faisant publier cet appel par plus de soixante associations le même jour et à la même heure (NDLR : 13h12), on savait que nous allions bousculer l’algorithme de Facebook. Cela s’est confirmé. Dans la journée, le nombre de partages augmentait d’heure en heure. Les médias locaux ne pouvaient plus passer cela sous silence, d’autant que le magazine Trax, consacré à la musique électronique, s’en est très vite fait l’écho…

► ALTER1FO : RTL, Libération, France 3 ont ensuite relayé l’information. Ce qui est intéressant de notre point de vue, c’est d’avoir tenu un propos clair et d’avoir rappelé qu’à Rennes, la culture existe grâce à la vie associative éclectique et foisonnante.(1) Vous écrivez d’ailleurs que « pour avoir une scène musicale vivante, il faut disposer de tout le panel : de la salle à grande capacité jusqu’à l’arrière-salle de bistrot en passant par la salle intermédiaire. Comme dans toute chaîne, si l’un des maillons disparaît, c’est l’ensemble qui s’effondre ou, du moins, perd son sens… » 

Guillaume : La richesse de Rennes est folle. De nombreuses petites structures proposent des choses hyper-pointues dans des domaines totalement différents les uns des autres. Il n’y en a jamais eu autant. Cela peut paraître énorme quand tu jettes un œil sur l’agenda. Tu as parfois le choix entre plusieurs événements le même soir. Mais il faut savoir que toutes ces structures se partagent une poignée de lieux encore capables de les accueillir. Du coup, cela demande plus d’organisation en amont. Il y a parfois des dates qui sautent, faute de place. Ce tissu associatif s’adapte tant bien que mal… mais pour combien de temps ? C’est triste car il n’est pas reconnu à sa juste valeur. Bientôt, on risque d’atteindre un seuil critique où il y aura trop d’assos et pas assez de lieux. Et là, ça ne fonctionnera plus…

► ALTER1FO : Vous pointez du doigt un « travail méthodique de destruction culturelle et de muséification de son centre-ville… » Cela veut dire quoi ?

David : Le constat est cruel mais nous ne sommes plus les bienvenus dans le centre-ville. Regarde, à côté de nous (NDLR : interview réalisée au bar La Cour, rue de Penhoët) , la librairie Pécari Amphibie va disparaître, rachetée par « Le Duff ». Mario Piromalli, le plus grand franchisé McDo de France, vient de racheter les trois immeubles de la rue de Penhoët. Cela ne sera pas sans conséquence…

► ALTER1FO : Effectivement. Nous pouvons aussi ajouter à cette liste, l’installation d’un magasin de burger « haut de gamme », place Saint-Michel ; la transformation de l’ancien siège de la Banque Populaire de l’Ouest en un gigantesque hôtel de luxe, place des Lices ; l’aménagement des anciens ciné Gaumont en un hôtel étoilé…

Guillaume : Le pire, c’est que la SPL Destination Rennes (NDLR : la Société Publique Locale qui gère l’Office du tourisme) joue sur ce côté rock et électro de la scène rennaise. L’Office du tourisme s’en amuse dans leurs spots publicitaires ou dans leurs dépliants destinés aux parisien·ne·s. Mais en vrai, ils ne veulent plus de nos concerts.

David : On se dit souvent que l’on va finir par devoir organiser des concerts dans des pizzerias Del Arte (rires…) Mais non, hein. Jamais ! Même leurs pizzas ne sont pas bonnes !

► ALTER1FO : En décembre dernier, la campagne municipale commençait doucement à se mettre en route. On parlait surtout de sécurité, de propreté et de mobilité mais pas un mot sur la culture. Vous avez eu l’impression de mettre le sujet sur le devant de la scène, sans vilain jeu de mot ?

David : Si ce coup de gueule a permis cela, tant mieux mais nous n’avons aucune prétention.

Guillaume : RTL répond à ta question puisque la radio avait signé un papier sur leur site internet intitulé : « Municipales à Rennes : le rock au cœur de la bataille électorale ». D’ailleurs, la tribune a été publiée le même jour que l’annonce du Zénith…

David : Par hasard, hein (rires…) Tu penses bien que nous n’étions pas au courant !

Guillaume : Je pense que sans cet appel, le débat aurait pu se restreindre à « Faut-il oui ou non un Zénith à rennes ? »

► ALTER1FO : Je suppose que des candidat·e·s ont tenté de vous approcher ?

David : Oui mais çela n’a pas grand intérêt puisqu’en campagne, les candidats vont multiplier les promesses. Le collectif a dressé un constat et, à partir de là, élaboré des propositions. Mais jamais, jamais, nous n’allons demander quoique ce soit. Il est fini le temps des demandes, du genre « s’il-vous-plaît, merci… » Il faut passer un cap. Aujourd’hui, on ne demande plus, on exige. Ce qui est différent.

► ALTER1FO : Comment parler culture avec une candidate à sa propre succession qui avoue être admiratrice de Michel Sardou(2) et, plus sérieusement, avec des élu·e·s qui ont délibérément choisi et assumé de fermer la salle de la Cité pour cause de voisinage mécontent ?

David : C’est ce que je te disais tout à l’heure. Le but n’est pas forcément d’instaurer un dialogue. Selon nous, il faut que la salle de la Cité, l’ancienne maison du peuple, revienne au peuple. Nous exigeons qu’il s’y passe de nouveau quelque chose ; qu’elle soit ouverte aux associations pour un prix modique et avec une tarification raisonnable pour le public. C’est quand même une salle historique ! Tous les concerts cultes ont eu lieu là-bas.

Guillaume : La Cité doit rouvrir avec un fonctionnement normal d’une salle de concert, avec une buvette et des horaires dérogatoires pour la culture électronique. Culture totalement ignorée par les pouvoirs publics.

David : N’oublions pas que Rennes est une ville étudiante (NDLR : près de 67.000). Si les élu·e·s, et peu importe qui sera au pouvoir demain, veulent mettre fin à ces soirées où des jeunes picolent sur une place pendant toute la nuit, ré-ouvrez la Cité. Proposez des choses intéressantes et vous verrez !

► ALTER1FO : Les ND4J (Nuit des 4 Jeudis) qui tombent parfois le vendredi ou le mercredi, on ne sait plus trop, va dans ce sens pourtant…

David : C’est d’une hypocrisie totale ! La ND4J, c’est sans alcool et tout le monde arrive bourré. Pareil, si la salle de la Cité ouvre pour devenir un « 4Bis » bis, cela ne m’intéresse absolument pas. Posons-nous la question. N’est-il pas préférable que les jeunes passent une soirée à la Cité avec tout l’accompagnement nécessaire (sécurité, prévention…) plutôt que de les laisser se mettre minable, place du Parlement ?

► ALTER1FO : On se souvient de la réouverture « populaire » de la salle en 2016. Malheureusement, cela s’est mal terminée avec une évacuation par les forces de l’ordre et cette image surréaliste des flics du RAID suspendus dans une nacelle, accrochée à la grue servant aux travaux du centre des congrès et cette facture de 46.000 € envoyée par la ville au syndicat Solidaires 35…

David : Les 2 premières questions posées dans la tribune qui servent aussi de phrases d’accroche ne sont pas anodines. « Faut-il réoccuper la maison du peuple ? Faut-il organiser une free-party place Sainte-Anne ? ». S’il faut foutre le bordel pour être entendu sérieusement, on le fera avec plaisir. Cela ne nous dérange pas de le faire en tout cas (rires…) Avec 70 associations signataires, je pense qu’on a largement les moyens. Il faut bien que les politiques en prennent conscience.

► ALTER1FO : Parlons à présent de vos propositions… J’ai cru lire une volonté de préempter ?

David : Il faut se méfier avec la préemption car cela a déjà été fait. La ville a racheté le 1929 (NDLR : Impasse des Barrières dite impasse Saint-Michel). Résultat, le bar n’existe plus. Nous souhaitons précisément sanctuariser les cafés-concerts en prenant exemple sur des villes comme Berlin ou Paris qui apportent des aides financières publiques aux bars afin qu’ils se mettent aux nouvelles normes. Philippe, du bistrot de la Cité, par exemple, ne peut pas mettre sur la table les 80.000€ de travaux demandés. C’est impossible. A part celles et ceux qui détiennent la plupart des bars à Rennes, qui peut le faire ?

Guillaume : Les préemptions doivent se faire sous conditions, c’est-à-dire qu’elles seraient réservées à des projets présentant un intérêt culturel réel. Il faut permettre aux nombreuses associations de pouvoir les gérer elles-mêmes. Je n’ai pas envie que la Cité se transforme en une énième DSP Citédia (NDLR : délégation de service public) ou un truc que l’on refile à un gros festival qui englobe déjà la moitié des subventions. La ville doit reprendre la main sur ses salles et baisser le prix de la location afin de faciliter l’accès aux bénévoles d’orgas de concerts…

► ALTER1FO : Vous dénoncez finalement la mainmise de certaines personnes sur la gestion des lieux culturels ?

David : Ce n’est pas un secret. Maël Le Goff, par exemple, gère Mythos, le théâtre de l’Aire Libre et maintenant le MeM. C’est une honte d’avoir une telle hégémonie en place depuis des années. Il faut que cela cesse… (NDLR : on vous encourage à lire cet article d’Unidivers)

► ALTER1FO : Pour en revenir à ces petits lieux, vous évoquez d’autres pistes ?

Guillaume : Une autre idée serait d’autoriser de nouveau la délivrance de licences IV, mais gratuites et toujours sous conditions comme pour les préemptions. On veut éviter que des personnes viennent faire des bistrots « à la con », des « Biergartens pour bobos macronistes », tu vois (rires…).

David : C’est un vrai problème. Tous les nouveaux bars qui s’ouvrent se ressemblent presque tous. Quand tu rentres, tu es comme dévisagé. On dirait que l’on vient plus pour se montrer que pour boire des coups… Moi, j’aime le bistrot, là où ça gueule, où ça s’engueule, où la musique est un peu forte parfois avec des gens aux univers différents.

Guillaume : Chacun fait ce qu’il veut de son pognon mais c’est aussi notre ville. Nous y habitons. A un moment donné, si on ne nous laisse plus aucun espace nulle part, nous n’aurons plus d’autres choix que d’aller à la confrontation…

► ALTER1FO : L’idée de se doter d’une grande salle de type Zénith(3) ne va pas non plus dans votre sens ?

David : C’est quoi un Zénith ? C’est un gros tas de béton qui va coûter entre 60 et 100 millions. Aucun groupe local ne va pouvoir y jouer. Finalement, cela va servir à écouter Zazie dans de bonnes conditions. Moi je dis pourquoi pas, mais c’est clairement de l’argent foutu en l’air.

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ALTER1FO : Finalement, par le biais de la culture, vous confrontez deux visions du monde totalement différentes.

David : Effectivement. D’un côté, c’est le système ultra-libéral dans lequel on vit depuis des années et de l’autre, il y a nous… nous qui sommes d’une tendance…

► ALTER1FO : …anar-coolique (rires…) ?

David : alcoolo-anticapitaliste, plutôt (rires… ). En vrai, nous voulons remettre l’humain au centre. Aujourd’hui, tout n’est qu’une question de pognon, de profits. Mais, c’est quoi l’intérêt de crever les poches pleines ?

Guillaume : Selon Bourdieu, le néolibéralisme est un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché. Si tu regardes bien, un bistrot reste un des derniers endroits qui peut faire obstacle. Ce n’est donc pas un hasard s’ils sont systématiquement attaqués : à Rennes, mais aussi à Nantes (NDLR : fermeture administrative d’un mois pour le Chat Noir à Nantes) , à Paris (NDLR : fermeture administrative pour le bar emblématique Le Saint-sauveur, à Paris). Tous ces lieux hétérodoxes(4), comme j’aime le dire, sont une cible. On se cache derrière le volet législatif sous couvert de lois créées au fur et à mesure. En réalité, leur but est uniquement de les emmerder.

David : Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage. Pour les cafés-concerts, c’est pareil.

► ALTER1FO : L’avenir du collectif ces prochains jours, c’est quoi ?

David : On va le mettre un peu en sourdine parce que nous travaillons tous, en plus de nos activités annexes et bénévoles. Mais on va continuer à faire de la veille sur ce qu’il se passe. De toute manière, nous n’avons pas d’autres choix que d’attendre le résultat des municipales. Et si cela ne marche pas cette fois-ci, on monte une liste en 2026 (rires…) !


 

(1) : Les chiffres donnés par le Centre des Ressources de la Vie Associative (CRVA) et par l’Observatoire de la vie associative rennaise tendent à prouver cette vitalité. On y apprend qu’il existait en 2013 5 600 associations, dont 946 employeuses. Sur environ 50 000 Rennais investis dans le milieu associatif, on compte 11 147 salariés… Les salariés au sein du milieu associatif viennent, avec 40,9 %, de l’action sociale. Avec 22, 3 %, le secteur de la culture arrive en deuxième position.

(2) La métropole rennaise confirme qu’elle va se doter d’une salle de grande capacité, avec 10 000 places. Implantée en 2025 près du Parc-expo, elle accueillera des concerts et des événements professionnels.

(3) – Nathalie Appéré : « J’aime beaucoup la chanson populaire et la variété Française. J’ai parfois confessé ma grande admiration pour Michel Sardou » (TVR –  20/03/2018 à 01h19′.

(4) Caractère de ce qui est hétérodoxe, contraire à une opinion reçue.

♥ Photos par l’irremplaçable Marc B.


 

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