À Rennes, la « Livrerie des Jacobins » ou la première gorgée de BD

Énumérer la liste de nos p’tits lieux préférés que l’on a vu disparaitre au cours de la dernière décennie à Rennes est un exercice aux effets pervers, puisqu’il s’accompagne indubitablement d’une morne nostalgie et d’une envie brutale de conduire une DeLorean (automobile de fiction et machine à voyager dans le temps popularisée par la trilogie cinématographique Retour vers le futur, NDLR). C’est pourquoi, pour une fois, nous étions heureux d’être contents d’apprendre l’installation d’une nouvelle librairie indépendante, place Saint-Anne. Car oui, ras-le-bol de voir toutes ces banques, agences immobilières et  autres franchises de street-food bistronomiques bien-gras et bien-chers truster les fonds de commerce du centre-ville !
Comme un joli pied de nez à l’histoire gentrifiée de la cité, le fringant et sympathique Grégory Duval vient donc d’ouvrir sa Livrerie des Jacobins, consacrée à la bande dessinée et à la bière de qualité, en lieu et place de l’atypique Alphagraph. Ainsi, finies les vieilles affiches déchirées annonçant une soirée au Mango ou la sortie d’un album de Doom-Métal-Free-Jazz collées sur la vitrine du 5 rue d’Echange. Aujourd’hui, elle a de nouveau fière allure et s’illumine de milles bulles colorées et satinées. « La librairie est morte, vive la librairie ! » 

Îlot central

Rencontre. Vendredi soir. 19h12.

Incorrigible, nous arrivons (un peu) à la bourre à notre rendez-vous. Maudit vélo qui nous lâche subitement ce soir-là. Mais en entrant dans la librairie, encore essoufflé et les joues rosies par notre dernier sprint, Grégory Duval ne semble pas du tout décontenancé puisqu’il discute déjà avec notre compagnon altériste Marc. Tenant une bouteille de bière des deux mains comme s’il tenait un grand cru bordelais, Grégory raconte. « Alors eux viennent du Finistère sud, c’est la Brasserie Chiendent installée à Bannalec… et c’est l’artiste Cromwell qui a dessiné l’étiquette. Celle-là, c’est une bière bio produite par une microbrasserie de Fougères, très réputée. On la sert au restaurant gastro La Fontaine aux perles» On comprend vite en tendant l’oreille tout en sortant notre liste de questions toute chiffonnée au fond du sac que le mot d’ordre ici est passion et qualité. Bon, en vrai, de mots, il y en a deux. Comme bande et dessinée.

Grégory Duval a longtemps travaillé « pour les autres », en France et aussi à l’étranger, en tant que libraire, option voyage et bande dessinée. Bref, le gars a roulé sa bosse et sait de quoi il cause. Mais, « l’âge avançant » plaisante-t-il, le tout jeune quadra a eu envie de revenir s’installer près de ses proches et de sa famille. Natif de Saint Brieuc, c’est à Rennes qu’il choisit de poser ses valises. « Je connais bien la ville car j’y ai fait mes études et quelques bonnes soirées aussi (rires…) Cela s’est imposé presque naturellement. »  La vitalité du centre-ville a fini de le convaincre de se lancer dans cette folle aventure du je-deviens-mon-propre-patron.

Grégory Duval

Et pour cause. Cette envie un peu folle de réunir dans un même lieu BD et bières lui trottait dans un coin de sa tête depuis un bon bout de temps déjà. « Un  concept qui n’existe pas ailleurs, en tout cas si j’en crois mes recherches », prévient-il. Ces deux univers ont de nombreux points communs. Ils accordent une place importante à l’esthétique, au graphisme, et de plus en plus d’artistes collaborent avec des brasseries. La réunion de ces mondes me parait être une bonne idée, ils se complètent et brassent parfois la même clientèle. Déguster une bière de qualité tout en lisant une BD, loin des écrans et du tumulte de la vie quotidienne, apporte un réel plaisir supplémentaire. C’est ce que je veux mettre en avant. »

Comme le vin qui sublime le plat, Grégory proposent ses  couples « coups-de-cœur », association idéale entre une bande-dessiné et une bière. « J’ai envie de faire découvrir une bière qui fasse écho au bouquin, sorte de clin d’œil sensoriel ou artistique », indique Grégory. « Même si libraire reste le cœur de mon métier, mon projet s’emploie à dénicher des petits brassins pour varier l’offre régulièrement. » Du coup, il prospecte, fait marcher le bouche à oreille, son réseau d’ami·e·s, et reste à l’affût (de bière) pour dénicher des perles rares houblonnées et des cidres fermiers. « Avec des gens passionnés qui ont souvent tout plaqué pour en faire leur métier, il y a rarement de mauvaises surprises. Le goût, et l’aspect graphique de la bouteille sont deux éléments importants dans ma sélection. »

Houblon Houbrun houblanche

Pour celles et ceux qui gardent des bribes de souvenirs d’Alphagraph ou de « chez Jérôme », sachez que le lieu a quelque peu changé. Lumières agréables et fresque colorée modulable au plafond, il est à l’image de son propriétaire. Le gris des tempes en moins. Avec un fond de livres que Grégory souhaite voir grossir encore (1200 références actuellement, NDLR), on note un parti pris assumé pour le roman graphique, les séries courtes et les one-shot (publication sous forme d’album dont la trame se résout en un seul volume, NDLR). « Bien sûr, j’essaye de satisfaire le plus grand nombre, mais il y a forcément une part de moi-même dans le choix des BD que je propose. Après, je suis en période de rodage, j’observe les demandes, le profil de ma clientèle. Rien n’est figé. Mais pour l’instant, je suis chanceux. On ne m’a pas encore demandé la BD de Tibo Inshape ou le chat de Geluck (rires…) »

Grégory semble intarissable sur ses bouquins qu’il aime toucher, feuilleter, reposer et puis reprendre. Le voir s’affairer un peu partout, nous montrer des pages dessinées pour illustrer ses propos, chercher ce fichu tome qui n’est plus à sa place, nous fait prendre conscience que, finalement, on peut en cacher de chouettes découvertes dans seulement 20 mètres carrés. Pas étonnant. « Il est loin le temps où la BD n’était réservée qu’aux enfants et à un public de niche, précise Gregory. Avec l’émergence des nouvelles formes graphiques, l’arrivée de nouveaux auteurs et de nouvelles autrices, le secteur est devenu aussi vaste et créatif que la littérature… Il y en a pour tous les goûts et tous les styles.  »

Plafond

Maintenant qu’halloween est passé, les fêtes de fin d’année approchent à grand pas. La librairie va sans nul doute connaitre son premier grand rush. En tout cas, c’est ce qu’on lui souhaite. On tente alors un timide « Quelques idées de cadeaux ? » « Saint Elme est un polar fantastique du génial Frederik Peeters avec un découpage cinématographique, hyper dynamique qui peut parfois te donner le vertige, s’enthousiasme Grégory. Sinon, du même auteur,  Pilules Bleues, est un récit autobiographique qui raconte son histoire d’amour avec une jeune femme séropositive. Cela raconte ses doutes, ses angoisses, avec tendresse et loin de tout misérabilisme. » Il n’oublie pas de citer l’œuvre Droit du sol d’Etienne Davodeau  « qui était attendue, à déguster avec le cidre fermier du Courtil Goulipaou de Plestan », ou la BD journalistique d’Inès Léraud et Pierre Van (que nous avons particulièrement apprécié, soit dit en passant, NDLR)

La hausse des ventes de la BD est constante depuis une dizaine d’années et représente un livre sur cinq achetés en France. Des chiffres encourageants pour se lancer dans l’entreprenariat, avec une offre et un service personnalisé pour se différencier  des mastodontes que sont Cultura, et la Fnac ou de la concurrence déloyale d’Amazon-de-non-droit. « Je suis content, vraiment, d’avoir ouvert la livrerie. J’en avais un peu marre d’être constamment au téléphone avec mes fournisseurs, le comptable ou mon assureur, rigole Grégory. Ensuite, on verra bien si mon idée était bonne ou totalement foireuse (rires…). En tout cas, les gens sont curieux, osent entrer, regarder et prennent le temps de discuter. Il y a une telle production dans la BD qu’on est vite perdu. Je suis là pour aiguiller, guider, et proposer. » 

L’inauguration officielle n’a pas encore eu lieu, ou alors on n’a pas été invité (ceci est un appel du pied, NDLR), que déjà, Grégory fourmille de projets. Mais chaque chose en son temps. « J’envisage surtout de communiquer un peu plus et me faire connaître. Plus tard, je souhaite proposer des fanzines indépendants, et puis si tout va bien, l’année prochaine, commencer à organiser des petits évènements : comme inviter un·e brasseur/brasseuse local·e, tenter de créer un partenariat pour une série spéciale d’une bière, par exemple… »

La Livrerie des Jacobins, à découvrir absolument au 5 rue d’Échange, Rennes.

Tel : 02.99.26.01.05  (page facebook.com → @livreriedesjacobins)

Notre galerie photos complète (par l’inépuisable Marc):

Livrerie des jacobins

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