Pinback – Concert 4 étoiles à l’Antipode

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L’un des secrets les mieux gardés de l’indie rock américain était à l’Antipode ce mardi 22 novembre. Et au vu de la qualité de la prestation de Pinback ce soir-là, il y a fort à parier que ce secret continue à s’ébruiter… Compte-rendu.

Ce sont les Missing Season qui ouvrent la soirée devant un public déjà dense. On avait bien craqué sur leur premier album folk aux voix entremêlées (The Secret Map, décembre 2007). Un nouvel album To the Fire, sorti en mai de cette année, tout aussi épatant a confirmé notre première impression haut la main. Les compositions boisées et mélodiques des Missing Season alternent avec classe entre folk ensoleillée aux faux airs de San Francisco et folk plus introspective à la Iron & Wine.

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Les deux frontmen (Nicolas Gautier et Marin Perot) sont au chant et alternent les guitares (six-cordes folk, électrique, 12 cordes,… qu’ils peuvent également jouer au bottleneck), ce qui donne une variété de timbre intéressante au set. Cette variété de couleurs est également renforcée par un batteur qui joue tout autant sur les rythmiques que sur le timbre (notamment sur les derniers titres) des différentes percussions de sa batterie ou par l’arrivée d’un troisième guitariste qui prend également les claviers sur certains morceaux.

Mais ce qui frappe surtout, avec The Missing Season, c’est le jeu sur l’harmonie des voix. Deux voix, essentiellement, celles des deux guitaristes, qui chantent en harmonie deux mélodies différentes, souvent dans une tonalité mineure. Les structures changent parfois et les deux voix quittent l’unisson harmonique pour se répondre. L’une après l’autre. Ou les unes après les autres car les trois autres musiciens (Vincent Dupas, Pierre Marolleau, Kevin Le Tétour) assurent aussi les chœurs. On est plutôt impressionné par la maîtrise technique que cela demande et par la réussite du combo dans ce domaine.

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Au final, le public s’avouera dans l’ensemble conquis. Pour notre part, on regrettera seulement quelques longueurs sur la fin du set, le combo semblant davantage chercher à jouer sur les ambiances que sur les chansons. The Missing Season nous semble y perdre une certaine fragilité, qui pour nous fait partie de son charme et s’y révéler moins novateur. On reconnaît néanmoins aisément que tout est parfaitement exécuté et que d’aucuns pourront au contraire accrocher davantage à cette dernière facette développée par le groupe rennais.

On croit innocemment que Pinback va enchaîner directement après The Missing Season. C’est sans compter sur l’arrivée de JP Incorporated, sorte de showman grisonnant, kitsch, décalé et barbu qui chante ses sketchs sur des bandes sonores en accord avec la projection d’images décalées tout aussi kitsch derrière lui. Ses clips-publicités parodiques vantent la Crap Factory (groupe de métal pour le moins merdique), le JazzBotXtreme (sorte de 4×4 aux saxo-pots d’échappement) dans lesquels on entend parfois la voix de Rob Crow de Pinback. Passés les premiers sourires, cet intermède traîne quelque peu en longueur.

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Heureusement, c’est maintenant au tour de Pinback de monter sur scène. Le groupe né en 1998 à San Diego sous l’impulsion d’Armistead Burwell Smith IV (oui, celui là-même du séminal Three Mile Pilot) et Rob Crow (Thingy, Heavy Vegetable) est l’un des secrets les mieux gardés de l’indie rock américain. Adulés d’un bon nombre de fans totalement dévoués à la cause de cette pop à la fois brumeuse et lumineuse, les Pinback ont su tracer un sillon à part et intègre dans le champ de la pop US par le biais de quatre albums souvent essentiels. Les deux anciens activistes hardcore made in U.S. y ont dissimulé leurs premières amours et se sont penchés au chevet d’une indie pop tout autant riche que limpide.

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Ce soir, les Pinback ne sont que trois sur scène : Armistead Burwell Smith IV (aussi connu sous le nom de Zack Smith) au clavier et à la basse, Rob Crow à la guitare et Chris Prescott derrière ses fûts. Pas plus. On aurait naïvement pu craindre que cela ne suffise pas pour rendre justice à leurs morceaux aux entrelacs sophistiqués en live, sublimes d’évidence et de complexité sur disque. Force est de reconnaître après le concert, qu’il n’en est absolument, mais alors absolument rien.

La faute peut-être déjà à Zack Smith, bassiste exceptionnel qui tricote sur ses cordes de façon totalement extra-terrestre. Il joue de sa basse comme d’une six-cordes, enchaîne des accords improbables, se balade sur son manche avec une facilité déconcertante et alterne lignes mélodiques en arpèges et accords sur la totalité des cordes. Qui a déjà touché l’épaisseur d’une corde de basse imagine immédiatement les doigts d’acier qu’il faut pour avoir le toucher du monsieur. Attention, hein, aucune épate là-dedans, pas de slap, d’esbrouffe de bassiste. Juste un gars qui a dû se tromper d’instrument au départ (la basse à la place de la guitare) et qui a décidé d’en prendre son parti et de faire de cet instrument ce que personne n’en fait. C’est simplement bigrement mélodique, intelligent et lumineux. On reste les yeux écarquillés, fasciné par ses doigts sur les cordes.

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Pourtant, c’est au clavier que Zack Smith commencera le concert pour un début tout en douceur avec Tres issu de leur second album Blue Screen Life (2001) . Et puis, dès le second titre, le sublime Bloods on fire (Summer of abbadon, 2004), on se laisse happer. Les mélodies sont imparables et le refrain, tout en virages mélodiques nous laisse sans voix. C’est aussi sûrement dû à la précision vocale du duo, d’une justesse irréprochable (malgré les maux de gorge de Rob Crow). Leurs deux voix, chantant parfois tour à tour, parfois à l’unisson, s’allient avec précision, avec des harmonies à la fois discrètes et subtiles. L’alternance entre leurs deux timbres, le coffre de velours de Rob Crow et les douceurs satinées de Zack Smith est l’une des vraies forces du duo. Sur Boquet (Autumn of the Seraphs, 2007), c’est le pont final qui nous file des frissons avec ce nouveau virage dans la chanson et les deux voix qui se répondent alternativement pour finir, chacune sur sa mélodie, à l’unisson.

Quand l’intro imparable du dialogue basse-guitare de Non photo blue arrive dans nos oreilles, un murmure d’excitation parcourt le public. Beaucoup de fans viennent d’ailleurs d’un peu partout de l’ouest pour le concert des Pinback. L’enchevêtrement vocal du refrain vient une nouvelle fois confirmer les trouvailles mélodiques de Pinback et son talent d’écriture, tout comme celui de Penelope qui bifurque sans prévenir.

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Derrière les trois musiciens, des images de Dark Star de John Carpenter (Pinback est le nom d’un des personnages du film) sur un grand écran. Puis souvent, la pochette de l’album d’où est issu le morceau joué, suivi d’extraits d’autres films de science-fiction (la passion de Rob Crow pour Star Wars et la science-fiction est en effet légendaire), de vues de l’espace pleines d’étoiles, ou même des clips « officiels » des morceaux, tel ce Good to sea (salué lui aussi par le public). Et là, c’est tout de même assez impressionnant, on se rend compte de la précision des musiciens, qui sont calés sur les images au dixième de seconde près. Même précision inhumaine en ce qui concerne les samples que les musiciens lancent pour les accompagner (se servent-ils de pédales pour les lancer sur l’ordinateur posé au sol au côté de Rob Crow ? Ou bien est-ce le batteur qui les envoie depuis l’autre portable ? On n’a pas réussi à comprendre…) avec lesquels ils se calent parfaitement.

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Néanmoins, en live, Pinback n’est pas seulement affaire de précision et de fidélité à ses albums. Le groupe gagne en effet en énergie et en puissance. Chris Prescott, derrière ses fûts, dynamise les morceaux. Carré, précis, il sait jouer tout en nuances et appuyer certaines parties pour donner du relief aux mélodies crève-cœur de ses acolytes.

Le duo pioche dans l’ensemble de la discographie (hormis le premier album), régalant ses fans, n’hésitant pas à jouer ses « tubes » (oui, on entendra Fortress) et nous offrant même l’un des futurs morceaux (?) du prochain album à paraître en février (Sherman, sorti cette année en ep) : la setlist est parfaitement équilibrée… Et vraiment fournie, pour le plus grand plaisir des admirateurs du combo californien !

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Visuellement, le contraste entre les deux musiciens est fort. Zack Smith est tout en discrétion, parle peu et tourne à l’eau minérale tandis que son compère Rob Crow est à la fois expansif et affable : bermuda long de skater, chaussettes différentes, barbe fournie et toujours prêt à la déconne. C’est lui qui parle entre les morceaux et se lance dans des impromptus parfois inattendus : on assiste ainsi à une sorte de danse de la baleine (ou déplacement de ver de terre ?) improvisée quand il se jette à plat ventre sur le sol ou encore saute dans le public et s’offre un petit bain de foule avec son micro en plein milieu d’un titre.

Mais le détail qui fait toute la différence est sur son pied de micro : un porte-canettes ! Car le musicien boit des bières comme d’autres battent des cils : sa réserve de bières (pourtant impressionnante) diminue à vue de nez. Et quand il s’arrête (seul faux pas dans cette débauche de maîtrise technique) en plein milieu d’un morceau en en ayant manifestement perdu quelques paroles en route, il s’excuse et explique en riant (c’est du moins ce qu’on a compris) qu’il était tellement surpris d’avoir réussi à passer un riff complexe qu’il en a perdu le fil, tant il était réjoui d’avoir maîtrisé le passage délicat. Peu importe ce faux départ, il décide de remettre le couvert et de rejouer le morceau de nouveau dans les applaudissements.

En rappel, on sera pour notre part enchanté d’entendre la tuerie From nothing to nowhere à laquelle on ne résiste jamais. On repart donc de l’Antipode ravi de la qualité de la prestation 4 étoiles des Américains. On a même entendu dire que d’aucuns seront ensuite en manque de Pinback, comme nous l’avons été de Mansfield.TYA. Un secret à ébruiter et à déposer dans des oreilles fertiles, donc…

Photos : Caro

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