Partie 3 : Recrutement dans la police municipale ou quand « s’armer » de patience ne suffit plus

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Virginie Malochet, sociologue et spécialiste des questions de sécurité locale, nous expliquait ici qu’il était de plus en plus difficile pour un service de police municipale de recruter et de fidéliser des agents si le/la maire décide de ne pas offrir la panoplie complète de l’armement.

La semaine dernière, c’est au tour du quotidien Ouest-France de publier une enquête source corroborant cette affirmation. L’arme à feu est bien devenue « une condition de certains policiers pour prendre l’uniforme. »  Certains syndicats appellent même à boycotter  « les polices du maire ‘à poil’ », comprendre sans arme à feu. « Entre deux villes, un agent aura tendance à choisir celle qui lui propose un meilleur niveau d’équipement », insiste Cédric Renaud source, président de l’ANCTS (Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité). L’agression de la policière municipale de la Chapelle-sur-Erdre(1) risque fort d’accélérer cette orientation, même si Yves Bergerat, président du SNPM (syndicat national des policiers municipaux) rappelle que « ce genre d’attaques, au contact, par surprise, est quasiment impossible à parer source ».

Arme-à-vous !

En 2020, lors des dernières municipales, la promesse d’augmenter les effectifs de la police municipale était dans bon nombre de programmes électoraux, alors même que les postes créés par le passé n’étaient pas tous encore pourvus. Résultat, on compte  aujourd’hui entre 3 000 et 4 000 postes toujours vacants selon les estimations du  SDPM (Syndicat de défense des policiers municipaux).source Il y a donc beaucoup plus d’offres que de demandes. Les villes peinent à recruter et se livrent de fait entre elles une bataille rangée pour attirer le chaland. « Il faut beaucoup de candidats mais ils ne sont pas assez, d’autant qu’il n’y a pas que les grandes agglomérations sur les rangs, les futurs agents postulent dans les petites villes où le quotidien est supposé moins dangereux. », explique le journaliste Nantais Cédric Mané avant de poursuivre, « il y a la compatibilité idéologique, certains veulent être équipés d’armes à feu. »

On l’aura compris, avoir ou non une arme à feu au ceinturon pèse fortement dans l’« attractivité » d’une commune.source Oui, oui, vous avez bien lu, il y a bien les mots « arme  » et « attractivité » dans la même phrase.  « Aujourd’hui, quand un policier veut entrer dans une équipe municipale, il demande s’il aura un gilet pare-balles et une arme. Les villes qui n’en veulent pas ne sont pas rassurantes. », précise Nicolas Galdeano, le directeur de la police municipale de Tours.source Dans une France qui dénombre près de 3 agent·es de police municipale sur 5 muni·es d’une arme de poing, est-ce qu’une municipalité qui refuse d’armer sa PM prend le risque de compliquer son recrutement ? En somme, et pardon pour l’expression, se tire-t-elle une balle dans le pied ?

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A Nantes par exemple (PM sans arme à feu, NDLR), la majorité municipale prévoyait d’embaucher 70 agent·es de police municipale mais faute de candidats, elle n’en recrutera que 29 en 2021. Impossible pour le conseiller municipal Foulques Chombart de Lauwe (LR) de ne pas y voir un lien de cause à effet. Ce dernier a d’ailleurs sommé Johanna Rolland, maire de Nantes, de prendre toutes les mesures nécessaires en déclarant lors d’un conseil municipal : « Ce qui [les] retient aujourd’hui de candidater, c’est parce qu’ils craignent pour leur vie. […] Il faut donc les protéger. Armez-les madame le maire ! » source En retour, l’adjoint à la sécurité et la tranquillité publique, Pascal Bolo (PS),  a préféré relativiser. « Si on suivait ce qu’on entend, on ne recruterait déjà plus personne. Mais il faut reconnaître que les policiers municipaux sont, incontestablement, en position de choisir leur employeur.  » Mais plutôt que de voir le verre à moitié vide, pourquoi ne pas le voir à moitié plein ? En effet, réaffirmer dans les fiches de missions que la police municipale est une police complémentaire de la police nationale mais dont l’identité et le périmètre d’intervention sont ceux de la prévention, de la tranquillité publique, tout en assurant une relation de proximité avec la population permet de filtrer de manière naturelle certaines candidatures du genre je-me-prends-pour-un-cowboy. Gain de temps assuré !  « Un policier qui ne veut pas venir parce qu’il n’y a pas d’arme létale, on ne le regrettera pas. », tranche dans le vif l’adjoint à la sécurité de Nantes. source

A Rennes, la question de l’armement est régulièrement remise sur le devant de l’actualité, du fait de l’opposition accusant la Ville de laxisme, ou à travers des actions menées par les syndicats. Qu’importe. Nathalie Appéré reste ferme (au moins jusqu’aux prochaines échéances électorales). « La question a été largement débattue pendant la campagne des municipales. », rappelle-t-elle.

La ville s’est pourtant donnée comme objectif de renforcer ses effectifs de manière conséquente(2) : 40 agent·es de police municipale supplémentaires, en plus des 75 déjà présent·e·s sur le terrain sur deux ans. Connait-elle des problèmes de recrutement ? Lénaïc Briero l’affirme en novembre dernier. Tout se déroule comme prévu. Le nombre de candidatures reste supérieur au nombre de postes disponibles (60 contre 20, l’année dernière, voir la vidéo ci-dessous). Pas de problème donc même si la quantité ne fait pas la qualité.

 

Dumping sécuritaire

En même temps, la municipalité, pour « rivaliser » avec ses voisines, met toutes les chances de son côté. Déjà, elle peut s’appuyer sur son capital sympathie. Rennes truste souvent les podiums des classements des villes françaises les plus agréables à vivre et, pour Cyrille Morel, adjoint délégué à la sécurité civile, « la capitale bretonne est une ville vivante, mais une ville tranquille. » source1 source2 source3

Aussi, la ville propose une nette amélioration financière à travers un système de prime. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les avantages disponibles sur la fiche de poste : indemnité spécifique de fonction mensuelle égale à 20% du traitement de base, primes annuelles d’un montant total de 1309,24 € versées mensuellement, allocation vacances de 962,16€. Sans oublier que peuvent s’y ajouter des IAT (indemnité d’administration et de technicité, NDLR), notamment en soirée à 55€.

D’autres villes ne ménagent pas non plus leurs efforts. A Toulouse, à travers le Contrat de Sécurité Intégrée (CSI) signé en 2020 entre la ville et l’état, la mairie s’engage sur plusieurs points visant à favoriser l’accueil des nouveaux agent·e·s et à améliorer leurs conditions de vie. Il est par exemple prévu d’entamer « des discussions avec Toulouse Métropole Habitat afin de sécuriser un contingent de logements sociaux réservés ». De même, la municipalité facilitera l’inscription en crèche des enfants de fonctionnaires de police ainsi que l’accès pour ces derniers aux tarifs réduits dans les établissements municipaux. Enfin, la mairie s’engage à favoriser le recrutement des conjoint·e·s de policier·e·s au sein de la collectivité en « accordant une attention particulière à [leurs] candidatures ». source Seulement, pour Mohamed Boudjellaba, maire de Givors, au sud de Lyon, interviewé en octobre dernier par Mediacités, tout ceci ne va pas dans le bon sens. il dénonce « une forme de dumping » de certaines villes.

Cependant, toute nouvelle embauche n’est pas l’assurance d’une augmentation d’effectif puisqu’elle peut combler le départ d’un·e collègue parti·e tenter l’aventure ailleurs. Charles Compagnon, l’ex-patron du Carré Rennais, le rappelait encore précédemment (voir la vidéo ci dessous, NDLR). Les agent·es de police municipale se refilent les bons tuyaux et les meilleures places.  Le bouche à oreille fonctionne à plein. Ouest-France raconte l’histoire d’Alexandre qui en 4 ans a porté l’uniforme de 7 mairies différentes pour « passer de 1 600 à 2 500 € de salaire ».

 

Conclusion

Le métier de policier municipal est le quatrième le plus en tension de la fonction publique territoriale, selon le panorama de l’emploi territorial de juin 2018 source. Le jeu des chaises musicales au sein des différentes entités est donc loin d’être fini. Cela pourrait prêter à sourire sauf qu’il contribue à créer une inégalité territoriale entre les communes, entre celles qui ont les moyens de recruter et les autres. Cette inégalité sera de plus en plus accentuée par le déploiement annoncé des contrats de sécurité intégrée (CSI) qualifiés par de nombreuses personnalités et élu·es de « rupture d’égalité pour la sécurité des citoyens. »

Après la justice, voici venu le temps de la sécurité à deux, voire trois vitesses.


(1)  « Nos policiers municipaux sont armés de façon permanente », explique le maire de La Chapelle-sur-Erdre

(2) : extrait du site https://www.institutmontaigne.org/ : « La mesure consiste à recruter 40 agents de police municipale, ce qui reviendrait à augmenter de plus de 50 % les effectifs actuels (environ 73 agents aujourd’hui, si l’on exclut les ASP et les maîtres chiens) […] cette mesure coûterait en fonctionnement, une fois les 40 embauches effectuées, entre 1,57 et 1,84 M€ par an (hypothèse moyenne à 1,70 M€). Le profil type des policiers recrutés, leur expérience et le niveau des primes accordées sont les principales variables entrant en compte. L’équipe de campagne, contactée, estime quant à elle ce coût annuel à 1,5 M€ de fonctionnement, soit une estimation proche de notre estimation basse. Cette mesure augmenterait de manière significative les dépenses de fonctionnement allouées à la sécurité (+ 42 %). Pour rappel, parmi les onze villes étudiées dans le cadre de cette opération, Rennes est la ville dont la part du budget allouée à la sécurité est la plus faible. »

Pour aller plus loin :

Partie 1 : « La généralisation de l’armement des polices municipales est révélatrice d’un glissement vers un modèle plus interventionniste et plus répressif. »

Partie 2 : « Les armes non létales conduisent à déresponsabiliser leurs utilisateurs des conséquences de leurs actes. »

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